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Par le cherche midi éditeur, publié le 28/04/2020

Anouk F. : « Je voulais parler de ces personnes qui survivent sans que personne ne les regarde jamais »

Professeure des écoles engagée, Anouk F. signe avec Dans la rue de l'école un premier roman choral, riche en réflexions sur le vivre-ensemble et sur l’état du modèle éducatif français. Convaincue du rôle essentiel de l’école dans nos vies, elle revient ici sur l’écriture d’un livre nourri de son expérience professionnelle et de ses espoirs personnels.

Qu’est-ce que le succès de Merci Maîtresse !, livre-témoignage sorti en 2019, a changé dans votre vie et dans votre approche de l'écriture ?

Depuis le début de l'aventure Merci Maîtresse !, j'ai peu à peu découvert une partie de moi. J’ai constaté que je pouvais écrire mais surtout, et c'est là l’essentiel, que ce que j'écrivais et la manière dont je le faisais, pouvait parler aux gens. Même en ayant été journaliste, je ne me serais pas cru capable d’écrire un livre entier, et maintenant un deuxième. J'ai eu la grande chance de trouver une éditrice, au Cherche Midi, qui a cru très vite et très fort en mon écriture et en mon projet. Ça m’a dopée. 


Comment est née en vous l'envie de passer au roman après avoir travaillé sur un témoignage ?

J'avais, et j'ai encore, plein de choses à dire sur l'école, sur son rôle dans notre société. J’ai réfléchi à aborder ce thème à travers des personnages fictifs qui ne le sont pas vraiment au final parce qu’ils devaient, pour moi, être les plus réels possibles. J'ai commencé à gribouiller et j'ai tenu bon, en déroulant le fil quasiment jusqu'au bout avant de finir par en parler à l'éditrice qui m'avait accompagnée sur Merci Maîtresse !.


Comment s'est déroulée la phase d'écriture ?

Je ne savais pas exactement comment m’y prendre, je lisais ici qu'il fallait faire des fiches personnages, là qu'il fallait absolument écrire au moins une heure par jour... Ces conseils me paralysaient plus qu'autre chose, d’autant que je travaille à temps plein et que j'ai des enfants assez jeunes. Le vrai défi, ça a été surtout de trouver du temps. J'ai beaucoup écrit au petit matin, avant le lever des enfants, avant de remplir mon cerveau de tout ce que comprend une journée de classe. J'étais bien dans cette rue avec tous ces personnages, j'ai l'impression de m'y être installée pendant plusieurs mois et n'avais pas envie de la quitter.  J'ai aussi parfois vécu cet exercice comme une activité presque mathématique, car les choses doivent s'imbriquer naturellement et il faut que le tout soit cohérent. Il y a également une approche un peu cinématographique dans l’écriture : on pense presque en termes de plan de coupe, de raccord image... C'est un exercice à la fois génial, grisant, excitant et épuisant. On y met beaucoup de soi et on en sort forcément un peu rincée.


Quelles étaient les thématiques que vous souhaitiez à tout prix aborder ? 

La thématique de l'école et de son rôle me tient profondément à cœur. Je souhaitais défendre notre école publique, lui redonner cette place centrale qu'elle doit avoir dans notre société ; il s’agit d’un combat viscéral pour moi. Les autres thèmes qui sont ceux de la parentalité et de la discrimination en ont découlé naturellement. Le thème de la psychiatrie et de ce qu'on appelle « la folie » me passionne aussi beaucoup, et celui de la grossophobie me sidère littéralement.  Ce sont des sujets de notre quotidien qui concernent des gens qui nous entourent, qui sont juste à côté de nous. Je crois que j'ai gardé de mes années de journalisme cette envie de parler des gens, ni plus, ni moins.


Vos personnages respirent le réel ; comment les avez-vous façonnés et accompagnés ?

