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Par Presses de la Cité, publié le 24/02/2023

Prix Jean Anglade 2023 : Cinq finalistes, cinq histoires qui ont façonné un roman

Nous avons le plaisir de vous présenter les cinq heureux et méritants finalistes de l’édition 2023 du prix Jean Anglade. À l’issue des délibérations, l’un d’entre eux se verra décerner par le jury ce prix qui récompense un primo-romancier. Leurs personnalités et récits de vie très différents font, une nouvelle fois, la richesse de ces instants de lecture. Universels et humanistes, leurs romans honorent des valeurs chères à l’écrivain Jean Anglade. Mais sans plus attendre, voici le portrait de ces cinq auteurs, et leur histoire qui a modulé leur perception de la littérature et façonné leur relation à l’écriture.

Pascale Charbonneau

L’essentiel de mes jeunes années est contenu dans mon récit Le Petit Taureau noir. 

Je suis la numéro 3 d’une fratrie nombreuse de neuf enfants, sept filles et deux garçons. Mon père, grand érudit, était vétérinaire en région charolaise, ma mère se consacrait à nous tous…

Adolescente, parce que je prenais un peu trop position pour ma mère, victime de violences continuelles, mon père a décidé de m’éloigner et de me mettre au pas, en m’interdisant de continuer des études, et en m’imposant, à partir de 15 ans, de préparer un CAP de dactylo dans un collège technique. La fameuse petite phrase assassine de ma tante : « Toi, tu seras dactylo. »

Je passe sur les péripéties de ma scolarité, fort chamboulée par son désir de me nuire, qui ont nourri ma révolte intérieure. Ce qui est sûr, c’est que je ne me suis jamais résignée, portée par la conviction que je m’en sortirais un jour.

Quand il accepta de m’accorder un sursis pour préparer un diplôme supérieur, j’entrai dans un lycée technique mixte où je pus enfin m’exprimer. La dactylo pourrait se targuer de viser un poste de secrétaire !

Chaque été, j’ai travaillé pour gagner de l’argent nécessaire à mon quotidien durant l’année scolaire, excepté le prix de la pension. Bonne école, je ne regrette rien.

Mais l’envie d’étudier, et la délicate complicité de la documentaliste du lycée m’ont donné l’énergie pour avancer.

Et surtout, la rencontre avec un garçon qui va m’aider à me construire, et devenir mon mari et le père de mes deux garçons.

Une fois mariée, j’ai donc tout recommencé, et passé mon bac littéraire par correspondance à 26 ans, avec deux enfants en bas âge. Pas d’Internet à l’époque ; je recevais chaque semaine des liasses de documents, dans lesquelles je me plongeais avec plus ou moins de bonheur. J’y passais mon temps libre et une grande partie de mes nuits.

Puis j’ai préparé le certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire, complexe mais passionnant. J’avais hérité de mes parents, comme nombre de mes frères et sœurs, le goût des livres, et j’allais en faire mon métier.

Mes camarades étaient tous issus de l’université, quand je ne possédais qu’un bac, mais personne ne m’a jamais déconsidérée, j’étais à ma place parmi eux.

J’ai adoré mon métier.

J’ai été un rat de bibliothèque, un vrai rat d’époque, un exemplaire de la fin du siècle dernier, qui avait applaudi la loi Lang sur le prix unique du livre, et l’éclosion de bibliothèques dans tout le pays, comme pâquerettes annonçant le printemps.

Une révolution pacifique allait bon train, qui nous fit passer d’antres obscurs, où languissaient d’improbables collections réservées à quelques initiés, à des espaces lumineux, colorés, vivants, où se côtoyait aimablement tout un petit peuple épris de lecture, écoliers, étudiants, retraités, ménagères de moins de 50 ans et, tant qu’on y était, jusqu’à des bébés lecteurs…

Il était temps !

De tous les coins de France, des maires éclairés, soucieux de laisser une empreinte de leur ministère, se mirent à rénover, agrandir, bâtir à pleins bras ; des bibliothécaires furent engagés, des librairies sollicitées, et en quelques années, on ouvrit toutes grandes les portes de centaines de bibliothèques municipales.

