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Par Belfond, publié le 17/07/2020

Lisa Azuelos : "Repasser de la productivité aliénante à la douceur de vivre"

Après le départ de sa fille, Alice se retrouve seule chez elle. Un sentiment d’abandon l’enserre et elle se rend bientôt compte qu’elle est atteinte du syndrome du nid vide. Petit à petit, cette quinquagénaire va se redécouvrir pour mieux vivre, profiter du nouveau chapitre de sa vie qui s’ouvre à elle. La romancière et réalisatrice Lisa Azuelos répond à nos questions sur cette période si délicate de l’existence.

La vie en ose dresse le portrait d’une femme à un tournant de sa vie. Elle se retrouve notamment confrontée au "syndrome du nid vide" après le départ de sa fille, un thème que vous abordiez déjà dans votre film Mon bébé en 2019. Qu’est-ce qui vous interpelle dans ce phénomène ?

Le fait d’avoir donné tant d’énergie et d’amour et devoir faire comme un deuil inavouable derrière. C’est un chômage non reconnu pas l’État, car c’est un travail non reconnu socialement ! Le travail du care ne fait pas partie du profit et, donc, n’existe pas ; ce n’est pas un outil comptable pour dire comment va une nation. Seul le sang des hommes morts pour la nation est comptabilisé, pas le sang des accouchements. L’idéal du martyre surplombe toujours la beauté du vivant.

Alice est traversée par de nombreuses envies mais se sent comme cadenassée dans un quotidien qu’elle avait jusqu’ici consacré à ses enfants et à son mari. La vie en ose aborde la possibilité, à tout âge, de se réinventer. Comment avez-vous travaillé ce personnage complexe et à quel point Alice personnage s’inspire-t-elle de vos propres réflexions et luttes ?

Je ne suis pas une acharnée de l’égalité hommes-femmes mais plus de la reconnaissance de la valeur du féminin ou ce que les Chinois appellent "l’énergie yin". Qu’on arrête le processus infernal de la domination, du toujours plus, de l’addiction comme plus de la consommation, de la pénétration des sols et des marchés sans consentement, par des foreuses ou des algorithmes, ça, ce sont mes luttes. Comment repasser de la productivité aliénante à la douceur de vivre ? Car il y a une douceur à vivre, notamment après 50 ans où l’on ne se sent plus forcément obligé de s’occuper des autres mais un peu plus de soi. Pour cela, il faut aussi aborder le thème de la peur et de la culpabilité très présent chez les femmes qui ont souvent la sensation de ne pas être à leur place. 

Le roman oscille entre le "je" d’Alice et la narration à la troisième personne. Pourquoi ce choix ?

La narration dans le journal me permet de donner certaines clés de développement personnel, car c’est le but du livre. Qu’il résonne et réveille aussi le cœur des femmes qui ont honte ou qui ne se sentent "pas assez" quelque chose. 

Vous voyagez de la littérature au cinéma – toujours avec un accent fort donné aux personnages féminins. Comment la pratique de ces arts s’imbriquent-ils ou se répondent-ils pour vous ? Que vous apporte, par exemple, l’écriture d’un roman par rapport au tournage d’un film ?

Écrire un livre est plus facile pour moi car je n’ai pas besoin d’une équipe pour réaliser l’histoire. C’est plus introspectif aussi. J’ai une passion pour l’écriture avant tout. Ensuite, ça devient ce que le destin veut bien en faire.

Votre travail s’inscrit dans une mouvance profondément féministe. Que pensez-vous de la place accordée aux femmes et au « female gaze » dans la littérature contemporaine ?

Je pense qu’il faut un "human gaze". J’en ai assez de la séparation homme/femme, noir/blanc, riche/ pauvre, province/paris, jeunes/vieux, profit/soin... Il est temps d’adopter ce que les bouddhistes appellent "la voie du milieu" : une humanité retrouvée. 

À côté de votre pratique artistique, vous animez également de nombreuses conférences. Qu’aimeriez-vous dire aux femmes qui ont peur de prendre leur envol ?

Qu’il n’y a rien de plus effrayant que d’être dans une cage ! 

 

La vie en ose
Alice, 53 ans, fraîchement divorcée, vient de voir sa fille, la petite dernière, quitter la maison. Elle décide d’entamer un nouveau chapitre de sa vie. Elle doit se faire engager comme styliste d’intérieur, son rêve depuis toujours. Mais rien ne se déroule comme prévu, et elle se retrouve vendeuse dans une boutique de déco. Après un week-end de déprime passé à binger sur son canapé, le cheveu gras, elle décide qu’elle alignera sa nouvelle vie sur le mantra de Walter White, le héros de Breaking Bad : « L’ennemi, c’est la peur. » À partir de maintenant, elle sera celle qu’elle n’a jamais osé être : elle-même.
 
Avec tout l’humour et toute la modernité de son univers, Lisa Azuelos s’empare joliment d’un fait de société… Et si le « nid vide » était le meilleur endroit pour prendre son envol ?

 

Belfond