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Par Slalom, publié le 25/05/2021

"Black Kids" : Kanelle Valton et l'importance du rôle de "sensitivity reader"

Dans The Black Kids, l’autrice Christina Hammonds Reed partage avec nous le récit intense et engagé d’une Los Angeles déchirée par les troubles civils au début des années 90 à travers les yeux d’une jeune adolescente noire qui cherche sa place entre communauté noire et blanche.

Los Angeles, 1992. Des policiers viennent d’être acquittés alors qu’ils ont passé à tabac Rodney King, un homme noir. Ashley Bennet, 17 ans, se pensait jusqu’ici hors d’atteinte. Fille d’une famille aisée, fréquentant un lycée huppé, elle ne s’est jamais sentie victime d’injustice ou de discrimination raciale... Ou peut-être que si ? Entre racisme, troubles civils et appartenance communautaire, The Black Kids est un roman engagé et universel.

Pour préserver l’intégrité et la subtilité de l’histoire tout en étant le plus fidèle possible à la version originale, les éditions Slalom ont fait appel à une « sensitivity reader ». Aujourd’hui, Kanelle Valton revient sur son parcours et sur l’importance de son rôle dans la conception du roman The Black Kids.

 

Kanelle, pour commencer, pourriez- vous nous en dire un peu plus sur votre rôle de « sensitivity reader » et en quoi cela consiste ?

J’ai d’abord été sollicitée pour rédiger une postface pédagogique traitant de deux évènements historiques évoqués dans le roman : le massacre de Tulsa, en 1920 et l’affaire Rodney King, en 1992. C’est en lisant la version originale de l’ouvrage que m’est venue l’idée de proposer une contribution supplémentaire sous forme de notes et de suggestions concernant la traduction. En pratique, je distinguerais deux dimensions à mon travail de « sensitivity reader » :

  • J’ai repéré et traduit le plus fidèlement possible des expressions ou expériences typiquement afro-américaines. Je suis intervenue par exemple sur une scène de coiffure et la description de la texture des cheveux de l’héroïne. J’ai aussi explicité des jeux de mot et plaisanteries faisant référence à la culture afro-américaine.
  • J’ai été attentive ce qu’il n’y ait pas de glissement entre la version originale et la traduction dans la façon dont les personnages sont représentés. Par exemple, dans un des passages décrivant un groupe de garçons afro-américains, les allusions à leur jeunesse présentes dans la VO laissaient place en version française à un vocabulaire un peu plus menaçant. Il me semblait important dans un contexte où les garçons Noirs sont souvent perçus comme plus âgés et comme des criminels en puissance, de rester au plus près du texte original. Autre exemple : la désignation de groupes précis d’individus (« black dudes», « black kids », « middle aged black folks ») étaient à plusieurs reprises traduite par le terme générique « Noirs ». Il me semblait essentiel là aussi de préserver la subtilité du texte original pour faire apparaître la diversité qui existe à l’intérieur de la communauté noire.

 

Vous avez étudié la sociologie des relations interethniques, l’histoire de l’esclavage et l’anthropologie du développement. De quelle manière cela vous a permis d’avoir un regard plus pertinent sur le roman The Black Kids et sa traduction ?

J’ai étudié l’histoire de l’esclavage et les questions raciales pendant un an à la Sussex University en Angleterre. J’ai poursuivi sur cette voie à GWU pendant un semestre, sur les tensions entre histoire et mémoire de l’esclavage et sur les questions raciales contemporaines aux Etats-Unis. Ces enseignements m’ont offert une compréhension fine du contexte historique du roman, mais ils m’ont également sensibilisée à la façon dont les minorités sont représentées. Les termes choisis dans la traduction révèlent-ils des stéréotypes ? Correspondent-ils à l’esprit du texte de l’auteur ? Mon rôle est de rendre visibles et d’interroger des éléments auxquels le reste de l’équipe ne penserait peut-être pas.

 

De nos jours, les sujets sensibles tels que le racisme ou l’appropriation culturelle sont sujets à grandes polémiques sur les réseaux sociaux. Avez-vous ressenti une certaine pression à l’idée de rendre la traduction de ce livre la plus proche possible de la version de Christina Hammond Reeds ?

J’ai débuté ma mission en pleine tempête médiatique autour de la traduction d’Amanda Gorman. Pour travailler sereinement, je n’ai lu aucun article et je me suis confrontée au texte sans a priori. Cette expérience m’a surtout convaincue de la nécessité d’une relecture experte dans le processus de traduction des ouvrages émanant de cultures étrangères ou de groupes historiquement marginalisés. Nous avons tous des points aveugles. Nous n’avons pas nécessairement les clefs de compréhension des mondes auxquels nous n’appartenons pas ou que nous n’avons pas étudiés. Nous véhiculons souvent des idées reçues sans même nous en apercevoir. Je m’impose la rigueur scientifique acquise dans le cadre de ma formation universitaire : mes commentaires et suggestions sont systématiquement justifiés par des références bibliographiques que je partage avec l’équipe.

 

Le mouvement #BlackLivesMatter a pris une ampleur internationale après l’assassinat de Georges Floyd en 2020, et la question du racisme et des inégalités bouscule la littérature. Considérez-vous qu’il reste beaucoup de chemin à faire avant d’atteindre une égalité de représentation des héroïnes et héros de fiction, notamment dans les livres Young Adult ?

Je pense qu’au-delà des débats sur l’utilité ou la légitimité des sensitivity readers, nous devons nous interroger sur la diversité de toute l’industrie littéraire, des équipes dirigeantes des maisons d’édition aux auteurs. A-t-on réellement tous les mêmes chances d’être publiés ? De travailler dans le milieu de l’édition ? L’humanité toute entière devrait pouvoir se raconter librement et contribuer au développement de cette industrie.

 

Quel passage du roman vous a le plus marquée ?

J’ai été fascinée par l’usage des références musicales : de Whitney Houston à Humpty Hump (qui nous a quitté récemment) en passant par Public Enemy ou Naughty By Nature… J’espère que les lecteurs iront chercher les titres cités pour se faire une belle playlist 90’s !

(Découvrez la playlist de The Black Kids juste ICI !)

 

Décrivez le roman The Black Kids en 3 mots ?

Riche. Engagé. Passionné.

 

Et enfin, qu’espérez-vous que les lecteurs retiennent de ce roman ?

Que les questions soulevées dans ce roman, dans le décor exotique de Los Angeles, trouvent de nombreux échos à nos portes.

 

The Black Kids - Roman - Questions raciales - Emeutes - Années 90
1992, Los Angeles s’embrase. Des policiers viennent d’être acquittés alors qu’ils ont passé à tabac Rodney King, un homme noir. Ashley, 17 ans, se pensait jusqu’ici hors d’atteinte. Fille d’une famille aisée, fréquentant un lycée huppé, elle ne s’est jamais sentie victime d’injustices ou de discriminations raciale... Ou peut-être que si ?
Une histoire d’amour naissante, des secrets dévoilés et une atmosphère de fin du monde lui ouvrent les yeux : elle, qui a toujours oscillé entre communauté noire et blanche, réalise qu’elle peut trouver sa place, sans avoir à choisir un camp.

Slalom