Celle où j’œuvrai pendant près de trente ans est située dans un quartier sensible de la banlieue dijonnaise, où il y avait tout à faire et qui est devenue, au fil des ans, un formidable lieu de vie et une référence.

Un paradis ! Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Michel Serres, dont j’ai entendu naguère cette merveilleuse petite phrase sur France Inter : « Peu de gens savent qu’une bibliothèque est un paradis »…

Je peux bien le dire à présent, l’heure de la retraite sonnée, travailler au milieu des livres, je n’ai eu aucun mérite, c’était tout sauf du boulot.

Oui, je me suis bien régalée avec les livres, les écrivains, les lecteurs et les libraires ! Et d’y repenser, je pleure encore mon paradis perdu…

Pendant toutes ces années à bouquiner, je fis de belles moissons, je connus maints coups de cœur, j’éprouvai des admirations sans limite, j’idolâtrai plus que de raison, mon petit panthéon personnel a toujours eu une belle capacité d’accueil.

Quant aux bénéfices secondaires que je n’aurais jamais osé imaginer, comme rencontrer des écrivains pour de vrai, avec eux converser, rire, dîner et partager de fameuses soirées à la bibliothèque, où nous organisions signatures, apéros-lectures, joutes littéraires ou conférences, que de merveilleux souvenirs !

À présent je lis toujours, et je continue à butiner « l’or des rayons » de ma chère librairie, qui a installé un petit café et de beaux canapés rouges.

Et j’écris.

Si ce Petit Taureau noir peut être considéré comme un roman, c’est avant tout un texte à 80% autobiographique, que j’ai écrit pour mes deux fils, afin de partager avec eux quelques pages de mes jeunes années, dont ils n’avaient qu’une vague idée.

Je voulais aussi qu’ils réalisent l’ambivalence de mon attachement à ce père terrible et à ma famille, malgré les drames et les moments pénibles traversés, qui m’ont fondée malgré tout.

Dans mon activité professionnelle, j’ai beaucoup écrit, ou plutôt rédigé. Des notes, des rapports, rien de bien passionnant.

Écrire, pour moi, c’est autre chose. J’ai bien sûr tellement aimé les livres et les auteurs qu’immanquablement, je rêvais d’écrire.

Mais le format long m’effrayait, et je craignais de ne pas tenir la distance.

Je me sens plus à l’aise dans un format court, et j’ai commis quelques nouvelles.

Dont une publiée par l’intermédiaire d’un ami écrivain dijonnais, dans un numéro de la revue des Amis de Gaston Bachelard, consacré à la maison : « L’Art de tailler ». J’ai aussi envoyé naguère (et sans succès) un recueil à plusieurs maisons d’édition.

Et, il y a quinze ans, j’ai reçu le premier prix d’un concours organisé par l’association des commerçants dijonnais. Le thème, « Femme passionnément », et les contraintes en étaient discutables, puisque le texte devait être écrit par une femme et traiter de beauté et de gourmandise, c’est dire… Je me suis bien amusée à prendre le contre-pied des consignes, ma nouvelle, « Merveille dijonnaise », racontait l’histoire d’un laideron !

La récompense en était excessive, mais nous avons fait un beau voyage…

 

Séverine Vincent

Je suis née un jour ensoleillé de fin août, en 1967, au pied d’une tour médiévale en Drôme provençale. En famille, dans les rires et le chant des cigales ; mon oncle médecin jouant la sage-femme, mon père musicien sifflotant dans les couloirs. Enfance dorée, fantaisiste, hippie chic.

J’ai grandi dans une bulle artistique, parisienne, privilégiée. Je suis enfant chanteuse, on me considère pour cela. Puis à l’aube de l’adolescence, l’appel des sirènes d’Hollywood, le miroir aux alouettes, nous quittons tout pour le rêve américain. Migrants à Los Angeles. Trois ans d’exil. À 17 ans je rentre à Paris moralement aphone, culturellement à la bourre. Un bac obtenu par l’opération de mon ange gardien. Je choisis le théâtre. Comédienne. Tourne des films. Joue des pièces, beaucoup. J’évolue sur les planches de navires rouge et or. Boulimique de lectures, de rencontres. Mon âme se déplace. Je m’aventure dans les marges ; je porte le théâtre en milieu carcéral, en zones sensibles. Aujourd’hui je suis maman, auteure, metteure en scène. Demain je serai aussi vitrailliste.

