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Par Presses de la Cité, publié le 27/01/2023

Christian Laborie nous parle de l'Appel des Drailles

"Plus que tout autre de mes romans, L’Appel des drailles occupe dans mon cœur une place particulière. C’est à ce roman en effet que je dois ce que je suis devenu aujourd’hui en tant qu’écrivain. Il ne s’agit pas de mon premier roman, mais du quatrième édité. Avant lui, sous l’égide du foyer de Cachan pour le prix littéraire délivré par La Poste-France-Télécom, vous avez pu découvrir L’Arbre à palabres (2001), puis, aux Éditions De Borée, L’Arbre à pain (2003) et Le Chemin des larmes (2004)."

"Mon parcours d’écrivain commençait timidement. J’étais fier de pouvoir arborer ce terme en ce qui me concernait. Michel Jeury, l’auteur de L’année du certif, de La vallée de la soie et de nombreux autres ouvrages, qui fut longtemps mon voisin, habitant Anduze à quelques kilomètres de chez moi, m’avait dit un jour, alors que je lui soumettais la première mouture de mon roman sur les drailles, qu’on ne devient écrivain qu’après avoir écrit trois romans ; en deçà, on n’est qu’un auteur. Avec ce quatrième titre, je passais donc la barre fatidique et entrais dans la cour des écrivains. Ce dont j’étais fier.

Voilà aussi en quoi L’Appel des drailles est un roman qui aura marqué mon cheminement.

 

Très vite, j’ai été heureux de toucher des lecteurs attirés par les romans régionaux et, très naturellement, je me sentais à ma place dans ce courant littéraire tracé par Claude Michelet et les auteurs de l’École de Brive.

À l’époque, j’étais à cent lieues de penser qu’un jour je côtoierai ces écrivains talentueux dans les salons du livre et, aujourd’hui, dans ma propre maison d’édition, Les Presses de la Cité, tels que Yves Violier, Gilbert Bordes ou Jean-Guy Soumy.

 

Que de chemin parcouru depuis ces années où tout me paraissait incertain et aléatoire ! J’étais conscient de la chance que j’avais d’être édité et n’en demandais pas davantage. J’espérais seulement que l’inspiration ne me quitterait pas trop vite, que les Cévennes me parleraient encore pour m’insuffler d’autres thèmes de réflexion. La paysannerie dans le milieu du châtaignier, la construction de la voie ferrée transcévenole m’avaient déjà procuré de belles et enrichissantes heures d’écriture. La richesse de ma région s’avéra vite une vraie fortune pour l’écrivain que j’étais devenu.

 

Mon dessein fut alors de concevoir un roman de l’itinérance.

Mais pour tous ceux qui connaissent les Cévennes, un tel sujet n’était pas évident. Aucun grand cours d’eau ne traverse les montagnes cévenoles, la région n’a guère subi d’importants flux migratoires qui auraient pu nourrir une belle épopée. Même si nos aïeux camisards ont, pour certains d’entre eux, migré à travers toute l’Europe à l’époque de Louis XIV pour fuir les persécutions pratiquées contre les protestants, ce thème de l’itinérance ne s’appliquait pas spécifiquement à la région qui, dans ce cas précis, n’en aurait été qu’un point de départ.

 

Après mûre réflexion, et après avoir accompagné une transhumance à travers les Cévennes avec mes élèves, les drailles se sont imposées à mes yeux. Je les connaissais bien, ces chemins de transhumance pour les avoir parcourus de nombreuses fois à l’occasion de randonnées que j’organisais en tant que fondateur d’un club de marche dans ma commune. Tous ces sentiers empruntés par les troupeaux et les bergers, puis, de plus en plus, par les marcheurs, commençaient à ne plus avoir de secrets pour moi. J’en avais suivi les principaux itinéraires. Les GR, chemins de grande randonnée, balisés en rouge et blanc tout au long de leur parcours, me poussèrent à écrire ce roman d’une itinérance particulière qu’est celle des brebis lorsqu’elles montent à l’estive à la fin du printemps et en redescendent à l’automne.

Je détenais mon idée, mon thème ; il ne me suffisait plus qu’à imaginer une belle et grande odyssée le long de ces drailles.

 

En même temps, j’avais une forte envie de me lancer dans une « saga familiale », une histoire de famille sur plusieurs générations et à travers de nombreuses décennies. C’est un genre littéraire qui me plaisait beaucoup en tant que lecteur. Plus jeune, j’avais beaucoup aimé Les Thibault de Roger Martin du Gard, Les semailles et les moissons d’Henri Troyat, ainsi que Les Buddenbrock de Thomas Mann que j’avais étudié en cours d’allemand au lycée, sans oublier évidemment Les Rougon-Macquart d’Émile Zola dont les volumes furent longtemps mes livres de chevet.

