Rencontre avec J. Courtney Sullivan, autrice des Affinités sélectives

• Dans ce livre on suit la vie d’une jeune mère mais aussi la vie d’une étudiante un peu fauchée, qu’est-ce qui vous a inspiré ses personnages si différents ?

Je voulais explorer les distinctions de classe et les privilèges à travers le prisme de la relation entre une mère et la baby-sitter de son enfant. J'ai moi-même tenu ces deux rôles.  Je comprends comment une réelle intimité peut se former. Mais aussi comment cette intimité peut très vite devenir tendue.

Dans le livre, Elisabeth, la mère, voit en Sam une version d'elle-même plus jeune. Elle pense qu'elles peuvent être amies. Sam, la baby-sitter, est parfaitement consciente qu'Elisabeth est son employeur. Dès le début, il y a un déséquilibre de pouvoir, qu'Elisabeth refuse de reconnaître. Bien sûr, la personne qui a moins de pouvoir voit toujours la dynamique des deux points de vue : Sam sait ce qu'Elisabeth attend d'elle. Élisabeth ne voit la situation que de son propre point de vue.

• La thématique de l’Uberisation est aussi présente dans votre roman. Est-ce que vous aussi vous croyez comme George à la théorie de l’arbre creux ?

La théorie de l'arbre creux de George est quelque chose que ma mère a inventé il y a des années. Dans ma famille, nous y faisons référence tout le temps. Essentiellement, c'est l'idée que l'Amérique, en surface, semble plus ou moins la même qu'avant. Mais il n'y a rien qui la maintienne dans son ensemble. De plus en plus, nous sommes un pays d'extrêmes. Nous avons les très riches et les pauvres. Il est devenu de plus en plus difficile de survivre en tant que personne normale de la classe moyenne.

George lui-même en est un bon exemple. Il a fait vivre sa famille pendant des décennies avec un petit service de taxi. Il emploie quelques gars, les traite bien. Puis Uber arrive et anéantit son entreprise. Lui-même n'a pas d'autre choix que de devenir un chauffeur Uber. Il fait maintenant le même travail qu'il a toujours fait, mais pour moins d'argent et sans avantages sociaux, sans retraite, sans filet de sécurité.

Nos institutions nous ont laissé tomber. Le bon côté des choses, comme George le voit, et comme moi, c'est la façon dont les individus sont là les uns pour les autres, essayant de mille façons différentes de s'entraider pour survivre. Chaque jour en Amérique, nous voyons des pages GoFundMe sur les médias sociaux, par exemple. Sur ces pages, les gens racontent leur histoire et demandent de l'aide. Souvent, le besoin est lié à une dette médicale. Les gens, amis et inconnus, donnent ce qu'ils peuvent. C'est une chose étonnante. En même temps, si nous avions un système de santé plus humain dans ce pays, cela ne serait pas nécessaire en premier lieu.

• Est-ce que vous achèteriez le barbecue à panneaux solaires du mari d’Elizabeth ?

Ha ! Eh bien... probablement pas. Quand j'ai commencé à écrire ce livre, j'étais enceinte de mon premier enfant. Je passais beaucoup de temps à la maison, sur le canapé, à regarder Shark Tank. Ce qui m'intriguait, c'était les épouses prêtes à tout abandonner pour réaliser les rêves de leurs maris. (La dynamique ne semblait jamais se dérouler de la même façon en sens inverse). C'était particulièrement étonnant lorsque, en tant que téléspectateur, on pouvait dire qu'une invention n'allait pas être un succès. Et pourtant, la femme de cet homme était prête à vivre dans le sous-sol de sa belle-mère dans l'espoir qu'elle y parvienne. Il y a quelque chose de triste dans tout cela, mais aussi quelque chose d'étonnant. Pour quelqu'un qui a autant de foi en son partenaire. Elisabeth a vraiment du mal avec ça. Elle veut soutenir son mari, mais en privé, elle pense que son idée est plutôt stupide. 

J'espérais ainsi explorer les tensions qui surgissent dans un mariage, même un bon mariage, sur la façon de vivre. Elisabeth aime son mari, mais il veut d'autres enfants, pas elle. Il veut poursuivre ce rêve professionnel, ce qui la terrifie. Et, nous l'apprenons, il y a aussi beaucoup de choses chez elle qui le troublent. L'argent joue un rôle important dans leur relation, comme dans toutes les relations du livre.

• Pouvez-vous résumer votre roman en quelques mots ?

Le privilège se présente sous de nombreuses formes.

Les Affinités sélectives

J. Courtney Sullivan

Les Escales

Roman Étranger

Après avoir vécu vingt ans à New York, Elisabeth, brillante journaliste et autrice auréolée de succès, s’adapte difficilement à sa nouvelle vie de jeune mère dans une petite ville. Elle passe ses journées dans sa maison, seule avec son enfant, et commence à déprimer. Plutôt que de s’atteler à la rédaction de son nouveau livre, elle perd son temps entre un groupe Facebook de mères new-yorkaises et le compte Instagram de sa soeur influenceuse.
Arrive Sam, l’étudiante qu’Elisabeth a engagée pour garder son bébé. La jeune femme est en plein bouleversement, préoccupée par les choix de sa vie affective et son avenir prometteur mais grevé par des prêts étudiants.
Les deux femmes se lient d’amitié, convoitant chez l’autre la possibilité d’une vie différente. Mais à mesure qu’elles se rapprochent, chacune prend conscience de ses propres privilèges et de la place qu’elle occupe dans la société.

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