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Par Lisez, publié le 07/01/2019

"L'erreur" : du côté sombre de la maternité avec Susi Fox

Dans L’erreur, son premier roman, Susi Fox dresse le portrait de Sasha, une jeune mère persuadée que le bébé qu’elle vient de mettre au monde n’est pas le sien. La romancière australienne nous a parlé de l’incapacité des femmes à se faire entendre et des tabous qui entourent la maternité.

L’erreur (Fleuve) débute comme un cauchemar. Après une grossesse sans problème, Sasha doit subir une césarienne d’urgence. À son réveil, elle demande à voir son enfant. Mais alors qu’elle s’attend à vivre un moment magique, elle est tout de suite persuadée d’une chose : cet enfant n’est pas le sien. Mais si la jeune mère n’a aucun doute, personne ne la croit. Médecin généraliste de profession, Susi Fox a écrit L’erreur suite à un rêve particulièrement perturbant dans lequel elle vivait la même situation que son héroïne. De ce mauvais rêve, l’auteure a tiré une histoire angoissante, qui explore tour à tour les tabous de la maternité, les violences médicales et les non-dits qui rongent la vie de couple. Raconté de deux perspectives différentes, ce thriller médical et psychologique désoriente, poussant le lecteur à s’interroger sur la santé mentale de la narratrice et sur la fiabilité des médecins et de son entourage. Un premier roman oppressant dont on tourne les pages fébrilement et qui devrait en garder quelques-uns éveillés jusque tard dans la nuit.


Votre premier roman explore l’incapacité des femmes à se faire entendre ou croire lorsqu’elles s’expriment ou dénoncent quelque chose. Quelles sont les choses qui vous ont inspiré ? Des faits de société comme le mouvement #MeToo ont-ils joué une influence ?

Tout au long de ma carrière de médecin, j’ai entendu d’innombrables histoires de la part de mes patientes où on ne les avait pas crues, que cela soit au travail, à la maison, ou dans différents aspects de leur vie, et cela m’a toujours profondément attristée. Le mouvement #MeToo a soulevé l’incapacité des individus et des systèmes à croire les plaintes des femmes pour violence sexuelle et harcèlement. Mais de nombreux autres domaines, dont le domaine médical, sont également coupables de ne pas les avoir crues ni même écoutées. L’un de mes espoirs était que la structure de L’erreur encourage les lecteurs à remettre en question leurs propres jugements et hypothèses sur la manière dont ils entendent, jugent et choisissent de croire.

Votre roman met le doigt sur la façon dont les femmes sont traitées par le système médical. Depuis deux ans, on parle beaucoup des violences obstétricales et gynécologiques. Vous êtes romancière mais aussi médecin. Au moment d’écrire votre roman, vous-êtes-vous dit que ce sujet devait être obligatoirement abordé ?

En tant qu’auteure, je trouvais intéressant d’explorer ce personnage du médecin se retrouvant à la place du patient, perdant toute autonomie. L’idée du roman est inspirée d’un cauchemar que j’ai eu. Je portais un nouveau-né dans mes bras, je disais "Ce n’est pas mon bébé" et personne ne me croyait. Les thèmes des mères jugées, de la santé mentale postnatale et les biais contre les femmes dans le système médical sont ressortis naturellement de mon exploration de ce cauchemar. Mon intérêt premier était d’explorer cette difficulté que rencontrent les femmes pour être crues.

L’erreur n’est pas seulement un thriller médical, c’est également un livre qui aborde des sujets comme la santé mentale des femmes ou le tabou de la mauvaise mère. Vous démontrez qu’il n’est pas si rare pour les nouvelles mères d’avoir des idées noires. C’est un sujet difficile car nous vivons dans une société où personne ne veut le voir ou en parler. Pourquoi avoir décidé d’écrire à ce sujet ? Pensez-vous qu’avec l’évolution de notre société, ce tabou de la mauvaise mère peut être brisé ?

