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Par Presses de la Cité, publié le 20/10/2022

"Élodie Kulik, c'est la jeune femme que toute jeune femme pourrait vouloir être, celle que tout homme pourrait vouloir épouser, celle que tout le monde aurait pu aimer. "

Pour la première fois, l’affaire Élodie Kulik fait l’objet d’un livre. Son auteur, Catherine Siguret, a publié plus de soixante-dix ouvrages (biographies, témoignages, récits de témoins de société…). Nourrie de ses rencontres avec des anonymes et des personnalités, Catherine Siguret s’applique à restituer au plus près leur vérité et leur univers, dans des livres qui défilent comme des films. Elle a notamment signé Calais mon amour, pour Béatrice Huret (Kero Editions, adapté au cinéma sous le titre Ils sont vivants avec Marina Foïs), Défense d’aimer, pour Florent Gonçalves (Les Presses de la Cité, adapté au cinéma sous le titre Éperdument, avec Adèle Exarchopoulos), et, en 2022, Nous n’avions pas d’argent, mais nous avions l’amour, pour Roman Malo. La Vie, l’amour, tout de suite ! (pour Julie Briant, Albin Michel) sera diffusé sur M6 durant l’automne.

Au cœur de son écriture, les histoires vraies et l’humain.

 

  • Comment avez-vous découvert l’affaire Élodie Kulik ?

Je connais l’affaire depuis 2002, quand elle est survenue. J’ai commencé ma carrière en travaillant dans des émissions comme Bas les masques ou Sans aucun doute, qui m’ont appris l’attention à la douleur. J’ai écrit mes premiers ouvrages sur les crimes familiaux et l’inceste, car quelle pire douleur imaginer ?

 

  • Qui était Élodie Kulik ? Pouvez-vous nous en parler en quelques mots ?

Élodie Kulik, c’est la jeune femme que toute jeune femme pourrait vouloir être, celle que tout homme pourrait vouloir épouser, celle que tout le monde aurait pu aimer. Elle était gaie, drôle, très gentille, d’une beauté rare, pleine de talents comme la chanson, et de capacités intellectuelles, devenant la plus jeune directrice d’agence bancaire de France à 23 ans tant elle inspirait confiance. Son père a eu à son sujet une phrase très juste, entre autres, quand il s’est adressé au procès à l’accusé, l’un des auteurs suspectés : « Vous l’avez tuée parce qu’elle avait tout ce que vous n’aviez pas. » Souvent, la haine s’enracine dans cette impuissance à se montrer à la hauteur de la victime. Quand on dit « ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers », c’est assez vrai dans les crimes qui ne sont pas des règlements de comptes, parce que la jalousie peut rendre fou de violence. Il est toujours plus simple de tuer les modèles que de tenter de leur ressembler. C’est le ressort même des féminicides.

  • Comment « approche-t-on » cette affaire criminelle en tous points hors norme ?

J’ai abordé l’angle humain en entrant dans la biographie de Jacky, déjà si peu ordinaire, mais cherché aussi à décrypter comment avance une enquête en décrivant le travail herculéen des professionnels, comme à décrire l’air du temps, par exemple la rage contre les fichiers qui a retardé la résolution de beaucoup d’enquêtes criminelles, les progrès scientifiques qui ont permis de faire des recherches ADN plus fines. Le monde a changé durant les vingt ans qu’a duré cette affaire, permettant de livrer une sorte de « francoscopie », où j’évoque aussi bien l’émission Popstars que les allèles de l’ADN. On apprend beaucoup dans le livre, pas seulement sur l’affaire, mais aussi sur la société contemporaine et même sur la science !

 

  • Comment avez-vous procédé dans votre travail, notamment pour la collecte d’informations, des témoignages, ceux des proches et des soutiens de Jacky Kulik, ceux des enquêteurs ou des avocats ? Avez-vous pu tout retranscrire, tout rapporter dans le livre ?

J’ai dit tout ce que j’avais appris, sauf ce qui aurait pu nuire d’une façon ou d’une autre à l’un de mes interlocuteurs ou à l’accusé, rien qui ne soit de notoriété publique et vérifié. Dans tous les faits divers, il y a beaucoup de on-dit, je les ai rapportés en précisant qu’ils n’étaient que cela. J’ai parlé à tous les protagonistes qui ont bien voulu me parler, sauf aux avocats et proches de l’accusé, car j’ai choisi un parti, celui de la famille de la victime. J’ai toutefois rapporté fidèlement les arguments des uns et des autres, respectant les droits de la défense et la présomption d’innocence à laquelle je suis très attachée. Plus attachée que certains médias ! Je me suis toutefois permis d’ironiser quand ces arguments sont ridicules. J’ai fait, en livre, le travail d’un journaliste de Faites entrer l’accusé, excellente émission qui offre un panorama complet d’une affaire en se penchant sur le plan psychologique comme sur l’enquête et l’aspect judiciaire. À ceci près que dans l’affaire Kulik, après deux condamnations à trente ans de réclusion criminelle, l’accusé est en cassation, le verdict n’est donc pas définitif.

 

  • Vous êtes-vous rendue sur les lieux de l’affaire à Péronne, en Picardie, sur les derniers lieux de vie d’Élodie ?  

Je suis allée plusieurs fois à Péronne il y a des années, mais Péronne est pour moi le lieu de sa mort. J’ai préféré me tenir dans le lieu de sa vie, dans la maison de ses parents à La Bassée, avec son père, Jacky Kulik, pour entendre de la bouche des vivants des paroles qui la fassent revivre, voir des photos, les cartons entiers d’articles collectés par son père.

 

  • Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec Jacky Kulik, le père d’Élodie, l’« homme debout » tel que vous le décrivez dans le livre ?

