Deuxième roman après Le Lion sans crinière, qui fut notamment sélectionné pour le prix Joseph Kessel, La Grande Vallée orchestre le lancement de la nouvelle collection du cherche midi : Cobra. Adepte de grands espaces et de littérature, Édouard Bureau signe un récit initiatique, un cri d'amour à la nature et un appel à la vie intérieure. Discussion passionnée avec cet auteur hors de son temps.
Quelle est la genèse de ce deuxième roman ?
L'idée de ce roman m'est venue un soir à Paris, en voyant au-dessus de ma tête une chape de nuages couleur de soufre. J'ai alors repensé à une nuit merveilleuse passée dans les Hautes-Alpes quelques mois auparavant ; je me suis demandé comment nous pouvions supporter de passer tant de nuits sans étoiles. De cette réflexion, liée à un émerveillement fréquent face à la beauté de la nature, est née une des scènes d'ouverture : on y retrouve deux bergers rêvassant face aux astres et se demandant s'il serait possible qu'un jour arrive où ils leur seraient cachés. De cette réflexion est également sortie la scène de fin mais je n'en dirais pas plus...
Comment vous est apparu ce lieu, la Grande Vallée ?
Initialement située (du moins dans mon esprit) dans les alpages des Alpes de Haute-Provence, cette Grande Vallée (imaginaire) a migré plus à l'est, en pays résian, un petit bout d'Italie où survivent une langue régionale et sa poignée de locuteurs. Mais, si on met de côté les forêts de mélèzes, les flancs de montagnes couverts d'orchis et de pois de senteur, je crois que la Grande Vallée est un peu en chacun de nous, qui avons si facilement la tentation d'abandonner la beauté comme le font les habitants du fond de la vallée.
Il y a dans votre livre un appel fort pour une poésie retrouvée, un sens de la beauté qu’on aurait perdu…
La beauté est devenue une notion que beaucoup regardent avec des yeux étonnés, surpris qu'on en parle encore. Pourtant, elle est structurante pour nous faire espérer, pour nous faire prendre les engagements qui en valent la peine, pour nous reposer aussi. Tout le monde a déjà connu l'expérience si forte de trouver beau un grand paysage, comme si subitement nous comprenions notre appartenance à l'humanité et au monde. La beauté est fascinante de simplicité et de richesse : elle parle au cœur en étant, sans effort aucun. Or il en va de même de la poésie. Ces deux termes, hélas soit galvaudés soit moqués, devraient irriguer continuellement notre rapport au monde et aux autres : dans nos relations amicales, dans l'architecture, dans les idéaux que nous empruntons ou dans les messages que nous passons nous devrions tous garder à l'esprit la beauté et la poésie. Quel combat énorme...
Pouvez-vous nous parler de ce que la « vie intérieure » représente pour vous ?
La vie intérieure est celle qui échappe à la vie temporelle. Elle ne doit pas souffrir mais, éventuellement, se nourrir des contingences quotidiennes. Elle ne se situe pas dans l'immédiateté puisqu'elle est un fil tendu entre nos pensées passées et nos espérances d'avenir, cependant qu'elle s'ancre dans notre présent. Cette triple temporalité est en réalité une forme de pérennité, de continuité et, si j'ose parler d'âme, d'immortalité. On comprend ainsi mieux le mot célèbre de Georges Bernanos, qui voyait dans la civilisation moderne une conspiration universelle contre toute forme de vie intérieure : nos existences souvent trop rapides, nos esprits toujours trop pollués par le bruit et l'agitation du monde ont besoin de calme, de paix, bref d'intériorité pour exister réellement, pour être.
Vous évoquez la transformation d’un monde, la peur d’un chamboulement irréversible… Cette crainte guide-t-elle votre travail littéraire ?
La fragilité des beautés que l'homme et la Création nous offrent m'interpelle et nourrit mon travail d'écriture, oui. Or, je crois qu'on écrit comme on espère : c'est pourquoi il faut oser espérer très fort parce que tout chamboulement peut être remis droit ; et c'est de cette espérance, parfois difficile, quelquefois forcée, que je veux tirer une manière d'écrire qui ne fait l'économie ni de l'espoir ni des mots.
Qu’est-ce que vous évoque la collection Cobra, dans laquelle votre roman est publié ?
La collection Cobra, dès son nom évocateur, nous emmène loin : dans des contrées lointaines autant que dans des profondeurs intimes. Et c'est parce que le romanesque permet ce double mouvement d'éloignement dans la rêverie et de découverte de l'intime partagé que je pense que cette collection répond à la vocation de la littérature.
Du 12 au 14 avril, les amoureux de lecture se réunissent au Grand Palais Ephémère pour le Festival du Livre de Paris. Découvrez dès à présent les auteurs présets sur place.