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Par Philéas, publié le 29/10/2020

Franck Thilliez : "Le syndrome [E] est au départ un roman très visuel"

À l’occasion de la sortie de la bande dessinée Le Syndrome [E], adaptée du roman de Franck Thilliez, l'auteur, le scénariste Sylvain Runberg, et l'illustrateur Luc Brahy, ont répondu à nos questions et racontent le processus d'adaptation.


Sylvain Runberg et Luc Brahy, vous n’êtes pas étrangers à l’adaptation de roman en bande dessinée. Comment appréhendez-vous/préparez-vous la mise en images d’une œuvre littéraire ?

Sylvain Runberg : D’un point de vue scénaristique, il s’agit pour moi de considérer l’adaptation comme une œuvre originale. Le lectorat du roman doit s’y retrouver mais en même temps découvrir quelque chose de nouveau, au-delà de la mise en image, essentielle, et de la narration propre à la bande dessinée. Celles et ceux qui ne connaissent pas le récit d’origine doivent aussi pouvoir l’apprécier comme une œuvre autonome. C’est très important de ne pas tomber dans un simple copier-coller qui pour moi n’aurait aucun intérêt en tant que scénariste, et je pense qu’il en serait de même pour le lectorat.

Luc Brahy : Il faut du respect pour l’œuvre originale. On doit faire ressortir l’essence même du récit, que ce soit dans le narratif, la psychologie ou l’ambiance. Certains auteurs s’en éloignent volontairement, je préfère lui rester le plus proche mais sans que cela nuise aux particularités d’une BD.  Sylvain a trouvé l’équilibre parfait.

Franck Thilliez : Le syndrome E est au départ un roman très visuel. J'écris avec beaucoup d'images en tête, des sons, des odeurs que je tente de retranscrire par les mots. Le cheminement inverse, repasser des mots aux images, est donc possible et est un terreau idéal pour la bande dessinée. Mais la tâche n’est pas si aisée, car il faut réussir, en quelques cases, à retranscrire une atmosphère, des couleurs, à compacter les descriptions parfois foisonnantes du roman, ce qu’ont parfaitement réussi à faire Luc et Sylvain. Je pense par exemple au "film maudit" que visionne Lucie, qui dure une dizaine de minutes et que je décris assez longuement dans le roman. Pour la BD, il a fallu en extraire les images les plus fortes, impactantes, sans pour autant perdre la substance même du film.


Pourquoi avoir pris le parti de modifier certains lieux dans lesquels se déroulait l’histoire originale ?

S. R. : Pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus. Il s’agit d’une adaptation, qui va trouver son propre rythme, ses propres mécanismes, son propre ton par rapport au roman. L’enjeu est de conserver et préserver ce qui fait l’essentiel de la trame d’origine et de ses personnages, mais en y apportant des angles, des faits, des personnages nouveaux.

F. T. : Ce qui compte finalement, à mon sens, ce sont les ambiances. Dans le roman, les deux lieux principaux, lors du voyage à l’étranger des enquêteurs, sont le Caire et le Québec. Le chaud et le froid. La population grouillante, ramassée, et les grands espaces canadiens. Cela a été respecté dans l’adaptation, on ressent les mêmes émotions à Alger qu’au Caire, Sharko s’y rend pour se faufiler dans les rues étroites et traquer des criminels, il ne fait pas de tourisme ou ne va pas visiter les grandes Pyramides !


Le
 Syndrome [E] est une œuvre très dense, quelle a été l’étape la plus difficile dans son adaptation ?

S. R. : Comme à chaque fois quand on passe du support du roman à celui de la bande dessinée mais aussi du cinéma, les mêmes problématiques se posent, il y a une différence en terme de rythme et de densité, plus que de contenu d’ailleurs. En roman, on se pose moins la question de la pagination, contrairement à la bande dessinée, où c’est beaucoup plus encadré, pour des raisons économiques. Mais c’est une contrainte qui a aussi ses avantages : on doit aller à l’essentiel tout en conservant la richesse du récit d’origine.

F. T. : En ce sens, je tire mon chapeau à Sylvain et Luc, qui ont su ôter le gras pour ne garder que la charpente du roman. Passer d’un livre de 500 pages, dense, complexe parfois, à une BD de 100 pages qui ne croule pas sous les explications et laisse une belle place aux personnages a été un sacré défi à relever.

 

A-t-il été compliqué de donner un visage et une vie aux deux personnages emblématiques que sont Sharko et Henebelle ?