Nous avons eu quelques contacts téléphoniques au fil de vingt ans de tournants judiciaires, mais surtout un qui nous a davantage marqués tous les deux car j’avais la chance de disposer de place dans un magazine pour relater son sentiment après le deuxième procès. Il venait d’apprendre la deuxième condamnation à trente ans. Il a réussi à me faire pleurer, silencieusement, en me disant, lui sans pleurer, avec toute sa force : « On me dit que j’ai gagné mais j’ai tout perdu. » Admirable. Certains êtres font de la littérature sans le savoir, ils vous prennent au cœur, peut-être parce que justement ils ne recherchent pas à produire un effet. J’aime la parole brute, l’immédiat qui ne triche pas. Je l’ai recontacté ensuite pour lui dire que je voulais faire un livre, sur sa force, n’imaginant pas qu’il l’avait communiquée à tous les protagonistes. C’est Jacky qui a littéralement armé enquêteurs et juges, avocats et soutiens, pour que personne ne lâche ce dossier qui piétinait : ils l’admiraient !

  • Comment s’est passée votre collaboration ?

Un rêve, une osmose, un courant continu. Nous nous parlions tous les jours plusieurs heures. Nous n’avons jamais cessé de nous envoyer des textos et photos, même si c’était juste pour le lien affectif, avec des émoticônes et des photos de chats ! Il m’avait confié son vécu, les coups du sort qui l’avaient frappé, même avant Élodie, la vie de Job, le héros de la Bible, une succession d’épreuves. Je me chargeais d’interroger les autres protagonistes de l’affaire et ne lui racontais pas ce qu’ils me confiaient. Il l’apprenait en lisant les pages au fur et à mesure qu’elles s’écrivaient, mêlant enquête et sentiments, découvrant que les autorités aussi débordaient de sentiments ! C’était comme lui faire un cadeau, le minimum après avoir reçu le cadeau de sa confiance. Je lui suis infiniment reconnaissante de m’avoir choisie pour rendre hommage à Élodie dans un livre qui reste, hommage aussi à la justice et aux gendarmes tellement tenaces, à leur intelligence à tous.

  • Vous décrivez, et c’est bouleversant, l’exceptionnelle chaîne humaine qui s’est créée autour de Jacky Kulik. Quel a été son point de départ ?

Jacky attire la tendresse. Il a appris Internet et l’usage des réseaux sociaux pour Élodie. Les internautes ont perçu l’homme qu’il était et une chaîne humaine puissante s’est créée, sur sa page personnelle comme sur celle créée pour le soutenir, « Que justice soit faite pour Élodie Kulik ». Il a aussi contacté les bonnes personnes, comme Isabelle Boquel, présidente de l’association Angélique, répondu à des inconnus de l’autre bout de la France qui l’avaient juste simplement « vu à la télé ». Il a su faire confiance. Sans confiance, on reste seul, il ne se passe plus rien, c’est la mort. Jacky fuit la mort, il l’a maintes fois connue de trop près. Les gens éprouvés aiment la vie, et attirent ceux qui l’aiment autant.

  • Autour de Jacky Kulik, deux personnes « de l’ombre », un gendarme et un juge d’instruction, deux figures exceptionnelles également. Ils sont au cœur de la résolution de l’enquête… et d’une avancée majeure dans l’histoire judiciaire française. Comment l’affaire Élodie Kulik a-t-elle changé la loi ?

Le grand tournant de l’affaire, avec l’identification certaine d’un coupable du viol, tient effectivement au génie d’un gendarme, scientifique de formation, biologiste diplômé, fils de médecin et d’infirmière, et l’audace d’un jeune juge. Lui a su jouer sur le fil de la loi qui veut que soit considéré comme autorisé ce qui n’est pas interdit. Ensemble, ils ont appliqué pour la première fois la recherche de l’ADN par parentèle, du jamais-vu en France. Cela consiste à rechercher dans le fichier, faute de coupable identifié, quelqu’un qui présente des gènes communs. Si l’on trouve, cela peut être un parent, un enfant, un cousin, un frère. Il « suffit » de faire ensuite une enquête dans son entourage pour remonter à la vérité. Cette loi, grâce à Élodie, est maintenant dans les textes officiels, utilisée dans des cas particulièrement épineux. Leur initiative est fascinante, courageuse, je les admire profondément. Le salut vient parfois d’une forme de désobéissance qui est de l’intelligence.

  • Y a-t-il un fait, une rencontre ou un témoignage qui vous aurait marquée en particulier pendant tout ce travail d’enquête et d’écriture ?

Oui… Mais ils sont trop nombreux, sur des plans différents. Ce serait injuste de ne pas citer chacun.

  • Vous avez écrit plus de 70 ouvrages, que retenez-vous de cette expérience-ci, en particulier ?

J’ai aimé apprendre, ne pas être dans une parole de témoin pure et unique, mais dans une contextualisation de sa parole, avec des gens brillants, chacun dans leur domaine, une longue chaîne pour aboutir à la vérité, une grande partie de la vérité assurément.

  • Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de ce livre, qui est bien plus qu’une reconstitution minutieuse de l’affaire ?

Qu’il n’y a que l’amour ! Et la ténacité !

  • Et, en conclusion, avez-vous une intime conviction sur l’affaire ?

Oui, c’est celle des jurés, qui par deux fois ont rendu leur verdict. J’en suis comme désolée, parce que considérer que quelqu’un est coupable n’est jamais joyeux. Un verdict n’est jamais un triomphe, Jacky le dit lui-même. Les coupables me font toujours de la peine : ils ont tout gâché, c’est trop tard, et leur incarcération ne ressuscite pas la victime. Un crime ne sert à rien. Sinon à tuer un peu les vivants qui restent.

Pour en savoir plus sur le livre, c'est ici.

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