Mon aïeule a fugué de son mouroir à 83 ans en compagnie de son premier et seul grand amour. Les gendarmes ont mis des semaines à ramener au bercail médicalisé les deux octogénaires. Personne n’a pris au sérieux leur idylle. Tous deux en sont morts dans la foulée. C’est tout ce que je sais de cette arrière-grand-mère qu’on appelait Mémé Folle, hormis deux trois bribes décousues de son existence qui m’ont été rapportées du bout des lèvres.

Alors j’ai décidé d’inventer sa vie.

Le souvenir de cette petite bonne femme aux lunettes rondes plus épaisses que ses propres mystères me hante depuis ce jour d’enfance où mon père me relata ses frasques de fugueuse, avec ce je-ne-sais-quoi de tendrement moqueur dans les yeux, cette douceur agacée qu’on ne réserve habituellement qu’aux grosses bêtises de mômes à morigéner.

J’ai entrepris la rédaction de ce roman il y a une dizaine d’années. Je l’ai lâchée. Je l’ai reprise.

Cette aïeule, ma Mémé Folle, j’ai mis du temps à la songer comme un personnage, à la remettre au monde comme je le fais habituellement dans mon travail d’actrice avec les personnages qui me sont offerts. Je crois que ça remue. C’est troublant de bien vouloir s’autoriser l’audace de se projeter dans une vie qui a eu lieu, dont on ne sait rien, mais qui vous titille les gènes, et surtout, avant tout, le cœur.

 

Murielle Holtz

Murielle Holtz est auteure, compositrice et interprète. Elle a travaillé plusieurs années en tant que comédienne et musicienne au sein de compagnies de spectacle et de groupes de musique avant de prendre goût à la composition de ses propres chansons. Elle développe alors un jeu musical à sa façon, alliant scat vocal doublé instrumental, textes en français et langage imaginaire. C’est avec ce répertoire qu’elle enregistre trois albums : « Soliphonies », « Soulitude » et « Rhapsodie en Tridem ».


Murielle Holtz a toujours eu à cœur de confronter sa pratique artistique à celle d’autres disciplines, d’autres cultures. Créer des passerelles entre les styles et les frontières est au cœur de son travail. Tout comme la joie d’improviser. C’est avec ce même élan qu’elle a plongé dans l’écriture de ce roman.
Elle partage aujourd’hui son temps entre des performances scéniques et l’écriture de textes à lire à voix haute ou basse.

« Ce livre est la seconde moitié d’un autre. La première moitié a longtemps patienté dans une boîte en fer-blanc, quelque part dans l’appartement d’une ville qu’on nomme la Grande Noire, avant de me parvenir, il y a quelques années, sous la forme quasiment indéchiffrable de 543 lettres écrites au crayon-mine sur du papier très fin. Il fallut ausculter les lettres à la loupe puis reconstituer le puzzle. Patiemment. Pièce après pièce. Jusqu’à ce qu’une carte se dessine. Alors une ville est apparue, avec ses rues et ses décombres, ses tunnels et ses collines. Une ville peuplée de femmes attendant le retour de leur mari, peuplée d’enfants ne connaissant de leur père que le nom.
En puisant dans le réel et le passé, j’avais trouvé des éléments précieux pour créer une fiction dans laquelle les personnages tenteraient, malgré les mensonges et les désillusions, de faire vivre le mot famille, le mot espoir.
Il y est donc question de pots de confiture à ficeler, de mots gonflés d’amour comme des bouées, d’un orage sec, d’un sablier, de cascades de rires entre Veevie et son petit frère. »

 

Caroline Hussar

Née en Auvergne, j’ai grandi dans la campagne bourbonnaise. Dans le cadre de mes études au sein de la faculté de droit de Clermont-Ferrand, je me suis intéressée au droit de la santé, ce qui m’a amenée à poursuivre mes études à la faculté d’Aix-Marseille. J’ai choisi de revenir exercer mon activité d’avocat en Auvergne, et de me spécialiser dans la défense des victimes, notamment auprès des enfants. J’y ai fondé ma famille, avec laquelle je vis aujourd’hui au pied du Puy-de-Dôme.

