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Par le cherche midi éditeur, publié le 08/04/2019

Anouk F : rencontre avec l'auteure de "Merci maîtresse"

Après avoir été journaliste pendant plus de huit ans pour Radio France, Anouk F. démissionne et s’inscrit en candidat libre au concours de professeur des écoles. Elle commence à enseigner en septembre 2013 et est actuellement "maîtresse" dans le sud de la France, dans une école REP, dite "de regroupement", accueillant des enfants allophones.

Avec Merci Maîtresse, Anouk ouvre grand la porte de sa classe pour nous faire découvrir sa vie d’enseignante. Elle dresse le portrait de ses élèves avec leurs grandes joies et leurs petits chagrins et nous raconte les meilleurs moments (mais aussi les pires !) de son année scolaire. Témoignage tendre et touchant, Merci Maîtresse explore le sujet parfois tabou des écoles REP "parce que finalement peu de gens savent ce qu’il s’y passe".

"Il y a Carla, qui est venue et qui a dû repartir, il y a Martim, qui aurait préféré ne pas être là, avec nous. Habib, qui espère chaque matin qu’il y aura sport aujourd’hui. Valentine et son papa. Timéo qui n’avait pas de chats mais des griffures quand même". Il y a Mathis, Cécilia, Kahina, Antoine, Lucie et Samia.

Chacun d’entre eux a son propre chemin, son histoire, sa personnalité et ses souffrances. Certains ont connu la guerre, la maladie, la violence et viennent d’un pays lointain. D’autres ont simplement passé la frontière d’un pays voisin et retrouvent leur père ou leur mère venus travailler en France. Il y a ceux qui prennent plus de temps que les autres pour comprendre l’exercice et ceux qui partent un soir et ne reviennent jamais.

Pourtant, toute leur innocence resurgit dans la cour de récréation car, finalement, ce ne sont que des enfants.

On ressent l’attachement que vous avez pour chacun d’entre eux. Parmi toutes les tranches de vie racontées dans Merci Maîtresse, quel est le profil, l’histoire qui vous a le plus marquée ?

Ils m’ont tous marquée, dans leur individualité, leur personnalité. Ils continuent de laisser leur marque aujourd’hui. Même ceux qui n’avaient pas de bagage spécialement lourd à porter, ils m’ont tous donné quelque chose d’eux. Parfois, on me dit : "Quand tu étais journaliste, tu faisais des rencontres, tout le temps". Je réponds que des vraies rencontres, humaines, sincères, je les fais aujourd’hui, tous les jours.

Néanmoins, si je devais choisir une histoire, un enfant qui m’a vraiment marquée, je dirais que c’est la petite fille que j’appelle Carla dans le livre. Elle est arrivée dans notre école en guenilles, sa maman portait un bracelet électronique. Pour le coup, le bagage de la petite était super lourd mais elle a peu à peu réussi à en vider une partie en étant avec nous, dans la classe. Et puis elle a dû partir, quitter l’école alors qu’elle n’en avait pas du tout envie. Cette séparation a été violente pour moi et pour elle aussi, forcément. Je me demande encore aujourd’hui où elle est, comment elle va. Et je n’en sais rien.

Vous faites partie de l’Éducation nationale depuis sept ans maintenant, vous avez un peu plus de recul par rapport à vos débuts. Pouvez-vous nous dire la plus belle chose dans ce métier ? Et la moins facile à vivre ?

La plus belle chose, je pense que c’est ce sentiment de fierté quand on a appris quelque chose à un enfant. Ce tout petit moment où il y a les yeux qui brillent parce que ça y est, il a compris. Les enfants ont une spontanéité que les adultes ont perdue. Ils ne peuvent pas faire semblant pour nous faire plaisir. S’ils n’ont pas compris, ils n’ont pas compris et c’est à toi, l’enseignant, de te remettre en question, pas à lui. Mais le jour où il a compris, parce que tu lui as donné les bonnes pistes, la bonne direction. Sa fierté et sa joie transpirent, c’est génial. J’adore ces moments-là.

