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Par Sonatine, publié le 16/04/2019

L'interview d'Anthony Neil Smith : Billy Laffite ou l'art de l'anti-héros

L'interview sans langue de bois d'Anthony Neil Smith, auteur de Lune Noire (Sonatine Éditions)

Anthony Neil Smith est l'auteur de Lune Noire, sorti en mars 2019 chez Sonatine Éditions. Ce premier tome d'une série met en scène Billy Laffite, un flic de la Nouvelle-Orléans qui s'est vu relégué d'adjoint du shérif dans un bled perdu du Minnesota. Au programme : bastons, décisions impulsives, fusillades et courses poursuites.

Avec ce personnage controversé et flirtant avec les limites de la loi, Anthony Neil Smith mène ses romans d'une main experte. On a voulu lui poser quelques questions.

Commençons par parler de Billy Lafitte. Qui est-il ? Comment est-il né ? Pourquoi choisir un anti-héros comme personnage principal ?

Il est né lors de mon déménagement du Mississippi jusqu’au Minnesota, après avoir vécu là-bas quelques mois. J’étais un peu seul, un peu énervé, et tout ça s’est mélangé pour créer Billy. C’était ma manière d’extérioriser mes émotions. Bien sûr, je ne pourrais jamais faire ce que lui fait. Mais j’ai décidé d’en faire un anti-héros pour voir si je pouvais réussir à le rendre attachant aux yeux des lecteurs, même si ça les rend malades.

Je suis un grand fan de la série The Shield, et Vic Mackey est définitivement un bad cop mais il a toujours eu sa famille pour lui donner un visage plus humain. Donc à la place, j’ai enlevé la famille de Billy pour le mettre plus en marge. Où ira sa loyauté ? A lui-même et à ceux qu’il aime, mais pas à la loi ni ceux qui ont un réel sens du code moral, en vérité.

 

Le sens de la moralité de Billy Lafitte est très spécial et joue avec les limites. Et la présence de l’agent Rome, le Némésis de Billy, rend ça encore plus visible. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur la relation qui se joue entre ces deux personnages ?

Bien sûr. Oui, Billy construit et détruit ses propres règles morales au fil de l’eau. Rome, d’un autre côté, est juste un bon flic qui fait son boulot. Beaucoup de lecteurs américains m’ont dit qu’ils voulaient que Billy tue Rome dans ce livre, ce qui m’a choqué ! Je n’ai jamais vu Rome comme un méchant. Il est plutôt la conséquence des actions de Billy. Mais les gens se sont attachés à Billy car il est charmeur. Ils sont tombés dans mon piège. Et c’est pour ça que dans Bête Noire, j’offre à Rome son propre point de vue.

 

À travers vos interviews, tweets, etc. on comprend que vous avez parfois des opinions qui ne mettent pas tout le monde d’accord. Je pense notamment à votre vision du roman noir et du polar face à la littérature ou – dans un sujet complètement différent – au fait que vous n’hésitez pas à décrire de manière détaillée des scènes violentes ou sexuelles dans vos différents livres (l’un d’eux a même été banni d’Amazon à cause de ça). Est-ce que, d’un certain côté, vous avez insufflé un peu de vous en Billy Lafitte ? Un certain goût pour la provocation, peut-être ?

Je ne pense pas avoir mis beaucoup de moi-même en Billy, sauf des choses très superficielles – ce qu’il boit, la musique qu’il aime – mais je pense que j’écris plutôt sur des personnages et des situations qui m’effraient. Je pense que la littérature noire doit être perturbante parce qu’elle vient de l’existentialisme. C’est le côté obscur de la vie et ça devrait faire peur aux gens. Donc j’ai toujours essayé de décrire la violence et le sexe de manière exagérée tout en gardant un côté réaliste. Mes personnages sont blessés et effrayés, ils font des erreurs et ont des comportements sexuels gênants. Donc, dans ce cas, oui, j’imagine que j’aime bien provoquer les lecteurs, mais ça doit avoir sa place dans l’histoire. Je n’aime pas le faire juste pour choquer.

