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Par Perrin, publié le 28/04/2020

Guillaume Frantzwa : "J'ai retenu 1520 comme année de passage d'une époque à une autre"

La plupart des dates clés sont le témoin d’événements fondateurs. Dans ce paysage, 1520 est l’exception qui confirme la règle. Pourtant, cette année est le témoin d’évolutions politiques, culturelles, religieuses fortes. Guillaume Frantzwa brosse les soubresauts de cette époque qui préfigure l’émergence d’un nouvel ordre mondial : celui de l’Europe moderne. Interview.


Pourquoi écrire un ouvrage sur l'année 1520 ? Quelle est la thèse que vous proposez dans cet essai ?

L'idée de départ de ce livre est que le basculement du Moyen Âge à l'époque moderne est plus brutal et moins évident à situer dans le temps qu'il n'y paraît. Davantage que les dates-clés traditionnelles, comme 1453 et 1492, j'ai retenu 1520 comme année de passage d'une époque à une autre, en la caractérisant comme le passage d'une civilisation régionale soudée par des valeurs communes, la Chrétienté, à une Europe des puissances nationales, rivales dans la domination du monde. Le constat est celui d'une crise généralisée à tous les secteurs, qui aboutit à une série de ruptures et d'engrenages de très grande importance au plan mondial.

Il faut citer la rivalité entre la France et la maison d'Autriche, qui se met en place pour plusieurs siècles, l'apparition de monarchies fortes et centralisées, la menace de l'empire ottoman qui s'impose durablement aux frontières de l'Europe, la construction des premiers empires coloniaux qui devient un fil conducteur de l'histoire de l'humanité jusqu'au XXe siècle, sans parler de la révolution des connaissances et de la crise religieuse qui changent définitivement le rapport aux savoirs et amorcent une nouvelle réflexion sociale.


Quels changements culturels (artistiques, religieux, notamment) apparaissent à partir de 1520 ?

La période est très fertile dans ce domaine, mais là encore plus complexe qu'on ne le croit généralement. Le panorama européen reste largement dominé par la tradition médiévale, contrairement à l'idée répandue d'un ras-de-marée imposant la Renaissance née en Italie. L'architecture gothique et la peinture de l'école flamande demeurent florissants et se déclinent en riches mouvements nationaux, en Angleterre, en Espagne et au Portugal, aux Pays-Bas. Cette assise solide est nuancée depuis quelques années par des apparitions ponctuelles de l'art italien au-delà des Alpes, mais le tableau change totalement à partir de 1520. Le roi de France en particulier choisit ostensiblement de réorienter sa commande officielle vers une nouvelle forme d'art afin de s'imposer comme un monarque légitime sur le sol italien, l'enjeu qui polarise toute la politique européenne depuis vingt-cinq ans.

Les autres cours royales, imitant le prestigieux modèle français, lui emboîteront ensuite le pas à la faveur des échanges d'artistes d'un pays à l'autre. Ce choix des puissants est accéléré par la réforme religieuse, car la commande artistique reste en grande partie pilotée par le clergé. Dans ce domaine les intrigues entre princes se conjuguent aux aspirations d'une population très inquiète pour concevoir de nouvelles formules spirituelles et esthétiques, et l'ensemble concourt au rejet de l’Église comme structure d'union commune au profit d'un pouvoir absolu embryonnaire aux mains des rois. Le terreau est donc propice aux attaques de Luther contre le catholicisme, qui répondent aux nouvelles idées sociales de Thomas More et à la vision politique de Machiavel.


1520 est aussi une année de grandes découvertes. En quoi les sociétés européennes évoluent-elles suite à ces explorations ?

Les Européens sont lancés depuis environ un siècle dans un cycle d'exploration dont le but est commercial et religieux. Il s'agit de trouver de nouvelles routes aux épices et des alliés de revers dans le dos des musulmans qui gagnent du terrain en Méditerranée malgré la victoire ibérique de la Reconquista. À l'époque considérée dans cet essai, l'objectif premier a évolué : l'hypothèse d'alliés lointains s'estompe au profit d'une volonté claire de s'approprier les terres et les ressources mondiales. Cela se traduit simultanément en 1520 par la première systématisation de l'esclavage au Congo, la destruction des Aztèques, les tentatives d'implantation de colons en Amérique du Nord et en Chine. La logique médiévale des réseaux de comptoirs commerciaux s'efface devant un impératif de contrôle territorial là où les denrées sont produites.

Cette entreprise s'appuie constamment sur le travail d'expéditions d'exploration – Magellan découvre tout juste l'océan pacifique en 1520 – et sur les analyses des savants en métropole pour comprendre le monde inconnu dans lequel les conquérants s"insèrent, et en tirer parti. La géographie moderne est un héritage direct de cette époque, de même que l'élan de perfectionnement des sciences dures : astronomie, biologie, géologie, médecine, etc. Toutes ces disciplines étaient vitales pour maintenir l'avantage technologique des Européens sur les autres continents. Les premières mappemondes apparaissent ainsi vers 1520, de même que le système héliocentrique de Copernic. Le résultat de ces recherches, essentielles à court terme, est d'enrichir les premiers pays engagés dans la colonisation, notamment le Portugal et l'Espagne. Ces pionniers servent plus tard  de modèle aux nouvelles vagues de colonisateurs : Anglais, Hollandais, Français. Au long terme cependant, la conséquence est de susciter un souffle de recherches continues qui aboutit au rationalisme des Lumières. Notre société contemporaine est donc liée de près à la dynamique de 1520.

 

1520 : Au seuil d'un nouveau monde de Guillaume Frantzwa est publié aux éditions Perrin.

1520
La plupart des dates clés sont le témoin d’événements fondateurs : 476 marque la fin de l’empire romain d’Occident, 1453 la chute de Constantinople. Dans ce paysage, 1520 est l’exception qui confirme la règle. Année en suspens, elle se caractérise non par un événement majeur mais par une multiplication de faits qui font basculer le Moyen Âge dans la modernité.
En 1520, les rivalités européennes s’exacerbent. Deux jeunes souverains, Charles Quint et François Ier, rêvent d’empire universel. L’Europe se fragmente, dans la magnificence du camp du Drap d’Or, alors qu’un ennemi pressant se réveille à l’Est, avec l’avènement de Soliman le Magnifique. À ces tensions s’ajoute une dynamique d’expansion : suivant l’Espagne, la France et l’Angleterre se lancent dans la conquête de nouveaux territoires tandis que le Portugal étend sa domination du Brésil à la Chine.
1520 est aussi l’année des grandes découvertes, avec Magellan, et d’une profonde mutation de la connaissance du monde. Celle-ci encourage la critique d’une société en proie au doute et aux rêves d’âge d’or, au milieu de laquelle Luther apparaît comme une force de dissolution du monde chrétien.
Guillaume Frantzwa brosse avec talent les soubresauts de cette époque qui préfigure l’émergence d’un nouvel ordre mondial : celui de l’Europe moderne.
 
Archiviste paléographe et docteur en histoire de l’art à l’université Paris-I, Guillaume Frantzwa est conservateur du patrimoine au Centre des Archives diplomatiques.

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    Le camp du Drap d'Or : un duel d'orgueils analysé par Guillaume Frantzwa

    Guillaume Frantzwa est archiviste paléographe et docteur en histoire de l’art à l’université de Paris-I Sorbonne. Il vient de publier aux éditions Perrin "1520. Au seuil d’un monde nouveau". Dans ce premier essai, l’auteur brosse avec talent les soubresauts de ce monde qui, rompant avec la chrétienté, inaugurent un nouvel ordre mondial qui sera celui de l’Europe moderne.

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