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Par le cherche midi éditeur, publié le 19/10/2021

David di Nota « Mon travail consiste à dégager aussi nettement que possible la part de cruauté que l'assassinat de Samuel Paty [...] dissimule.»

Magistrale, cette contre-enquête fascinante de l’auteur David di Nota revient sur une série d'incohérences institutionnelles, récit d'un mensonge orchestré par des islamistes, déconstruction méthodique d'un antiracisme dévoyé qui semble résumer toute une époque, ce livre restitue cet événement politique majeur avec un sens du détail et une clarté redoutables. Rencontre avec l'auteur.

Pourquoi avez-vous écrit ce rapport sur l'assassinat de Samuel Paty ?

Ce qui m'a immédiatement frappé lors de l'attentat du 16 octobre 2020, ce n'est pas que des islamistes se comportent comme des islamistes en décapitant un homme : il faudrait être d'une extraordinaire naïveté pour s'en étonner. Non, ce qui a immédiatement retenu mon attention, c'est que l'on ait accumulé des couches de commentaires sur des couches de commentaires avant de chercher à savoir, tout simplement, ce qui s'était passé.

J'aimerais vous donner tout de suite un exemple : dans le sillage immédiat de l'assassinat, une polémique a éclaté en France, initiée par le ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, sur l'existence – ou non – de “l'islamo-gauchisme”. Existe-t-il un phénomène tel que l'islamo-gauchisme ? Il se trouve que le réel a déjà répondu à cette question. Il suffit d'analyser les arguments de l'islamiste qui a mené la campagne de haine contre Samuel Paty, Abdelhakim Sefrioui, arguments qui reprennent tous les thèmes chers à la gauche dite « radicale » (comme le racisme d'Etat ou l'idée que la défense de la laïcité française serait une arme tournée contre les musulmans), pour observer cette collusion in situ. Je vous renvoie à la vidéo de Sefrioui sur ce point, vidéo qu'on aurait bien tort de négliger. Non seulement cette collusion objective existe, mais c'est elle qui a précipité, dans les faits, l'assassinat de Samuel Paty. Répondre à cette question dans l'abstrait au lieu de partir de l'assassinat lui-même est une grave erreur - sauf à considérer que le réel n'a rien à nous apprendre, sauf à se réfugier dans le déni.

Il faut donc partir du singulier pour s'élever vers le général, et non l'inverse. J'ai éprouvé la nécessité de remettre tout à plat, de raconter les faits les uns après les autres, en essayant de saisir la dynamique qui nous fait passer d'une rumeur infondée portant sur l'islamophobie supposée de Samuel Paty (rumeur lancée par une élève qui n'était pas dans la classe) à la décapitation d'un homme.

Quel genre d'homme était Paty ?

On s'est beaucoup employé à présenter Samuel Paty comme une sorte de prof un peu naïf. Il est crucial de comprendre pourquoi sa hiérarchie elle-même a défendu cette version.

Reprenons les faits chronologiquement : alors que l'enseignant fait l'objet de menaces physiques orchestrées par un islamiste notoire, l'Education nationale fait le choix - admirons le timing - de mettre l'enseignant en accusation en lui reprochant d'avoir fait une « erreur ». Quelle erreur ? Celle de « froisser » (c'est le terme utilisé) les « élèves ». C'est une thèse très étrange. D'abord parce qu'elle est fausse – Samuel Paty n'a pas froissé ses élèves : ceux-ci ont témoigné au contraire du caractère bon enfant du cours, de la bonne ambiance générale. Ensuite parce que cette thèse est celle de la menteuse, autrement dit de l'élève qui n'était pas dans la classe. Pourquoi la thèse du “référent laïcité” est-elle la même que celle de la menteuse ? Voilà une anomalie très curieuse, que le rapport officiel de l'Inspection générale s'est bien gardé de relever, et moins encore d'expliquer.

A rebours de cette approche qui consiste à prendre l'enseignant « de haut », je montre dans mon livre que Samuel Paty était parfaitement lucide : et sur les islamistes qui cherchaient à déstabiliser son cours sur la liberté d'expression, et sur le « soutien » – pour le moins ambigu, pour le moins étrange, pour le moins ambivalent – de son administration. Lorsqu'il déclare au commissariat, trois jours avant son assassinat, « je n'ai commis aucune infraction dans l'exercice de mes fonctions », il répond, non pas au commissaire, mais à son administration.

Reste une question de fond : pourquoi vouloir que l'enseignant admette à tous prix une « erreur » ? C'est la question qui nous fait entrer au cœur de « l'inconfessable » – celle qui révèle ce point crucial que l'administration ne reconnaîtra jamais. On a cherché à « recadrer » le professeur pour donner des gages de bonne foi à la cohorte des harceleurs avec l'espoir que, par la grâce de ce recadrage, les choses se calmeraient. Le professeur est devenu le fusible parfait, la variable d'ajustement, le fautif idéal, et c'est d'ailleurs pourquoi, dès le départ (autrement dit le 6 octobre) on demande à Samuel Paty de s'excuser pour un malentendu créé de toutes pièces par une élève qui n'était pas dans la classe. « L'absurdité de la situation touche comme bien souvent au comique », écrira l'enseignant dans un email.

