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Par Sonatine, publié le 27/04/2023

La Société royale : un échange entre Lee Child et Robert J. Lloyd !

Robert J. Lloyd a grandi dans le sud de Londres, à Innsbruck et à Kinshasa. La Société royale est son premier roman. À l’occasion de sa parution, l’auteur a pu échanger avec un grand nom du thriller historique : Lee Child.

Lee Child : La Tamise et ses affluents étaient d’une importance capitale dans le Londres du xviie siècle, et l’idée d’y situer le meurtre est géniale. Comment vous êtes-vous projeté mentalement dans cette ville et cette époque ?

Robert J. Lloyd : Le thème principal du livre est la circulation, et le système fluvial de la Tamise et de ses affluents me semblait la métaphore parfaite du système sanguin, avec ses artères et ses veines. Robert Hook a été immensément occupé par la reconstruction de Londres après le Grand Incendie, donc il était facile de situer les différentes scènes de mon intrigue aux endroits où il avait effectivement construit ou rénové des choses. Pour les événements, je me suis inspiré du journal de Hook ; la brièveté avec laquelle il relate son quotidien laisse beaucoup de place à l’extrapolation. Bien sûr, la fiction m’a permis de condenser sur quelques jours des événements qui se sont déroulés sur deux ans !

 

Lee Child : Ce qui m’a plu, à la lecture de votre livre, c’est le sentiment d’authenticité. La langue, la manière de penser sonnent vrai, et pourtant la lecture est fluide, immédiatement compréhensible. Comment avez-vous fait ?

Robert J. Lloyd : L’autre jour, un lecteur a fait une critique 3 étoiles sur Amazon en disant que c’était dommage que ce livre soit écrit en vieil anglais, alors je voudrais rassurer tout le monde : non, ce n’est pas le cas ! Les premières versions de mon roman étaient beaucoup plus inspirées de l’anglais du xviie siècle, en termes d’expressions et de rythme, mais le résultat était un peu pédant. Une fois que mon agent a soumis mon texte à des éditeurs, leur conseil a été d’atténuer cette distance linguistique, qui risquait de virer au pastiche – ce que je ne voulais pas. J’ai modernisé la voix du narrateur, Harry Hunt, et conservé un ton plus ancien dans les dialogues, mais par touches – finalement, il suffit de peu pour projeter le lecteur dans le xviie siècle !

 

Lee Child : Oui j’aime vraiment votre rapport à la période ! Si on compare par exemple avec la trilogie d’Hilary Mantel, ce qu’elle fait, c’est projeter une histoire très contemporaine, un antihéros très contemporain, et une approche très contemporaine, dans le passé. Alors que votre méthode consiste plutôt à partir du xviie siècle, des personnages de l’époque, pour nous les rendre contemporains. Et avec tout l’immense respect que je dois à Hilary Mantel, je crois que je préfère votre approche, parce que le roman est totalement enraciné dans son époque.

Robert J. Lloyd : Harry Hunt a été un élément-clé ici. C’est un personnage fascinant car hors du temps : il parle avec le langage du xviie siècle, mais c’est un homme moderne, presque libéral. Il est jeté dans ce monde plein de préjudices religieux, anticatholiques notamment, et lui appartient à cette nouvelle philosophie empiriste adoptée par la Société royale, qui souhaite voir le monde tel qu’il s’offre à nos sens, sans lunettes politiques. Harry incarne cette volonté d’être mesuré dans une période fébrile.

 

Lee Child : Si on se réfère au roman d’enquête classique, Harry Hunt est le Watson de l’histoire, c’est une préfiguration ou une ébauche de Sherlock-Hook, un scientifique en devenir, et aussi un excellent relai pour le lecteur. Est-ce que c’est la dynamique avec laquelle vous avez conçu vos personnages ?

Robert J. Lloyd : C’est quelque chose qui a évolué avec le temps. Au début [l’écriture du roman a débuté au début des années 2000, ndle], c’était Robert Hook l’enquêteur principal, Harry était juste son assistant, mais ça le rendait complètement passif. Le personnage est devenu beaucoup plus intéressant quand il s’est mis à désobéir à son mentor. Harry veut se libérer de l’ombre de Hook, il veut faire ses preuves ; il est devenu un employé de la Société royale, mais Hook continue de le traiter comme son laquais, et il en souffre. Plus j’écrivais ce livre, plus leur relation s’est mise à ressembler à celle que j’entretiens avec mon père : je l’aimais beaucoup, mais on était en désaccord sur tant de choses. Harry adore Hook, il l’admire, mais en même temps il doit s’affranchir de son autorité.

 

Lee Child : Pour finir, je voudrais revenir sur la tension entre science et superstition qui habite le roman. On en est aux balbutiements de la science, mais il y a déjà une bataille qui se joue entre la rationalité et l’instinct. Et trois cent cinquante ans après, c’est toujours d’actualité !

Robert J. Lloyd : J’ai soumis mon manuscrit à un agent littéraire en 2013, donc toute proximité avec l’actualité est fortuite ! Harry et Hook sont plongés dans un monde où la découverte du corps d’un enfant est immédiatement transformée en rumeur qui s’amplifie à mesure qu’elle se diffuse à travers Londres. Et la justice tente de conserver la discrétion sur les événements, mais bien sûr les informations leur échappent et la rumeur enfle. À l’époque où j’ai commencé à écrire, c’est surtout la résurgence de l’anti-islamisme qui me perturbait, d’où l’importance pour moi de retranscrire la haine anticatholique de l’époque, sa virulence. Mais oui, le décalage entre science et superstition est également une thématique cruciale. Dans les années 1680, Hook et Newton étaient à Cambridge, en train de comprendre et interpréter la trajectoire d’une comète, tandis que leurs contemporains y voyaient un signe de la fin du monde !

 

[Extrait de l’entretien mené par The Poisoned Pen Bookstore, décembre 2021]

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