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Par le cherche midi éditeur, publié le 22/06/2020

François Blistène : « Il y a très peu de livres comme le mien où père et fils sont indifférents envers l'autre »

Avec la parution, au cherche midi éditeur, de son troisième roman, François Blistène brouille une nouvelle fois les pistes. Pas tout à fait autobiographie sans être franchement fiction ou essai, son Pater Monster est une plongée frénétique dans la pensée d’un homme avide de plaisir et pas si imperméable à la transmission qu’il le laisserait croire.

Ça débute comme une conversation, comme une confidence à l’adresse du lecteur. Une réflexion ponctuée d’une franchise qu’il n’est guère plus commun de croiser en littérature française. De l’irrévérence et un goût certain pour les mots, aussi salivants que les mets préparés par le narrateur. Pater Monster est aussi bariolé que sa couverture, articulé autour des errances d’un mec sans âge qui finit par se questionner sur sa paternité. Car il a fait un enfant avec une conquête, écartée de longue date, puis a poursuivi son quotidien rempli des mots des autres, au fil des ouvrages qui l’obsède, et de ses pensées qu’il a nombreuses. Seulement, neuf ans après la naissance de Jules-Gus (un prénom qui ne manque pas de faire surgir en lui l’horreur), notre cynique en chef s’inquiète de l’environnement dans lequel évolue sa progéniture, soit « Le temple des amis de l’amour », sorte de secte qui exalte précisément tout ce qu’il exècre.

En conviant l’enfant à passer quelques jours de vacances chez lui, le narrateur explore un pan de sa personne qu’il avait complètement délaissé, sans pour autant perdre de sa verve. Il faut dire que Jules-Gus n’est pas franchement passionnant et que l’occuper n’est en aucun cas tâche facile. Ne s’épargnant aucun mot dur et offrant aux autres un incalculable nombre de vacheries, cet invétéré dragueur poursuit sa trajectoire hédoniste avec force humour. Aux manettes de ce roman inclassable, François Blistène – qui a déjà signé Moi, sa vie, son œuvre et Le Passé imposé aux éditions du Sonneur – revient en quelques réponses sur son approche de la littérature et sur la composition de ses personnages.

 

Votre livre se parcourt comme une longue confidence ; comment se déroule pour vous le temps d’écriture ?

C'est la première fois que je me sers du JE, qui me semblait plus pertinent pour ces fausses confidences, d'autant que le récit est pour l'essentiel au présent. Avant, j'écrivais à la main, le matin, deux ou trois heures. Je choisis un thème, une époque, un ton, un ou plusieurs personnages principaux. J'ai un canevas mais souvent pas la fin, ni le milieu, ni… La première version va vite, je remplis du papier, faisant fi des fautes, redites, redondances... Mais je suis hélas trop dispersé. Quand j'éprouve des difficultés à continuer, je relis des pages de mes auteurs favoris. Après l'inclusion sur ordinateur, je commence le travail « sur mesure », cent fois sur le métier... C'est là que ça devient intéressant. Restructuration et réécriture pourraient ne jamais s'arrêter ! Si j'osais, je réécrirais entièrement un livre d'une autre manière.

 

Après Le Passé imposé, vous explorez à nouveau la figure du père. Qu’est-ce qu’elle vous inspire ?

Rien de spécial. Ces pères-là n'ont rien à voir avec le mien qui n'était que bienveillance. Il n'y a presque plus de père dans les deux derniers livres que j'ai écrits depuis celui-là. J'aurais pu (dû ?) faire Mater Monster.

 

Sur le thème de la paternité, quels sont les ouvrages de littérature qui vous ont le plus marqué ?

Pim Pam Poum, Lettre au père de Kafka, l'Ogre des contes, Les Frères Karamazov de Dostoïevski (comme vient de me le suggérer une amie) et bien sûr ce brave Roi Lear ! Cela dit, il y a très peu de livres comme le mien où père et fils sont indifférents envers l'autre, surtout si peu fusionnels, d'où peut-être son modeste intérêt. Il est trop facile de décrire de lourds conflits, j'ai le souci (avec succès ?) de ne pas être manichéen, même dans la plus petite phrase, même si c'est moins vendeur. Je me surveille.

 

On trouve dans Pater Monster une foule de personnages très incarnés, truculents. Comment les façonnez-vous ?

Ils sont en opposition avec le père et le fils qui sont plutôt normaux, donc inquiétants. Le but c'est d'égayer le livre par des seconds ou troisièmes rôles, ce peuple de l'ombre. Après, comment un personnage naît, aucune idée !

 

On entend presque le théâtre, la scène, pointer le bout de ses planches dans votre écriture. Des velléités d’adaptation de vos romans ?

Pater Monster pourrait faire un bon film, pas cher, soit une comédie italienne soit un film plus dur à la Michael Haneke (je vais l'appeler !). Ou même une pièce à la August Strindberg, ennuyeuse et comique, mais surtout pas un « drame psychologique » à la française, selon la classification de feu Pariscope. Le Passé imposé (roman de François Blistène sorti en 2014, ndlr) devrait s'inspirer de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton, soyons mégalos ! Moi, ma vie, son œuvre (premier titre de l’auteur, paru en 2012, ndlr) coûterait plus cher car il s'agirait de reconstituer le 20ème siècle de Dada à la mort de Balthus.


Pater Monster
Je viens de commettre un crime, j’ai fait un enfant la nuit dernière.
Pourtant, je suis toujours parvenu, tant bien que mal, à me soustraire à la problématique de la paternité.
Rien à léguer, ni argent, ni culture, ni maladie héréditaire. Le peu que j’ai me sert à acheter du Voltarène, des croissants au beurre, du Coca light, des gants en pécari de toutes les couleurs, et un jour peut-être une surface habitable dans une région chaude où vieillir confortablement.

 
L’homme dont il s’agit n’a que faire de l’enfant qui naît malgré lui. Neuf ans plus tard, il croise son fils par hasard. Et s’il essayait de jouer au père, ne serait-ce qu’une semaine ?
Méchamment drôle, un brin tragique, Pater Monster s’amuse de la paternité et en dresse un tableau cynique mais jouissif.

 

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