Le vingtième siècle serait donc mon cadre historique, pour pouvoir traiter l’évolution du métier de berger. Celui-ci, en effet, a subi de grandes transformations en l’espace d’un siècle, depuis l’époque où les bergers montaient à l’estive à pied pendant quatre à cinq jours selon l’endroit où ils « emmontagnaient », époque aussi où ils usaient encore de méthodes empiriques pour soigner leurs bêtes, jusqu’aux années plus récentes où la transhumance a commencé à se pratiquer en camion et où les drailles se sont transformées pour la plupart en simples chemins de randonnée.

 

Plus je découvrais en détail la vie des bergers, plus il devenait évident à mes yeux de néophyte que je détenais là un immense champ de réflexion et d’inspiration. Petit à petit, mes personnages ont pris forme, acquis leur caractère, leurs forces et leurs faiblesses. Antoine Chabrol d’abord et son épouse Adeline, deux paysans modestes assujettis à un grand propriétaire dont ils ne sont que les métayers. Immédiatement le rapport de force s’est imposé au fil de l’écriture de mon synopsis. Il s’agira d’une opposition sociale entre deux mondes, celui des grands et des puissants et celui des petits qui luttent pour leur liberté et leur honneur. C’était le cas dans le milieu paysan comme dans le milieu ouvrier en ce début de XXe siècle. Je l’ai montré aussi dans Terres noires qui nous plonge dans l’univers impitoyable de la mine à la fin du XIXe siècle… Cela a-t-il bien changé ?

Après Antoine, trois autres générations de bergers suivront et nous emmèneront de décennie en décennie jusqu’à l’aube des années quatre-vingt, en affrontant les tourments de l’Histoire.

À travers leur vie, ce sont les événements de leur époque que j’ai voulu traiter à la manière d’une actualité toujours présente et dont ils sont les acteurs. Au fil des pages que je rédigeais, je pénétrais dans leur monde dont je perçais le secret, je partais à leur découverte en m’immisçant dans leur intimité, en les suivant dans leurs problèmes quotidiens – et ils étaient nombreux les problèmes à résoudre quand ils étaient seuls à l’estive pendant des mois !

Par le biais d’une belle et grande histoire, mon but était de créer un univers proche de la réalité, de reconstituer pas à pas les chemins parcourus par les troupeaux en étant le plus précis possible, pour que le lecteur puisse se projeter dans ce monde merveilleux où la nature s’impose à tous. 

 

Plus de vingt ans séparent la rédaction de cette préface de la première édition de ce roman. Quand j’ai conçu L’Appel des drailles au début de l’année 2001, j’étais loin d’imaginer qu’il serait celui par lequel je fidéliserai tant de lecteurs. À l’époque, je n’étais pas encore édité, donc pas encore vraiment écrivain, et ne pensais pas le devenir. J’écrivais pour le plaisir, comme un peintre amateur, sans prétention, sans autre intention que de me mettre chaque fois au défi de commencer et de terminer un roman.

Aussi ne puis-je que me réjouir du succès que cet ouvrage a immédiatement connu. J’en fus le premier surpris. Depuis, beaucoup de mes premiers lecteurs n’ont pas cessé de me suivre à travers d’autres histoires que je me suis toujours complu à raconter pour les faire rêver, mais aussi pour leur faire découvrir la région où je vis et qui m’a si bien accueilli quand je n’étais qu’un « estranger » aux yeux des Cévenols de pure souche.

 

 Cette nouvelle édition s’adresse plus particulièrement à ceux et celles qui ne m’ont pas découvert à l’époque ou qui ne me connaissent qu’à travers mes romans plus récents.

Avec L’appel des drailles et sa suite Les drailles oubliées, je leur souhaite de se laisser emporter sur les chemins de la grande transhumance comme sur un long fleuve tranquille, un fleuve de laine qui serpente entre « serres et valats », dans une montagne généreuse, belle et secrète comme le sont les montagnes cévenoles, au pays des derniers vrais bergers et de leurs troupeaux.

Bonne route !"

L'Appel des drailles
Aussi belle que soit la fête de la transhumance, pour le petit Mathieu c’est un déchirement de voir son père partir pour l’estive chaque année. Pourtant, il l’a décidé, lui aussi cheminera un jour sur la draille. Considéré comme le meilleur berger du pays, Antoine Chabrol emmontagne sur les causses avec un beau cheptel tandis que sa femme se prépare à cinq mois de solitude avec ses enfants. Mais le sort du berger est irrémédiablement lié au bon vouloir du châtelain. Car Antoine est métayer.
À l’approche du XXe siècle, la vie de ces hommes de la terre, entre labeur et soumission, est rude. Et bientôt, unis par une vraie solidarité et par l’amour de leur métier, ils font souffler un vent de révolte.
Antoine et les siens vont y prendre part...

Une plongée émouvante dans l’univers des métayers cévenols et des rites de la transhumance. 

Presses de la Cité

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