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Par Presses de la Cité, publié le 06/10/2020

Ann Napolitano : "Il fallait que j'écrive pour me débarrasser de cette obsession"

Dans N'oublie pas de vivre, Ann Napolitano raconte l'histoire d'Edward, seul survivant d'un crash aérien. Un roman bouleversant inspiré de faits réels qui raconte le deuil et la reconstruction de soi, et nous touche en plein cœur. Rencontre.

Pourriez-vous nous parler de l’événement qui vous a inspiré N’oublie pas de vivre ?

N’oublie pas de vivre est né de mon obsession pour un crash aérien qui s’est vraiment produit. En 2010, un avion en provenance d’Afrique du Sud qui devait atterrir à Londres s’est écrasé en Libye. Le seul survivant était un petit garçon néerlandais de 9 ans. On l’a retrouvé sur son siège, sa ceinture encore attachée, à 800 mètres de l’épave. Il avait une perforation du poumon et des fractures à la jambe, mais à part ça il était à peu près indemne. Tous les autres passagers – y compris ses parents et son frère – sont morts sur le coup. Peu de gens s’en souviennent aujourd’hui, mais à l’époque cette nouvelle a fait le tour du monde.

Et pourquoi cet événement en particulier ?

Pour la première fois, un drame de cette envergure sortait de la sphère journalistique. Les réseaux sociaux étaient déjà très populaires en 2010, et des jeunes filles ont créé des pages Facebook dédiées au petit survivant, des passionnés d’aviation ont fébrilement spéculé en ligne. Depuis ma cuisine de Brooklyn, je pouvais découvrir sur la toile les questions des gens, les émotions qui les agitaient. Peut-être que ç’a contribué à me donner le sentiment que moi aussi, j’avais le droit de m’intéresser de près à cette histoire. Tous les articles et les reportages montraient la même photo, et même dix ans plus tard, lorsque je repense à cet événement, c’est cette image qui me vient à l’esprit : le petit Néerlandais dans son lit d’hôpital. Il me paraissait si beau, si brisé, si petit. Mes propres fils étaient très jeunes à l’époque – ils avaient 1 et 3 ans – et je me suis demandé : comment cet enfant peut-il quitter l’hôpital sans sa famille ? Cette photo et cette question m’ont littéralement hantée depuis.

Quel conseil donneriez-vous à des écrivains en herbe ?

Dans mes cours d’écriture, je conseille toujours à mes étudiants d’écouter leurs obsessions. Je leur conseille de lire des récits qui les interpellent intimement. Je leur dis d’imaginer que nous avons, en chacun de nous, un tableau aimanté propre à chacun, et que nous devons prêter attention à ce qui vient s’accrocher dessus. Aujourd’hui, nous sommes inondés d’informations. Et nous pouvons passer notre vie à louper des sujets, des histoires qui pourtant nous auraient passionnés. Mais si vous êtes artiste ou écrivain, c’est votre production qui risque d’en pâtir. Et si vous n’êtes ni artiste ni écrivain, alors passer à côté de certaines choses vous privera de découvertes vraiment captivantes. Pour moi, l’une des raisons de notre présence sur Terre, c’est justement de découvrir ce qui vient réveiller et titiller les petites molécules en nous !

Comment expliquez-vous ces obsessions ?

Nous n’avons pas forcément besoin de comprendre pourquoi certaines histoires plus que d’autres restent aimantées sur notre petit tableau intérieur. Et d’ailleurs, peut-être que nous ne le comprendrons jamais. L’essentiel, pour moi, c’est d’être à l’écoute lorsque ça se présente. Quand on y est réellement vigilant tout au long de sa vie, à un moment, il devient possible de distinguer un sujet récurrent. Moi-même, je me rends tout juste compte, après trois livres, que le thème auquel je reviens sans cesse, c’est comment mener une vie qui ait du sens. Et les histoires qui viennent se coller sur mon tableau intime tournent presque toutes autour de ça. Amy Krouse Rosenthal avait chez elle une œuvre que j’apprécie énormément. On peut y lire : "Prêtez attention à ce à quoi vous prêtez attention."

