Enquête aussi minutieuse que captivante, Fariña opère une plongée terrifiante dans les réseaux de la drogue en Galice. Une investigation journalistique qui trouve dans sa narration une remarquable valeur littéraire et qui donne à ce titre le goût délicieux du Gomorra de Roberto Saviano. Immanquable.
De ses recherches minutieuses et passionnées, le journaliste espagnol Nacho Carretero – reconnu pour ses nombreux travaux d’investigation – tire une enquête fournie, palpitante, sur le trafic de drogue en Galice, au nord-ouest de l’Espagne. La région fait en effet office de porte d’entrée de la cocaïne en Europe depuis des décennies. Paru en 2015 et écoulé à 30 000 exemplaires en Espagne, Fariña (soit « farine » en galicien) a même fait l’objet d’une adaptation télévisée début 2018, le sujet ayant passionné les lecteurs et mis en lumière une situation jusque-là relativement obscure. Peu de temps après la sortie du livre, son retrait des présentoirs (suite à une plainte déposée par un présumé trafiquant qui n’avait guère goûté les mots de l’auteur) avait grandement participé à son succès. Désormais traduite en français – par Eric Reyes Roher –, l’enquête se révèle à un plus large lectorat.
Nacho Carretero propose de remonter jusqu’aux origines du trafic en Galice avec les débuts de contrebande de marchandises à la frontière hispano-portugaise lors de l’après-guerre, puis d’observer la mise en place pérenne du trafic de cigarettes et de haschich, qui a eu pour finalité la circulation extensive de cocaïne dans la région. Le jeune auteur nous plonge dans les réseaux, pratiques et différents clans qui s’organisent en Galice, une zone que l’on découvre progressivement affaiblie, où les pécheurs peinent à survivre et où les pouvoirs publics demeurent silencieux face aux tractations qui prennent place. Fariña s’intéresse aussi longuement aux mères des victimes de la consommation de drogue, engagées dans la lutte contre les narcotrafiquants à la fin des années 80. Un mouvement qui avait relancé l’intérêt pour un trafic dont l’expansion n’a jamais pu être contenue, même s’il se fait désormais de façon plus discrète.
À la richesse de sa précision factuelle, qui décrypte les logiques mafieuses et les obscurs réseaux, Nacho Carretero parvient brillamment à adjoindre un sens marqué du récit et à donner à son livre la pleine saveur d’un roman. Fariña nous emporte dans sa trépidante narration, au fil des soubresauts du trafic de drogue et dit l’effondrement terrible d’une société minée par cette « farine » meurtrière.