"La mémoire de l'eau", le premier roman de Miranda Cowley Heller

Quel livre surprenant ! D’abord parce qu’on n’y trouve aucune naïveté, aucune longueur – le livre compte pourtant plus de 500 pages – aucun dialogues maladroits. C’est même tout le contraire : pour son tout premier roman, l’Américaine Miranda Cowley Heller frappe fort et nous embarque dès les toutes premières pages dans une histoire à la fois envoûtante et bouleversante. Eleonore, dite Ellie, est issue d’une famille dysfonctionnelle : elle est la petite-fille d’une originale, la fille d’un couple de divorcés qui ont tenté plusieurs fois de refaire leur vie, et la sœur d’Anna, gamine au caractère bien trempé. À 50 ans et des poussières, la voici mère de trois charmants bambins dont un adolescent râleur. Et l’épouse de l’adorable Peter, à l’humour tout britannique et à la patience d’ange. Mais Ellie, on le sait presque immédiatement, va un soir tomber dans les bras de Jonas, son âme sœur, son premier amour. La question se pose, inéluctablement : va-t-elle tout quitter pour cet homme ou préfèrera-t-elle renoncer à lui pour maintenir l’équilibre de sa tribu ?

Mais avant cela, il faut revenir en arrière. L’auteure alterne les chapitres sur ce week-end déterminant – partira-t-elle avec Jonas ? - avec celles du passé. Le point commun de ces allers retours, c’est la maison du cap Cod, véritable personnage à elle toute seule, une cabane déglinguée remplie de souvenirs heureux, de bestioles étranges, de jeux de cartes moisies, d’épouvantable humidité et de rituels immuables. C’est dans ce cadre paradisiaque qu’à 14 ans, Ellie fait une drôle de rencontre : Jonas est plus jeune qu’elle, il a le regard vert et le sourire énigmatique, un gamin pas comme les autres qui va bouleverser sa vie. Entre eux, une attirance immédiate et un grand secret, qui va les unir mais aussi les séparer, les faire grandir d’un coup.

Impossible d’en raconter plus sans dévoiler l’intrigue de ce livre, mêlant tragédies, scènes rocambolesques, dialogues truculents, détails infimes donc essentiels, de ceux qui fabriquent un destin.

Il faut dire que les protagonistes, comme les seconds rôles, jouent à merveille leur partition. On pense à Wallace, la mère égoïste et pourtant fascinante, à Anna, tendre cynique au destin tragique, à Henry, le père incapable d’affronter ses épouses successives, à Conrad, sale gosse cruel et mal aimé. La primo-romancière a été, apprend-on, l’une des scénaristes de séries cultes comme Les Soprano, Six Feet under ou The Wire. On comprend mieux pourquoi elle sait si bien façonner leurs portraits. En faisant des lecteurs ses complices, elle les invite à la suivre dans ces chemins tortueux, ces vies imparfaites. Soudain, ils se sentent comme chez eux dans ces cabanes du cap Cod, sur ces plages et ces lacs noirs qui connaissent tous les secrets, font battre les cœurs plus vite et savent surtout consoler du pire.

La Mémoire de l'eau

Miranda Cowley Heller

Presses de la cité

Roman Étranger

Un matin d’août. Tout le monde dort encore dans la maison familiale nichée au milieu des bois. Ellie se glisse dans l’eau froide de l’étang voisin. C’est ici, au cap Cod, que sa famille passe l’été depuis des générations. Mais ce matin est différent. La veille, Ellie et Jonas, son ami d’enfance, se sont échappés quelques instants pour faire l’amour.
Dans les heures à venir, Ellie va devoir choisir entre ce qu’elle a construit avec l’époux qu’elle chérit, Peter, et l’histoire qu’elle a longtemps désirée avec Jonas, avant que le sort en décide autrement.
Vingt-quatre heures et cinquante ans de la vie d’une femme au bord du précipice. Durant cette journée de doute mêlant bonheurs et regrets, Ellie sera rattrapée par l’héritage familial, tissé de tragédies intimes et de secrets.

Par petites touches et dans une langue aussi limpide qu’inspirée, Miranda Cowley Heller donne à voir avec une grande justesse les émotions complexes qui unissent et déchirent les gens qui s’aiment.

Sélectionné pour le prestigieux Women’s Prize 2022.

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