La chose la moins facile à vivre, je dirais que c’est la méconnaissance qu’ont les gens de notre métier. Le fait que ceux qui ne vivent pas l’école, et je ne leur jette pas la pierre, ne savent rien de tout ce qui nous incombe, de la manière dont nos journées se passent. C’est le cas pour beaucoup de métiers. Je n’ai aucune idée de comment se déroule exactement la journée d’un pâtissier. Mais le pâtissier ne s’occupe pas de mes enfants, il a un rôle super important dans la société (surtout pour les gourmandes comme moi) mais ne pas connaître ce métier-là n’a pas de conséquence sur la manière dont fonctionne la société. A contrario, je pense que si tout le monde savait ce qu’est le job d’enseignant, beaucoup de choses se régleraient et la société irait (un peu) mieux.

Ce portrait est celui de toutes les écoles, votre livre n’est pas un document brut sur l’Éducation nationale, mais un point de vue littéraire, réaliste et bienveillant sur le métier de ceux qui passent plus de temps avec les enfants que leurs propres parents. Dans votre ouvrage, vous insistez beaucoup sur le fait que votre école est semblable aux autres, que l’appellation REP ne signifie pas que les enfants soient différents. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les caractéristiques d’une école REP ? Merci Maîtresse n’a pas vocation d’être destiné uniquement aux instituteurs mais s’adresse également aux parents, et pas uniquement aux parents dont les enfants sont en REP. Est-ce dans cette optique-là que vous avez écrit ce livre ?

Oui, tout à fait. Je veux qu’on sache ce qu’est l’école. Je veux qu’on cesse de juger sans savoir. Parce que juger une école parce qu’elle est REP, c’est juger des enfants. C’est terrible de juger des enfants, de les montrer du doigt. Une école est dite REP, donc appartenant à un réseau d’éducation prioritaire, en fonction des catégories socio-professionnelles des familles qui y inscrivent leurs enfants. Donc oui, nous accueillons des familles parfois en difficulté, mais alors quoi ? Est-ce qu’avoir un papa chômeur rend un enfant différent d’un autre ? Non. Mille fois non.

J’aimerais en effet que ce livre ne soit pas uniquement lu par des enseignants parce que les enseignants, s’ils aimeront s’y reconnaître et s’y sentiront sûrement compris, ce qu’ils veulent, c’est qu’on les comprenne de l’autre côté du portail. Les parents, la société en général doit absolument changer son regard sur l’école publique, je crois vraiment que c’est urgent.

Vous êtes dans une école REP accueillant des enfants allophones. Certains ne parlent pas un mot de français et vous êtes la personne qui va les aider à s’acclimater à cette nouvelle vie loin de leur pays d’origine et parfois loin de leur famille. Était-ce important pour vous de débuter votre carrière de maîtresse d’école dans un environnement tel que celui-ci ?

Ce n’était pas vraiment un choix, mais c’est une vraie chance, oui. Je parlais tout à l’heure de différences. Elles n’existent pas, dans cette école. Un enfant syrien joue dans la cour avec un autre tout juste arrivé de Serbie. Une autre, fille de chômeur, joue avec sa meilleure copine dont le père est médecin. J’adore cette richesse. Je rêve parfois que notre société soit comme ça, comme ces enfants dans la cour de récréation. Je suis utopique, un peu ?

Il y a dix ans, vous étiez journaliste. Aujourd’hui, vous êtes maîtresse d’école. Où pensez-vous être dans dix ans ?

Je crois que j’ai trouvé ma voie à l’école. Je pense que je vais y rester. Peut-être pas en classe toute ma vie, peut-être que je m’orienterai vers d’autres spécialités : les enfants allophones justement, l’enseignement spécialisé pour enfants handicapés. Enseigner en prison me plairait aussi beaucoup. Mais, pour l’instant, j’aime le lieu qui est celui de l’école. Je suis contente d’aller à l’école tous les matins, comme quand j’avais 6 ans !


 

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