Mon goût de la lecture s’est développé dès l’enfance, avec une appétence particulière pour la littérature descriptive et contemplative, que m’a fait découvrir l’une de mes instructrices. À l’adolescence j’écrivais de petits textes, des descriptions de paysages, des portraits. Ces écrits, à l’âge adulte, se sont enrichis au gré des rencontres que j’ai faites, plus particulièrement dans le cadre de mon activité professionnelle. C’est ainsi que ce roman est né.

Doghouse est un roman inspiré de mon expérience d’avocat de l’enfant, de la problématique des placements en famille d’accueil, et des écueils du système d’assistance éducative. Mon intention était de montrer comment pouvaient grandir des enfants en mal d’amour, au sein d’une famille dans laquelle on ne sait pas trop comment aimer, à part en les mettant au contact de la nature. Je me suis attachée à décrire leur vie dans un petit village de campagne dans les années 1990. C’est l’histoire d’une maison perdue dans la campagne profonde, entourée de chenils. Les habitants de la maison accueillent tant des enfants de passage que des enfants placés par les services sociaux. On y élève les enfants comme les chiots. Au fil des années, les problèmes vont apparaître, et cette famille rustre et dysfonctionnelle va tenter d’y apporter sa solution. 

 

Charles Flamand

Charles Flamand est né en 1988. Il vit aujourd’hui à Paris où il travaille en tant que directeur de création. Sa fibre littéraire s’exprime à travers plusieurs projets remarqués. Il est à l’origine de Mercœur, le roman construit en temps réel, un feuilleton 2.0 posté en direct sur les réseaux sociaux. L’expérience fut relayée par différents médias, comme la RTS, Novaplanet ou Bibliobs, ainsi qu’outre-Atlantique, où Mercœur fut étudié parmi un corpus littéraire d’œuvres numériques à l’université de Laval au Québec (2019). Plus récemment, Charles Flamand a collaboré avec le Studio Briand & Berthereau sur la publication d’À l’Ouest, un poème en prose évoquant son rapport au littoral et à la mer. Il est par ailleurs auteur de courts-métrages. L’un d’eux, inspiré par la culture surf dont Charles est passionné, L’Or Bleu (réalisation : Jameson Pepper), a été présenté à l’ouverture du Festival du Film de surf de Paris, le PSSFF, en 2019.

 

« Pour présenter mon texte, le mieux est peut-être d’en citer quelques lignes :

"Il y a déjà le syndrome de Stockholm que tout le monde connaît depuis qu’il a été repéré là-bas en 73 ; je peux dire maintenant qu’il existe le syndrome de Sainte-Honorine puisque je l’ai moi-même repéré dans le village éponyme, et qu’il est la continuation de la même pathologie, c’est-à-dire la fraternisation paradoxale entre l’otage et son geôlier, mais sous un angle plus matriarcal et maternel. Il y a tant de choses déjà faites, pensées, réalisées sur le syndrome de Stockholm. Le syndrome de Sainte-Honorine, par contre, est une découverte purement originale, et non moins scientifique, qui mérite peut-être une publication dans une revue spécialisée."

Lors du premier confinement, j’ai expérimenté, comme beaucoup de Parisiens provinciaux, mon retour à la campagne. Dans mon cas, ce fut la Normandie. Vivant au rythme du village et de son clocher, errant dans ma maison d’enfance, j’ai laissé mon esprit divaguer, et regardé différemment cet endroit qui m’a vu grandir, pour aboutir à cette histoire que je conçois comme un conte, une sorte de Barbe Bleue inversé.

À travers ce texte, j’ai voulu peindre la toile rurale de mon village, son histoire, sa géographie, ses personnages hauts en couleur, comme un petit écosystème à l’abri du monde et de ses actualités. Il me tenait à cœur d’en retranscrire l’atmosphère si particulière, de la cristalliser dans ce récit que j’ambitionne aussi poétique qu’amusant.

J’emprunte à différents genres, l’absurde et le cruel, le romantique et l’horrifique, pour une histoire universelle, inscrite dans un décor familier, celui de mon village et de ma maison… »

Presses de la Cité