Je voulais parler des gens qui vivent dans votre rue ou dans celle d'à côté, de ceux qui ne vivent pas à Paris, qui ne lisent pas Le Monde, qui ne prennent pas le métro et qui, pour certains, survivent sans que personne ne les regarde jamais. Ce sont les parents de mes élèves, oui, ce sont mes voisins. Je me suis tout simplement inspirée de ce que je voyais et de ce que je croyais comprendre des uns et des autres.


Comme dans votre premier ouvrage, les enfants de ce roman sont des individus à part entière… 

Le moment où j'ai commencé à enseigner correspond quasiment au moment où je suis devenue maman. Les enfants sont donc entrés dans ma vie d'un coup alors que je ne m'étais jusque-là pas trop posé de question sur eux, sur ce que ça voulait dire être un enfant. Je me suis vite aperçue, à l'école essentiellement, qu'ils n'étaient pas « une masse d'enfants » mais bien des petits individus en construction. Certains portent des bagages bien plus lourds que ce que beaucoup d'adultes accepteraient de porter. Dans ce roman, les enfants sont des personnages aussi principaux que les autres.


Que représente pour vous le personnage de Marie, la directrice de l’école ?

J'y reconnais celle que j'ai appelé Laurence dans Merci Maîtresse ! et qui est encore aujourd'hui la directrice de mon école et mon amie. Elle m'a beaucoup inspirée pour écrire ce personnage ; ce que je raconte concernant le rendez-vous de Marie avec une cardiologue grossophobe est une scène qu'elle a réellement vécue. C'est une personne extraordinaire de conviction et de force ; je l'admire pour ce qu'elle est et pour la manière dont elle fait vivre notre école au quotidien. J'admire d'ailleurs tous les directeurs et les directrices d'école qui occupent des postes multitâches et jouent un vrai rôle social dans les quartiers.


Envisagez-vous la littérature comme un outil pour changer les modèles en place ? 

J'ai essayé d'écrire un roman social. Il y a de l'engagement, un peu de militantisme mais surtout une envie de dire ce qu'est la société, de la regarder en face avec tous ses défauts comme toutes ses qualités. Je voulais aborder cette manière que nous avons de ne plus regarder l'autre dans la rue mais de passer des heures sur notre portable, cette peur du voisin qui finalement n'a que très rarement lieu d'être. C'est ambitieux, mais c'est de tout ça dont j'ai envie de parler et de témoigner.


Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait sauver le modèle de l’école républicaine ?

Vaste question, même si je ne suis pas sûre que la solution soit si compliquée. Il faut juste respecter l’école, comprendre ce qu'est son rôle et qu'elle est l'antichambre de notre société. Piétiner l'école publique, la laisser trembler, c'est remettre en cause tout ce qui constitue le vivre-ensemble. À l'école, on apprend qui est l'autre pour parvenir à vivre avec lui, à côté de lui, dans la même rue ou dans la grande avenue un peu plus loin, si on a la chance d'y déménager un jour. Si on n'a pas appris ça correctement, alors on a vraiment raté une étape cruciale.


Dans la rue de l'école
La rue de l’école, elle monte. Ou elle descend, c’est selon. En haut, les façades des immeubles sont un peu noires. Plus bas, les villas s’ouvrent sur des allées de graviers blancs.
 
Ici, les habitants trimballent leur passé et bricolent leur présent. Au n° 7, Karine et son fils, Naël, essaient de repartir de zéro, ou plutôt de ne plus y rester. Juste au-dessous, Kamel apprend à être seul avec ses filles, Siryne et Nour. Au n° 24, Julie, la maman parfaite et quadra bien sous tous rapports, se cherche dans cette maison trop grande, dans ce confort qui l’encombre.
Au milieu, au n° 12 : l’école publique.
 
Nour disparaît un jour. Qu’ils viennent du haut ou du bas de la rue, les voisins se mobilisent pour la retrouver. Peut-être aussi pour se trouver.
 
L’histoire d’une rue, d’un quartier, d’une société fissurée que l’on peine à rafistoler.

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