 

À propos de ce que Billy et vous avez en commun, il y a aussi ce clivage entre la Nouvelle-Orléans et le Minnesota. Est-ce que vous avez le même point de vue que Billy, concernant le Minnesota ?

Je ne suis plus fâché avec le Minnesota. J’ai vu à quel point cette région est belle, et j’ai rencontré ma femme ici, donc Billy et moi sommes différents sur ce point. Mais là où je vis (dans le sud-ouest de l’état), le temps et les paysages sont une punition – de mauvais blizzards, beaucoup de vent, des plaines plates durant des centaines de miles. Ça peut vous rendre un peu mélancolique. Je vis « au nord » depuis maintenant 18 ans, et je me sens toujours du sud. Je vais en Nouvelle-Orléans tous les ans car ma famille – et la nourriture! – me manquent. La chaleur là-bas est intense, et le temps peut être dingue – ma famille a traversé pas mal d’ouragans, y compris Katrina, le pire de tous. D’ailleurs, je suis en train de travailler sur un roman qui se passe dans le sud, basé sur un fait divers dont je me souviens, qui s’est passé à l’époque où j’étais au lycée. En fait, je connaissais le meurtrier. Nous allions à la même église. Cette histoire m’a hanté pendant des années et j’essaie de la raconter de la bonne manière.

 

Quels auteurs vous ont influencé ?

Mon « top trois » est Flannery O’Connor, James Ellroy et James Crumley. J’imagine qu’on pourrait aussi ajouter Quentin Tarantino, parce que Pulp Fiction m’a beaucoup influencé. J’ai tendance à aimer les auteurs de noir qui ont un côté plus sauvage, comme Chester Himes et Vicki Hendricks, par exemple. Mais il y en a tellement plus – James Lee Burke, Richard Prie, Walter Mosley, Mo Hayder, etc. Je suis aussi un énorme fan des romans noirs de Simenon, et des livres de Jean-Patrick Manchette.

 

Vous connaissez beaucoup d’auteurs publiés par Sonatine. Est-ce que vous avez un favori ? (Promis, on dira rien !)

Oh non ! Je ne vous laisserai pas m’avoir comme ça ! Oui, j’étais très content de voir des auteurs que je connais dans votre catalogue, et j’ai aussi découvert de nouveaux auteurs à lire et dont je n’avais jamais entendus parler avant. Je suis allé à l’université avec Michael Farris Smith, donc je suis vraiment ravi de son succès. J’ai rencontré Tim Willocks et R. J. Ellory à un festival italien, il y a à peu près 8 ans, et j’adore ces mecs. Ce sont tous les deux d’incroyables écrivains. Je suis aussi en contact par mail avec David Joy et Graeme Burnet, même si je ne les ai encore jamais rencontrés en personne. Sonatine Editions partage vraiment mes goûts. Je suis actuellement en train de lire le livre d’Alex Marzano-Lesnevich, L’Empreinte, après en avoir entendu parler sur votre site. C’est génial.

 

Lune Noire vient juste de sortir en France, et Bête Noire sera disponible en septembre. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce second volet ?

Le deuxième est une partie de plaisir. C’est un roman de course-poursuite. Le plus gros changement, c’est qu’il y a désormais une 3ème voix, ce qui nous permet d’entrer dans la tête de plus de personnages. Rome est de retour, tout comme Nate et sa copine Colleen, et on y rencontre enfin l’ex-femme de Billy, Jenny. Mais cette fois, on retrouve Billy alors qu’il se cache de la justice dans un gang de motards, dirigé par un homme fou qui s’appelle Steel God, et qui est un des personnages que j’ai créés que je préfère. Je pense que j’ai monté d’un cran au niveau de la violence, dans celui-ci, et il me fait beaucoup penser aux films d’actions abrasifs des années 70, comme Dirty Harry ou les films de séries B.

 

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