Je pense que toutes les mères ont des idées noires et des moments difficiles. C’est en parlant de ces expériences et sentiments que des histoires communes se dessinent, et que l’on se rend compte que nous ne sommes pas seules. J’ai eu envie d’écrire sur ces questions car, en tant que docteur, j’ai entendu maintes fois mes patientes me raconter la même histoire. Mais elles ont souvent trop honte pour parler de leurs pensées et leurs craintes les plus profondes une fois sortie de la salle de consultation.

Je ne pense pas qu’il existe de mauvaises mères, seulement des mères humaines. Ces derniers mois, j’ai entendu plusieurs mères australiennes – des femmes ordinaires – parler publiquement de leurs expériences maternelles difficiles, partageant les récits de leur maternité. Ces histoires n’auraient jamais été racontées il y a encore quelques années de cela. Alors oui, je pense réellement que les mères ont de plus en plus le courage de vaincre ce mythe de la mère qui doit être parfaite et sans reproche. J’espère que L’erreur est une contribution réfléchie à la question de ce que veut dire être une bonne mère, d’accepter que nos imperfections fassent partie de notre humanité, tout en aspirant à faire le bien dans le monde.

Votre héroïne, Sasha, est une femme intelligente et ingénieuse. Mais elle n’est pas totalement fiable et le lecteur peut se questionner sur sa santé mentale. Était-il important pour vous de créer un personnage avec des défauts, qui n’est pas toujours facile à aimer ?

Je suis fascinée par la complexité des femmes, leurs parts d’ombre et de lumière. À travers Sasha, j’ai voulu créer un personnage sympathique, si ce n’est attachant. Pour créer un personnage sympathique, j’ai dû m’assurer que ses défauts soient vraisemblables. En travaillant avec de nombreuses femmes au fil des années, j’ai remarqué que les mères avaient tendance à remettre en cause leurs capacités, à douter de leur intuition et de leur jugement.
Le parcours de Sasha est similaire, car elle tente d’atteindre un niveau d'assurance et de confiance en elle qui la fera avancer dans son parcours de mère.

Si l’on ne sait jamais vraiment si l’on peut croire Sasha, on peut suspecter également les autres personnages – du mari de Sasha aux médecins – car ils ont tous un côté sombre. Pensez-vous que nous sommes tous capables de faire le mal ?

Je pense que, dans certaines circonstances, nous sommes tous capables du pire comportement humain. Nous sommes également capables du meilleur. Et c’est ce que c’est qu’être humain : choisir le bon, encore et toujours ; et, même lorsque l’on regarde vers les ténèbres, de croire en la lumière et s’y tourner.

Le roman est raconté de deux perspectives différentes. Pourquoi avoir choisi cette approche narrative et qu’est-ce qui vous a plu là-dedans ?

Le point de vue de Mark ne figurait pas dans le projet initial que j’avais soumis aux éditeurs. Cependant, lorsqu’il a été suggéré que son point de vue ajouterait une couche supplémentaire d’intrigue au travail, j’ai immédiatement compris le potentiel d’inclusion du récit de Mark. Son point de vue permet au lecteur de remettre encore plus en question les revendications de Sasha et de donner une autre perspective au récit apparemment peu fiable de Sasha.

 

Avec L’erreur, vous rejoignez une liste toujours plus longue d’autrices de thrillers psychologiques. Pensez-vous que les femmes approchent ce genre différemment des hommes ?

Il peut être difficile de séparer l’impact du genre sur l’approche d’un écrivain, car je crois que les lecteurs et les écrivains de tous les genres ont tendance à être fascinés par des motivations complexes, des personnalités et des aspects psychologiques des personnages. Personnellement, j'aime lire des romans qui défient mes perspectives et remettent en question mes convictions profondes. J'écris actuellement mon deuxième roman, un thriller médical, et je suis fascinée par l'exploration de l'interaction entre le crime et l'amour, entre autres sujets. J'espère pouvoir partager mon prochain roman avec vos lecteurs. Et j'espère que vos lecteurs trouveront que L’erreur est une lecture convaincante, réfléchie et stimulante.



 

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