Comment le savez-vous, quand l’une de vos obsessions doit être mise à l’écrit ?

Une autre chose que je dis à mes étudiants, c’est que l’intensité du malaise qu’entraîne l’une de leurs obsessions est assez révélatrice. C’est le signe qu’il doivent écrire dessus. Il y a quelques années, lorsque j’ai parlé de cela à ma classe, une femme a raconté que durant toute sa vie d’adulte, elle avait commencé sa journée en épluchant le journal pour trouver des articles sur les morts de bébés. Mon explication a été un soulagement pour elle. Cette obsession morbide était simplement quelque chose qu’elle avait besoin de mettre par écrit. Je me sentais moi-même très mal à l’aise à l’idée d’être hantée par ce crash, mais j’avais conscience qu’il fallait que j’écrive pour me débarrasser de cette obsession. Il fallait que je crée un récit dans lequel ce garçon pourrait sortir de l’hôpital, même sans sa famille, et commencer une nouvelle vie. Dans lequel il pourrait aller à l’école, se faire des amis et même sourire de nouveau un jour.

Comment avez-vous vécu l’écriture de N’oublie pas de vivre ?

Rédiger N’oublie pas de vivre m’a pris huit ans, et bien que le roman porte sur les conséquences d’un événement tragique, l’écrire a été l’une des expériences les plus joyeuses de ma vie. Pendant longtemps, cette dichotomie n’a eu aucun sens pour moi. Je me suis demandé si elle était due au fait qu’en vieillissant, je me détendais, et que par conséquent je m’autorisais à apprécier mon travail plus que par le passé. Il y a sûrement du vrai là-dedans mais j’ai fini par comprendre que la cause de ma joie, c’est surtout que mon travail d’auteure était de construire un monde assez empreint de force morale et de gentillesse pour qu’il puisse absorber le deuil d’Edward, le soutenir et l’aider à trouver sa voie. Sa vie après le crash est peuplée de gens qui lui tendent la main. J’ai donc passé huit ans à imaginer un monde empreint d’amour, et ç’a été un vrai cadeau à moi-même.

Quel message aimeriez-vous transmettre à vos lecteurs ?

Nous vivons tous, à un moment donné, une perte ou une expérience qui nous paraît impossible à surmonter. Pas forcément aussi terrible que ce qu’Edward a subi, je l’espère, mais quand même. On perd sa mère, on perd un travail qui était devenu partie intégrante de notre identité, ou encore un changement biochimique venu d’on ne sait où fait soudain s’enraciner en nous une profonde tristesse. En tant qu’écrivaine, j’ai pu traverser le deuil d’Edward, être émue et renforcée par la gentillesse qui l’entoure. Et c’est ce que je souhaite à chacun de nous. Je nous souhaite de savoir écouter ce qui se colle à nos tableaux aimantés, de prêter attention à ce qui vient réveiller quelque chose en nous. J’espère que nous nous y consacrerons davantage. J’espère que nous saurons être ouverts aux actes de gentillesse, prêts à tisser des liens, et qu’au lieu d’être détruits par les moments éprouvants, nous en sortirons changés et grandis.

 

N'oublie pas de vivre
Été 2013. Edward Adler, 12 ans, embarque avec ses parents, son frère aîné et 183 autres passagers à bord d’un vol pour Los Angeles au départ de New York. Parmi eux un jeune loup de Wall Street, un soldat blessé en Afghanistan, une femme ébranlée par la nouvelle de sa grossesse, une autre croyant en la réincarnation. Mais tandis que tous songent à ce que demain leur réserve, l’avion s’écrase dans un champ du Colorado…
Edward est l’unique rescapé du crash. Pendant des mois, son histoire émeut l’Amérique et, entre stress post-traumatique et insomnies, le garçon doit faire face à la perte de sa famille et à une morbide célébrité. Confié à son oncle et sa tante, il tente de donner un sens à sa survie, aidé en cela par sa nouvelle et singulière voisine, Shay. C’est alors que les adolescents font une découverte inattendue…

Un roman lumineux, de ceux qui font du bien et qui réparent.

Dans la liste des best-sellers du New York Times dès sa sortie aux États-Unis début 2020.
 

 

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