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Par Fleuve éditions, publié le 17/02/2022

Interview Chiara Montani

À l’occasion de la publication chez Fleuve de Le Mystère de la fresque maudite, un polar historique dans la Florence des Médicis, Chiara Montani répond à nos questions.

1. L'art, le mystère, l'amour, un beau personnage féminin, le charme de Florence. Votre livre a mille facettes. Comment l'idée de celui-ci est-elle née ?

Mon expérience dans le domaine des arts figuratifs, ma fascination pour les époques passées et les mystères enfouis, ainsi que mon amour pour Florence, sont le terreau d'où a germé la toute première graine de cette histoire. L'idée était de créer un roman qui se déroule dans le monde de l'art, notamment pendant l’âge d’or de Florence.

Avant même l'intrigue, les personnages ont pris vie. Piero della Francesca, l'un des artistes les plus énigmatiques de l'histoire de l'art, était le candidat idéal. J'ai également immédiatement pensé à confier à une autre voix la tâche de raconter sa personnalité complexe. Une voix fraîche et spontanée, mais également dotée d'une sensibilité et d’une intuition artistique. Je voulais aussi que ce soit la voix d'une femme, et c'est ainsi que Lavinia est née.

À ce moment-là, j'ai passé en revue la biographie de Piero della Francesca à la recherche d'un lien avec Florence et j'ai découvert que le seul séjour documenté de Piero dans la ville des Médicis remonte à sa jeunesse, lorsqu'en 1439, il est mentionné comme ayant aidé Domenico Veneziano à payer les fresques de la chapelle principale de Sant'Egidio, l'église de l'hôpital de Santa Maria Nuova. Des recherches plus poussées m'ont alors révélé que ces fresques, aujourd'hui perdues mais décrites par les contemporains comme un chef-d'œuvre absolu, restaient mystérieusement inachevées. Pourquoi ? Cette question, ainsi que celle des raisons qui ont poussé un artiste aussi célèbre que Piero della Francesca à renoncer à travailler à Florence, ont mis mon imagination en mouvement, me fournissant une base à partir de laquelle construire toute l'architecture de l'intrigue.

2. Lavinia est un personnage fort, rebelle et avec un grand rêve. Une figure qui va à contre-courant de l'idée que l'on se faisait des femmes à l'époque. Pourquoi avez-vous choisi ces caractéristiques pour ce personnage ?

Depuis mes études, j'ai toujours été fascinée par les femmes artistes. Surtout les pionnières de l'art, qui ont été les premières à oser se rebeller contre les règles de leur temps et à revendiquer leur droit d'expression. Des femmes artistes dont les noms ne sont connus que de quelques spécialistes car, malgré la reconnaissance récente de certaines d'entre elles, des siècles d'oubli sont passés par là.

Lavinia, personnage fictif, est donc un hommage à ces femmes. Et elle a, comme elles toutes, l'audace de cultiver des désirs et des aspirations qui contrastent ouvertement avec le sentiment commun de son époque.

Les outils, les techniques, les pigments et l'atmosphère de l'atelier exercent sur elle une attraction irrésistible, à laquelle elle finit par succomber, découvrant le plaisir exaltant et interdit de la création. A partir de ce moment, rien ne sera plus jamais pareil. Le personnage de Lavinia grandit au fil du roman, avec une transformation progressive qu'elle aborde d'abord timidement, pour se rendre compte ensuite qu'il est légitime de transgresser et de se rebeller contre les règles auxquelles elle n'adhère pas. En l'espace de très peu de temps, elle devient une femme, acquiert une conscience, se familiarise avec de nouveaux aspects d'elle-même qui l'amènent à oser de plus en plus. Lorsqu'elle est confrontée à des situations extrêmes, elle découvre qu'elle a accès à des ressources inattendues et à un courage qu'elle ne croyait pas posséder. Mais à l'origine de cette transformation se trouve la découverte de l'art. Tout commence le jour où Lavinia décide de transgresser pour la première fois, franchissant une frontière invisible, et prend un stylet pour laisser une trace d'elle-même sur une feuille de papier.

3. L'autre protagoniste incontesté est Piero della Francesca, vif d’esprit et mystérieux. Pourquoi avoir choisi ce peintre en particulier parmi les nombreux de cette époque ?

Les tableaux de Piero della Francesca, avec leurs univers impassibles et, pour citer Bernard Berenson, complètement « inéloquents », transmettent un sens surhumain de l'équilibre et en même temps une sorte d'étrangeté. Comme si nous étions face à une énigme non résolue. C'est là que s'est allumée la première étincelle qui a fait naître le roman.

Je n'ai jamais eu le moindre doute sur le fait qu'il était le protagoniste idéal pour l'histoire que j'avais en tête. L'artiste insaisissable sur lequel critiques et historiens ont fait couler beaucoup d'encre sans jamais parvenir à percer ses mystères, mais aussi l'intellectuel, adepte des doctrines néoplatoniciennes, qui nous a laissé des traités sur le boulier, la perspective et les cinq corps réguliers.

Mais plus que les informations biographiques fragmentaires sur Piero, c’est surtout l'harmonie des arcanes de son œuvre, dont on ne peut qu'avoir l'intuition, mais jamais la compréhension totale, qui m'a fourni la base à partir de laquelle travailler avec mon imagination pour esquisser mon personnage. Un homme hermétique, fascinant, brillant, au caractère difficile mais d'une grande profondeur spirituelle, capable de contrôler totalement ses émotions, et doté d'une intelligence déductive lucide et d'une intuition digne d'Hercule Poirot. Bref, le parfait deus ex machina à glisser dans une histoire imprégnée d'une dense aura de mystère.

4. La Renaissance italienne a toujours été une période qui exerce une grande fascination. Qu'est-ce qui vous a amené à situer votre roman dans ce moment historique ?

Comme la plupart des amateurs d'art, je n'échappe pas à la passion de la Renaissance et en particulier de Florence, qui en est l'emblème. Mon roman se déroule donc dans la cité des Médicis, au début d'une ère qui a vu un épanouissement quasi miraculeux des facultés de l'âme humaine.

Les artistes qui travaillaient dans ces années-là étaient conscients de vivre le printemps d'une saison unique. La ferveur créatrice dans les rues et ateliers de Florence portait déjà en germe toutes les idées de cette époque.

Je voulais raconter une histoire profondément imbriquée dans la vie quotidienne de ces artistes, en prenant soin de reconstituer le climat culturel dans lequel ils étaient immergés. Mais en même temps, j'ai choisi de le faire avec une histoire noire. Une histoire d'intolérance, d'injustice, de vengeance. Une histoire qui montre également les fortes contradictions politiques et sociales de l'époque, les vices, la laideur, la corruption, les préjugés, la cupidité, ainsi que l'envie et la compétitivité qui caractérisaient la carrière des artistes, contraints de chercher la protection de mécènes cyniques et inconstants pour survivre. En d'autres termes, le côté sombre d'une époque qui n'était pas seulement dorée.

Fleuve éditions
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