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Par Perrin, publié le 14/04/2020

Pierre Messmer : le portrait exceptionnel d'un grand serviteur de la nation

Héros de la France combattante, grand serviteur de la nation et homme de lettres, voici enfin une biographie qui met en lumière le parcours exceptionnel de Pierre Messmer. Frédéric Turpin, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Savoie Mont Blanc, spécialiste d’histoire politique et du gaullisme particulièrement, nous en apprend un peu plus sur la vie de l’homme politique. Rencontre.

Pourquoi une biographie de Messmer aujourd'hui ?

Pierre Messmer est une des grandes personnalités françaises de la seconde moitié du 20e siècle. Il a été témoin et/ou acteur à des moments-clé de l’histoire de France : Deuxième guerre mondiale (Bir Hakeim, El Alamein), décolonisation (guerre d’Indochine, Cameroun, Afrique subsaharienne, fin de la guerre d’Algérie), force de frappe nucléaire, mai 68, premier choc pétrolier, etc. Mais, curieusement, aucune biographie ne restituait ce parcours hors-norme dans son ensemble. Aucun historien ne s’était attelé à cette tâche difficile, mais pas impossible, par la variété des domaines que Pierre Messmer a traité au cours de sa vie.

Certes, Pierre Messmer a laissé plusieurs ouvrages relatant ses souvenirs. Mais cela n’a jamais empêché les historiens d’écrire des biographies sur des personnages historiques ayant le goût de leur propre récit. C’est donc d’abord pour réparer ce manque éditorial et scientifique que je me suis lancé dans la biographie d’un personnage qui, disons-le franchement, s’est révélé passionnant dans toutes ses dimensions.

Que faut-il retenir de l’homme en général et de son parcours ?

Si je devais retenir une devise pour symboliser la vie de Pierre Messmer, je dirais "Honneur, Patrie et Devoir". Sa vie durant, il a été un grand serviteur de la France, un grand commis de l’Etat qui, même s’il s’est aventuré dans la vie politique, est toujours resté ce qu’il était : un personnage public de premier plan qui n’a jamais triché avec lui-même. Au fond, au-delà des caricatures peu amènes (comme celle du légionnaire en politique), son image correspondait assez bien à sa manière d’être, tout en honnêteté et en franchise, au service de la cause de la France qu’il percevait à travers le prisme gaullien. Depuis juin 1940, il fut d’une fidélité absolue et personnelle à Charles de Gaulle ainsi qu’à sa fameuse "certaine idée de la France".

Ce qui le distingue de nombre d’autres compagnons de la Libération, c’est son parcours exceptionnel une fois accomplie sa « belle guerre » : gouverneur général de la France d’outre-mer à quarante deux ans, ministre des armées du Général pendant plus de neuf ans, Premier ministre sous la présidence de Georges Pompidou, mais aussi député-maire de Sarrebourg, président du conseil régional de Lorraine, chancelier de l’Ordre de la Libération, chancelier de l’Institut de France, etc. C’est un parcours unique par sa richesse et sa longévité.   

Quel événement ou quelle particularité vous a frappé en réalisant ce travail biographique sur cet homme méconnu et hors du commun ?

Dans une vie aussi riche que celle de Pierre Messmer, il est bien difficile d’isoler et de s’arrêter sur tel ou tel événement en particulier : le héros de Bir Hakeim ? Sa mission avortée au Tonkin en 1945 ? Sa gestion de la crise camerounaise en 1956-1957 ? Face au putsch des généraux d’avril 1961 ? La tragédie des Harkis ? L’homme de la force de frappe nucléaire ? Mai 68 ? Face au choc pétrolier de 1973 ? Le chancelier de l’Institut de France ? Etc. 

Pierre Messmer, c’est d’abord un homme dont la vie est mue par un ardent patriotisme qui place la France au-dessus de son intérêt personnel. La notion de devoir, qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême, n’est donc pas chez lui une figure de style d’un manuel désuet. C’est une ligne de conduite en toutes circonstances et à toutes les échelles de son action. C’est ce qui fait la grandeur du personnage mais aussi sa faiblesse car il admet peu ou pas que tous les Français n’en fassent pas autant. Ainsi Messmer n’hésite pas un instant à porter les armes contre d’autres Français, au Gabon en 1940 ou en Syrie en 1941, alors que d’autres Français libres s’y refusent. De même, il ne cache pas qu’il ferait fusiller les putschistes d’avril 1961… Le décalage avec les générations de Français et de Françaises de la société de consommation de masse et des loisirs qui s’impose avec les Trente Glorieuses est de plus en plus flagrant. Pour autant, l’homme n’est pas dogmatique, à l’instar de son mentor le général de Gaulle, et peut être décrit, avec justesse, sous les traits d’un administrateur dans l’âme, mais au service de la France et des Français. 

 

Vous souhaitez en savoir plus sur la vie de Pierre Messmer ? On vous recommande la lecture de sa biographie par Frédéric Turpin, sortie le 19 mars 2020 aux éditions Perrin.

Pierre Messmer
« Pour me trouver moi-même, je pars et je combats » : la devise qu’il fait graver sur son épée d’académicien, en 1999, dit assez qui était Pierre Messmer (1916-2007). Jeune homme de bonne famille promis à un bel avenir dans l’administration de la France d’outre-mer, rien ne le prédisposait à sa première vie, celle d’aventurier, entreprise dès juin 1940 alors qu’il choisit de rejoindre Londres et la France libre pour continuer le combat. De ses expéditions avec la Légion étrangère, de Dakar en 1940 jusqu’à la libération de Paris et la campagne d’Allemagne en 1945, il est ensuite parachuté au Tonkin, où il sera démobilisé. Débute alors sa deuxième vie, celle, programmée, d’administrateur : Mauritanie, Côte d’Ivoire, Cameroun, A.-É.F., A.-O.F. Là encore, Messmer brille par son investissement et son grand professionnalisme. Tant et si bien que le général de Gaulle, qui l’avait fait Compagnon de la Libération en juin 1941, décide d’en faire son ministre des Armées – il sera la cheville ouvrière du grand dessein gaullien de la création de la force de frappe nucléaire. Messmer sera encore ministre dans le gouvernement Chaban-Delmas, puis Premier ministre de Georges Pompidou (1972-1974). Sa vie politique achevée, celle d’homme de lettres commence : une troisième vie aussi exceptionnelle que les deux premières, qui le conduit jusqu’à l’Institut de France, dont il devient le chancelier.
Fort de sources et de témoignages inédits, Frédéric Turpin brosse avec talent le portrait sans complaisance de cet homme de convictions, dont les vies valent bien des romans d’aventures.
 
Professeur d’histoire contemporaine à l’université Savoie-Mont-Blanc, Frédéric Turpin est spécialiste d’histoire politique (du gaullisme tout particulièrement), de la décolonisation et des mondes ultramarins. Il est notamment l’auteur de De Gaulle, Pompidou et l’Afrique (1958-1974). Décoloniser et coopérer (2010), Jacques Foccart. Dans l’ombre du pouvoir (2015) et La France et la Francophonie politique. Histoire d’un ralliement difficile (2018, prix Jean Sainteny 2019 de l’Académie des sciences morales et politiques).
 

Perrin