S. R. : Non, c’est pour cela que cette adaptation m’intéressait aussi. Les personnages créés par Franck sont des personnages forts, emblématiques, très différents l’un de l’autre, donc je les ai conservés tels qu’ils étaient dans les romans, les changements ne concernent justement pas cet aspect-là de l’œuvre, je pense que tout le monde va retrouver dans la bande dessinée les Sharko et Henebelle qu’ils connaissent dans les romans. Je l’espère en tous cas !

L. B. : Le terme "compliqué" ne me semble pas le plus juste. Je lui préfère "recréer". Le dessin exige une « appropriation » des personnages…  On se rend compte quelquefois que le physique qui était logique pour le roman ne fonctionnerait pas de la même façon en BD. Pourquoi ? Parce que l’auteur donne l’info parfaite afin que le lecteur visualise sa propre image du personnage.  Alors me voilà devant ma page, et ce personnage doit prendre vie. Il doit avoir un physique et une psychologie « commune » au roman et au maximum de lecteurs. On adapte donc, avec en tête le besoin de faire vivre le personnage comme dans le roman. L’histoire étant la priorité dans toute cette alchimie.

F. T. : Il était très important pour moi, et pour les lecteurs je pense, que les personnages de Sharko et Henebelle soient fidèles à l’image qu’on peut en avoir. Même si je ne les ai jamais décrits au cheveu près dans les livres, restant volontairement assez flou, on sent qu’il se dégage de Sharko une force, une colère, mais aussi une fracture : c’est un personnage cabossé. Lucie, elle, a la tête sur les épaules, elle est assez rude mais reste fragile dans son environnement familial. Elle est une fonceuse. Les dessins de Luc retranscrivent très bien ce que j’ai cherché à faire dans les livres, les visages de ces héros, leur physique, comble bien le "vide anatomique" qui peut encore subsister à la lecture des livres.

L’adaptation de romans en BD s’est démocratisée ces dernières années. Selon vous, pourquoi cela a-t-il un tel succès auprès des lecteurs ?

F. T. : On retrouve dans les BD la force des idées qui sont exposées dans les romans. Les lecteurs aiment prendre du plaisir à voyager dans les univers visuels créés par les illustrateurs, mais ils aiment aussi des lectures intelligentes, qui font appel à leur réflexion, leur esprit critique. Et puis, il y a certains lecteurs qui ne lisent pas de romans et qui préfèrent les BD, c’est comme ça. Je sais, par des rencontres, que nombre de lecteurs aimeraient aborder mes histoires, mais ils ne le faisaient pas parce que les romans les rebutaient. Avec la BD, ils vont pouvoir enfin se plonger dans mon univers.

S. R. : Cela permet de redécouvrir une histoire que l’on aime déjà, mais sous une autre forme, avec aussi la force de l’image et du rythme et du découpage propre à la bande dessinée, de s’y replonger, de l’apprécier différemment ou bien de découvrir des récits que l’on ne connaissait pas dans les romans au départ.

L. B. : Un roman qui a du succès possède une grande histoire, une âme et un cœur. On s’y attache comme à un être vivant. Le trouver sous une nouvelle forme ravive, renforce l’attachement que l’on y porte. Et si on ne le connait pas, on se dit avec raison qu’une histoire adaptée sous plusieurs formats ne peut être qu’une bonne histoire.

Quelques mots aux lecteurs ?

F. T. : Aux lecteurs qui lisent déjà mes romans, je leur dirais que c’est l’occasion de redécouvrir Le Syndrome E de façon originale, avec de nouvelles surprises par rapport au livre. Pour les autres, ils vont s’immerger dans une histoire noire, pleine de rebondissements, qui les entrainera aux frontières des neurosciences et des expériences interdites !

S. R. : Si vous pensiez tout connaître des secrets de Franck Sharko, de Lucie Henebelle et du Syndrome E, vous devriez vous plonger dans cette adaptation. Vous pourriez être surpris.

 

Le syndrome [E]
Un film mystérieux et malsain qui rend aveugle. Voilà de quoi gâcher les vacances de Lucie Henebelle, lieutenant de police à Lille, et de ses jumelles.
Cinq cadavres retrouvés atrocement mutilés, le crâne scié… Il n’en fallait pas plus à la Criminelle pour rappeler le commissaire Franck Sharko, en congé forcé pour soigner ses crises de schizophrénie.
Très vite, ces deux affaires pourtant éloignées semblent étroitement liées. De la casbah d’Alger aux orphelinats du Canada, les deux nouveaux coéquipiers vont mettre le doigt sur un mal inconnu, d’une réalité effrayante.

Le Syndrome [E], ici adapté par Sylvain Runberg et Luc Brahy, réunit pour la première fois les deux personnages récurrents des romans de Franck Thilliez, Lucie Henebelle et Franck Sharko.

Philéas

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