Pour son premier roman chez Fleuve Éditions, Jacques Saussey nous livre une enquête au cœur de l’île de la Réunion, un polar ambitieux qui sent la vanille et le soufre. L’Aigle noir paraîtra le 6 octobre et, à l’occasion de cette sortie, l’auteur répond à nos questions.
1/Votre polar est de ceux qui font voyager les lecteurs, qui les mènent à la rencontre de cultures variées, de paysages grandioses. Pourquoi avoir choisi de situer votre intrigue dans ce décor exotique qu’est l’île de la Réunion ?
La Réunion est un endroit paradisiaque français, à l’autre bout du monde, au cœur de l’océan Indien, et le déclic qui m’a fait choisir ce lieu pour y implanter mon roman est en partie né d’anecdotes rapportées par l’un de mes amis, enseignant là-bas pendant plus de trente ans. Je voulais ainsi plonger mes personnages dans une ambiance alanguie par la chaleur, qu’ils soient séduits par les reflets turquoise des lagons, dépaysés par le chant de la faune. Le protagoniste de ce thriller, un ex-flic lyonnais, se retrouve désorienté dès qu’il pose le pied sur cette île luxuriante, saturée de soleil, d’humidité et du parfum entêtant des fleurs tropicales. J’avais envie que les lecteurs le suivent pas à pas et, à travers ses yeux, investissent ce monde à la fois proche et éloigné. Mais en réalité, la Réunion a réellement retenu mon attention lorsque j’ai eu connaissance d’un fait divers particulièrement odieux qui s’y est produit et répété à plusieurs reprises au début des années 2000. Au-delà des différences géographiques et culturelles avec la métropole, j’ai alors découvert que cette île était le berceau de crimes ignobles. Je ne vous en dis pas plus…
2/Dans votre roman, nous découvrons de nombreux personnages, et notamment Paul Kessler, un commandant de police qui vient de prendre sa retraite et qui a traversé des épreuves personnelles douloureuses. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur lui, sur le genre d’homme qu’il est ?
Paul Kessler a travaillé plus de trente ans à la Criminelle de Lyon, dont huit en tant que commandant. Depuis sa retraite anticipée, retranché dans sa petite maison de l’arrière-pays toulonnais, il sort très peu. Seuls quelques amis parviennent, à de rares occasions, à le tirer de sa tanière isolée dans les pins. Même s’il se néglige, il s’interdit de consommer de l’alcool, de céder à cette tentation pour oublier les souvenirs douloureux qui le taraudent, les deuils dont il ne se remet pas. L’avenir, pour lui, n’existe plus. Et quand le passé pèse trop lourd sur ses épaules, il joue du piano pour s’évader le temps d’une mélodie : la musique lui permet d’éloigner, brièvement, les fantômes qui le hantent. Ainsi, Paul est devenu, peu à peu, sauvage et farouche ; l’ex-flic taiseux est difficile à approcher par ses pairs. Son voyage de l’autre côté du globe est d’une certaine manière une gifle qu’il se met à lui-même et qui, peut-être, lui permettra d’émerger de sa torpeur.
3/L’Aigle noir est l’occasion pour vous d’aborder des sujets sociétaux de façon frontale, sans concessions. C’est d’ailleurs ce qui contribue largement à la part sombre de votre roman. Est-ce important pour vous de vous appuyer sur la fiction pour raconter le réel et, pourquoi pas, éveiller les consciences ?
Violences faites aux femmes, aux enfants, aux vieillards, aux minorités… la liste est longue des méfaits commis par des humains contre leurs semblables. Depuis les débuts du roman populaire, les auteurs décrivent leur époque au cœur de leurs histoires. La nôtre est en perpétuelle effervescence, et les thèmes qui interpellent sont très nombreux. Des crimes autrefois dissimulés dans l’ombre sont dorénavant révélés au grand jour. Dans l’idéal, leurs auteurs seront jugés et condamnés, mais ce n’est hélas pas toujours le cas.
Le plus et le moins, le noir et le blanc, la lumière et l’obscurité… Entre les deux, il y a toutes les nuances de gris : la zone où se développe la réflexion et où éclot l’opinion de chacun. Décrire l’horrible, tenter de faire ressentir l’indicible, c’est pointer du doigt là où ça fait mal, mettre en avant le problème, et participer à un processus de prise de conscience collective. Toutefois, il est nécessaire de fournir au lecteur de quoi apaiser sa colère et son angoisse. Il est acteur du livre qu’il parcourt, il doit y trouver son propre chemin parmi les faits – terriblement réels – qui lui sont exposés. Et si sa conscience peut lui murmurer en cours de route qu’il y a matière à prendre position au sein de cette abomination, il ne faut pas se priver d’écrire sans relâche pour transmettre le message…
Le 12 octobre, Jacques Saussey sort son nouveau polar chez Fleuve Éditions, Ce qu’il faut de haine. Une histoire de vengeance particulièrement glaçante dont il nous fait le plaisir de nous dire quelques mots avant même la parution.