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Par Presses de la Cité, publié le 29/08/2019

" Le Voyageur des Bois d'en Haut " de Jean Guy Soumy : "Je recherche, dans la mise en scène de situations du passé, un éclairage sur le présent "

A l'occasion de la parution de son nouveau roman, le premier aux Presses de la Cité, intitulé Le Voyageur des Bois d’en Haut, Jean-Guy Soumy a accepté de répondre à nos questions. Au XIXe siècle, le jeune Camille part travailler à Lyon avec des maçons itinérants, venus comme lui de la Creuse. Il poursuivra sa route sur les traces de son père, prétendument mort, en quête de vérité sur la double vie et le passé de ce dernier… Jean-Guy Soumy signe un roman nomade époustouflant. Découvrez l'interview !


Vous êtes un nouvel auteur au sein des Presses de la Cité, pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre univers littéraire ? On vous dit notamment de l’école de Brive… Vous considérez-vous comme un auteur de romans populaires ?

Il faut un peu d’inspiration et beaucoup de travail pour concevoir un roman qui non seulement tienne en haleine mais aussi émeuve, éveille la curiosité, voire apporte des connaissances. Oui, je me considère comme un romancier populaire. En ce sens j’appartiens toujours à l’école de Brive.

Cependant, le plus souvent, ce n’est pas le désir de raconter une histoire qui me met en situation d’écrire : c’est une interrogation. Mes romans développent alors une histoire qui répond à une question qui s’est imposée à moi. Par exemple, dans Un feu brûlait en elles, je me suis demandé comment pouvait naître une artiste – en l’occurrence, une danseuse contemporaine – dans une lignée familiale qui n’avait jamais rien eu à voir avec la danse, la musique… J’avais l’intuition qu’au cours des générations précédentes des dons inaboutis s’étaient déjà manifestés. J’ai ainsi fait débuter mon roman dix générations plus tôt, choisissant de privilégier le lien mère-fille. Je faisais, sans le savoir, de la psychogénéalogie. Il est évident que cette question, transposée à la littérature, me concerne personnellement.

Les livres naissent beaucoup des lectures de leurs auteurs. Pour ma part, je reviens toujours vers des classiques. J’aime lorsque l’auteur s’est mis en danger dans la construction et la tessiture de l’œuvre – ce qui indique que l’on n’a pas affaire à un livre « fabriqué ». Yasunari Kawabata, Paul Auster, Kent Haruf, Colette, Jean Giono, Stefan Zweig, Dino Buzzati et bien d’autres, voici les auteurs de mes livres de chevet.


Dans votre roman, vous commencez par décrire le quotidien de Camille, jeune garçon de seize ans qui part sur les chemins de Lyon pour « limousiner ». Pouvez-vous nous expliquer cette expression et comment elle est devenue le point de départ du Voyageur des Bois d’en Haut ?

Dans mon premier roman, Les Moissons délaissées, j’abordais la migration saisonnière des maçons de la Creuse. J’ai voulu revenir sur cette histoire, vingt-sept ans plus tard. Depuis le xve siècle, des paysans de mon département et des régions limitrophes ont quitté leur ferme neuf mois par an pour se faire maçons un peu partout en France. La Rochelle, Vaux-le-Vicomte, les fortifications aux frontières, le Paris d’Haussmann, le métro parisien conservent la mémoire de leur humble travail. Car si certains ont été à l’origine de dynasties d’entrepreneurs, l’écrasante majorité était constituée de simples « limousinants ».

Cette épopée est exceptionnelle. Elle a façonné un certain rapport au monde en Creuse. Elle a projeté des hommes venus de la ruralité profonde dans le milieu ouvrier et les grandes villes. Idées politiques, habitudes alimentaires, savoir-faire et conceptions architecturales, plantes, sont revenus au « pays » dans les sacs et les têtes de ces hommes qui se déplaçaient à pied. Les femmes, pendant ces absences saisonnières, ont été conduites à prendre des décisions, à assumer des tâches qui étaient alors – jusqu’au xixe siècle – réservées à leurs maris, à leurs frères, à leurs pères. Ainsi, l’aventure des maçons de la Creuse questionne le patriarcat. C’est dire l’extrême richesse de ce creuset de réalités et de rêves.

