L’historien François Joyaux, fort de sa connaissance de l’Extrême-Orient, dont il est l’un des meilleurs spécialistes, livre dans une courte interview les raisons qui l’ont poussé à écrire sur la dernière impératrice du Vietnam, Nam Phuong.
Femme singulière qui a su imposer ses convictions, Nam Phuong a également laissé son empreinte dans un pays aux traditions annamites en matière de modernisation, d’accès à l’éducation, ou encore concernant le travail des femmes. L’auteur croise archives et témoignages pour dresser le tableau d’un Vietnam bousculé par la révolution communiste et dessine le portrait d’une femme dont les derniers jours demeuraient jusqu’alors un mystère.
Nam Phuong a eu un destin hors du commun. Qu’est-ce qui vous a fasciné dans ce personnage pour lui consacrer une biographie ?
Plus qu'une fascination, c'était une interrogation qui m'a amené à reconstituer cette biographie. On comprenait bien pourquoi la révolution communiste au Vietnam l'avait contrainte à s'exiler en France. Mais pourquoi avoir quitté Cannes pour le fin fond de la Corrèze ? Pourquoi un exil dans l'exil ? J'ai voulu savoir. D'où cette biographie.
Malgré son rôle d’impératrice, Nam Phuong était une femme simple et moderne que le lecteur peut découvrir grâce aux photographies in-text. Qu’est-ce qui caractérise ce paradoxe ?
Nam Phuong était une fille de la bourgeoisie catholique du Sud, effectivement "simple et moderne". On en a fait une impératrice ; comme le dit le préfacier, on lui a "fait jouer une pièce sur les tréteaux de l'histoire". Elle a essayé de jouer au mieux cette pièce, mais ce n'était qu'un rôle. Au fond, on lui a fait jouer un rôle d'impératrice, mais elle était restée plus femme qu'elle n'était devenue impératrice. D'où le paradoxe apparent. Et puis tout a craqué autour d'elle, et elle-même a craqué, abandonnant son rôle d'impératrice et même d'ex-impératrice, pour redevenir ce qu'elle n'avait jamais cessé d'être, une femme "simple et moderne".
Nam Phuong, une femme au destin aussi extraordinaire que tragique
La future impératrice Marie Nguyen Huu thi Lan devenue l’impératrice Nam Phuong, nait en 1913, près de Saïgon, au Sud du Viêtnam, dans l’ancienne Cochinchine française. En langue annamite, Nan Phuong signifie « Parfum du Sud ». Issue d’une famille riche, profondément catholique et très francophile, elle fait ses études à Paris. A vingt ans, on la marie au jeune empereur Bao Daï dont elle aura cinq enfants. Elle devient impératrice d’un Viêtnam colonial, avec tout ce que cela comporte d’honneurs et d’épreuves : vie fastueuse à Hué, la capitale impériale, ou à Dalat, la ville moderne des hauts plateaux, mais aussi malheurs de la guerre, de l’occupation japonaise, de la révolution communiste. En 1947, elle est contrainte de s’exiler sur la côte d’Azur pour sauver ses enfants et renonce ainsi à son engagement politique. Les mondanités ne sauraient lui faire oublier deux profondes blessures : un mari volage et un Viêtnam en guerre. Découragée, elle se réfugie au fond d’un petit village d’Auvergne. Une vie tragique, reflet de la tragédie de l’Indochine. Celle, dont le nom évoquait un parfum, n’a laissé dans l’histoire qu’une effluence discrète. Tout le mérite de François Joyaux est d’en avoir retrouvé l’âme.