Dans cette histoire, qui est coupable ?

Je n'attaque jamais des personnes en particulier dans mon livre et je n'adopte jamais la position du juge. Ce n'est pas mon travail. Mon travail consiste à dégager aussi nettement que possible la part de cruauté que l'assassinat de Samuel Paty - cet agencement administratif si singulier - dissimule. La cruauté, ce n'est pas l'islamisme. Il est très facile de condamner l'islamisme, mais il est beaucoup plus difficile d'examiner la cruauté systémique qui expose et continue d'exposer les enseignants - les passeurs indispensables de notre culture - au quotidien. L'assassinat de Samuel Paty nous en fournit l'occasion, à condition, comme dirait Althusser, « de ne pas se raconter d'histoires ». C'est tout l'enjeu de ce livre - un enjeu, à vrai dire, profondément littéraire. Pour autant, ce livre n'est pas une fiction. Ce livre est la non-fiction que j'oppose à tous ceux qui entendent nous raconter des histoires.

Quel est l'enjeu de cet assassinat ?

« Pourquoi cherchez-vous à semer la discorde ? » : voilà comment les harceleurs de Conflans Sainte-Honorine ont fait pression sur Samuel Paty avant de présenter l'enseignant comme un islamophobe sur les réseaux sociaux (jusqu'à ce qu'Abdoullakh Anzorov, l'assassin, ne le prenne en chasse). Les islamistes sont passés maîtres dans l'art de renverser les rôles, mais ils ne sont pas les seuls, tant s'en faut. « Samuel Paty a été assassiné ? C'est bien la preuve que la laïcité française est coupable », voilà comment raisonnent certains éditorialistes du New York Times et une partie non négligeable de l'intelligentsia française et internationale. J'aimerais attirer l'attention sur le fait que la même tactique d'intimidation s'est exercée quelques mois plus tard en Angleterre, dans le Yorkshire, à la Batley Grammar School. Une fois encore des prétendus « parents d'élèves » sont venus menacer un enseignant au nom de leurs interdits religieux ; une fois encore les élèves ont pris la défense de leur prof en soulignant le fait qu'ils n'étaient pas du tout « choqués » par la caricature de Charlie Hebdo présentée dans le cadre du cours. Si la colère des croyants s'explique par le caractère insuffisamment « ouvert » ou tolérant de la laïcité française, pourquoi ce chantage a-t-il lieu en Angleterre, dans un pays de tradition politique aussi différente ? La vérité est que le procès fait à la laïcité française ne tient pas debout. Quelles que soient leurs traditions et leurs singularités, toutes les sociétés séculières sont attaquées de la même manière en Europe, de sorte qu'il n'est pas difficile d'observer le même chantage se répéter partout.

L'enjeu consiste à observer comment nous réagissons quand un individu est pris en chasse par des islamistes. L'enjeu consiste à observer comment les sociétés séculières défendent leurs propres principes lorsqu'elles sont attaquées à la base par des « entrepreneurs de colère » qui confondent religion et violence. Dans une société séculière, chacun est libre de croire ou de ne pas croire, mais personne n'a le droit d'imposer ses interdits religieux à tous les autres : il va sans dire que menacer un professeur au nom d'un interdit religieux trahit une méconnaissance complète de ces principes.

Craignez-vous que l'assassinat de Samuel Paty soit le préambule d'un avenir sombre ?

S'il est une chose que je redoute, c'est que le nouvel impératif de l'Education nationale en France (« mieux former les enseignants à la laïcité ») ne serve qu'à placer, une fois encore, l'enseignant sur la sellette. On continue de superposer ces deux problématiques, la formation des enseignants à la laïcité et le nom de Samuel Paty, comme si une maladresse pédagogique était à l'origine de l'assassinat. C'est à la fois indécent moralement et malhonnête intellectuellement. Comme dans Le Procès de Franz Kafka, tout part d'une calomnie : c'est de cela qu’il nous faut partir pour décrire avec exactitude ce qui s'est passé.


Réponses à Giulio Meotti à propos de J'ai exécuté un chien de l'enfer, Il Foglio, octobre 2021.


J'ai exécuté un chien de l'enfer
« Que s’est-il passé ? Pourquoi est-ce arrivé ? Comment cela a-t-il été possible ? », s’interrogeait en son temps Hannah Arendt. Telles sont les trois questions que l’auteur a choisi de se poser afin d’analyser la rumeur infondée qui devait conduire à l’assassinat d’un professeur de collège dans une petite ville paisible des Yvelines. Contre-enquête fascinante sur une série d’incohérences institutionnelles, récit d’un mensonge orchestré par des islamistes, déconstruction méthodique d’un antiracisme dévoyé qui semble résumer toute une époque, ce livre restitue cet événement politique majeur avec un sens du détail et une clarté redoutables.

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