Héros de la France combattante, grand serviteur de la nation et homme de lettres, voici enfin une biographie qui met en lumière le parcours exceptionnel de Pierre Messmer. Frédéric Turpin, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Savoie Mont Blanc, spécialiste d’histoire politique et du gaullisme particulièrement, nous en apprend un peu plus sur la vie de l’homme politique. Rencontre.
Pourquoi une biographie de Messmer aujourd'hui ?
Pierre Messmer est une des grandes personnalités françaises de la seconde moitié du 20e siècle. Il a été témoin et/ou acteur à des moments-clé de l’histoire de France : Deuxième guerre mondiale (Bir Hakeim, El Alamein), décolonisation (guerre d’Indochine, Cameroun, Afrique subsaharienne, fin de la guerre d’Algérie), force de frappe nucléaire, mai 68, premier choc pétrolier, etc. Mais, curieusement, aucune biographie ne restituait ce parcours hors-norme dans son ensemble. Aucun historien ne s’était attelé à cette tâche difficile, mais pas impossible, par la variété des domaines que Pierre Messmer a traité au cours de sa vie.
Certes, Pierre Messmer a laissé plusieurs ouvrages relatant ses souvenirs. Mais cela n’a jamais empêché les historiens d’écrire des biographies sur des personnages historiques ayant le goût de leur propre récit. C’est donc d’abord pour réparer ce manque éditorial et scientifique que je me suis lancé dans la biographie d’un personnage qui, disons-le franchement, s’est révélé passionnant dans toutes ses dimensions.
Que faut-il retenir de l’homme en général et de son parcours ?
Si je devais retenir une devise pour symboliser la vie de Pierre Messmer, je dirais "Honneur, Patrie et Devoir". Sa vie durant, il a été un grand serviteur de la France, un grand commis de l’Etat qui, même s’il s’est aventuré dans la vie politique, est toujours resté ce qu’il était : un personnage public de premier plan qui n’a jamais triché avec lui-même. Au fond, au-delà des caricatures peu amènes (comme celle du légionnaire en politique), son image correspondait assez bien à sa manière d’être, tout en honnêteté et en franchise, au service de la cause de la France qu’il percevait à travers le prisme gaullien. Depuis juin 1940, il fut d’une fidélité absolue et personnelle à Charles de Gaulle ainsi qu’à sa fameuse "certaine idée de la France".
Ce qui le distingue de nombre d’autres compagnons de la Libération, c’est son parcours exceptionnel une fois accomplie sa « belle guerre » : gouverneur général de la France d’outre-mer à quarante deux ans, ministre des armées du Général pendant plus de neuf ans, Premier ministre sous la présidence de Georges Pompidou, mais aussi député-maire de Sarrebourg, président du conseil régional de Lorraine, chancelier de l’Ordre de la Libération, chancelier de l’Institut de France, etc. C’est un parcours unique par sa richesse et sa longévité.
Quel événement ou quelle particularité vous a frappé en réalisant ce travail biographique sur cet homme méconnu et hors du commun ?
Dans une vie aussi riche que celle de Pierre Messmer, il est bien difficile d’isoler et de s’arrêter sur tel ou tel événement en particulier : le héros de Bir Hakeim ? Sa mission avortée au Tonkin en 1945 ? Sa gestion de la crise camerounaise en 1956-1957 ? Face au putsch des généraux d’avril 1961 ? La tragédie des Harkis ? L’homme de la force de frappe nucléaire ? Mai 68 ? Face au choc pétrolier de 1973 ? Le chancelier de l’Institut de France ? Etc.
Pierre Messmer, c’est d’abord un homme dont la vie est mue par un ardent patriotisme qui place la France au-dessus de son intérêt personnel. La notion de devoir, qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême, n’est donc pas chez lui une figure de style d’un manuel désuet. C’est une ligne de conduite en toutes circonstances et à toutes les échelles de son action. C’est ce qui fait la grandeur du personnage mais aussi sa faiblesse car il admet peu ou pas que tous les Français n’en fassent pas autant. Ainsi Messmer n’hésite pas un instant à porter les armes contre d’autres Français, au Gabon en 1940 ou en Syrie en 1941, alors que d’autres Français libres s’y refusent. De même, il ne cache pas qu’il ferait fusiller les putschistes d’avril 1961… Le décalage avec les générations de Français et de Françaises de la société de consommation de masse et des loisirs qui s’impose avec les Trente Glorieuses est de plus en plus flagrant. Pour autant, l’homme n’est pas dogmatique, à l’instar de son mentor le général de Gaulle, et peut être décrit, avec justesse, sous les traits d’un administrateur dans l’âme, mais au service de la France et des Français.
Vous souhaitez en savoir plus sur la vie de Pierre Messmer ? On vous recommande la lecture de sa biographie par Frédéric Turpin, sortie le 19 mars 2020 aux éditions Perrin.