 

On le découvre dès les premières pages, votre héros porte en réalité deux prénoms : Camille et Jean, selon que c’est sa mère ou son père qui s’adresse à lui. Ce qui pourrait paraître anecdotique s’avère être le reflet d’un véritable secret de famille qui influence toute sa vie. Cette question de l’identité est au cœur de votre roman, est-ce un sujet qui vous tient particulièrement à cœur ?

Camille est un enfant de remplacement. Ayant aux yeux de son père « pris la place » d’un autre fils, mort à la naissance, il est investi en toute ignorance d’une charge émotionnelle très forte. Les chercheurs découvrent à présent le poids que représente ce type de situation pour la personne qui, tout au long de sa vie, se pose la question de son identité réelle. Cette interrogation, je la comprends intimement. Elle est révélatrice de l’état de romancier, d’écrivain tel que je le vis. Au fond, comme Camille, en écrivant Le Voyageur des Bois d’en Haut, je suis à la recherche d’un double qui serait moi tout en étant un autre.

 

Vous avez un jour affirmé dans une interview que vous n’étiez pas passéiste, mais que vous cherchiez à obtenir que l’Histoire éclaire le temps présent. Dans votre roman, Camille explore différentes voies et mène une existence nomade, comme beaucoup de jeunes gens aujourd’hui. Que souhaitez-vous que le lecteur retienne plus particulièrement de votre histoire ?

Camille, comme la plupart de mes personnages, est un voyageur. Moi qui suis sédentaire, j’insuffle une vie romanesque à des hommes et des femmes toujours en partance, qui abandonnent leur terre de naissance. Ces personnages sont à la recherche d’un ailleurs dans lequel se réaliser. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que je rejette l’idée d’un regret du passé, de l’apologie d’un territoire.

Né en 1952, j’ai connu des aspects d’une société issue du xixe siècle. Il m’est impossible de dire : « C’était mieux avant. » Car cela ne l’était pas. Aussi, je recherche, dans la mise en scène de situations du passé, un éclairage sur le présent. Je suis en quête de la profondeur historique qui peut nous aider à penser aujourd’hui. Même s’ils se situent dans le passé, mes romans parlent du monde contemporain. Il est clair que, dans Le Voyageur des Bois d’en Haut, l’émigration – celle des paysans creusois au xixe siècle – interroge également notre époque.

La notion de frontière est une autre clef du livre. Nous vivons des temps où jamais ne se sont autant érigés de murs, de limites, de barrières. Camille participe au travail de démarcation de la frontière entre la France et l’Italie dans les années 1860. Qu’est-ce que cette activité dit de notre volonté actuelle de partitionner l’espace ?

 

Une dernière question pour clore notre entretien. Pouvez-vous nous parler de vos méthodes d’écriture ? Avez-vous de petits rituels ?

Jusqu’à une période récente, j’ai toujours travaillé sur du temps volé. Enseignant, j’écrivais quand il me restait une disponibilité et j’ai conservé l’habitude d’écrire quand c’est possible. Les sollicitations extérieures, les contraintes sont une mise à l’épreuve de la nécessité d’écrire.

Je travaille dans un petit bureau qui est le même depuis près de trente ans. Dans une semi-obscurité, avec un ordinateur qui n’est pas connecté à Internet, sur une table fabriquée par mon père. Par le passé, un chat somnolait sur mes papiers, me surveillant, les yeux mi-clos.

Ecrire reste une pratique qui relève de la magie.

Découvrez Le Voyageur des Bois d'en Haut

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