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Par Lisez, publié le 11/03/2020

Tatiana de Rosnay : " Ce roman est l'aventure intérieure d'une romancière "

Dans Les Fleurs de l’ombre (éditions Robert Laffont et Héloïse d’Ormesson), Tatiana de Rosnay s’aventure en terrain inconnu et imagine une société futuriste modifiée par les changements climatiques et les avancées technologiques. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ce roman est avant tout une plongée dans la psyché de son héroïne, l’audacieuse mais fragile Clarissa. Rencontre.

Tatiana de Rosnay le dit d’elle-même, chacun de ses romans est une exploration du passé, une nouvelle façon de révéler des secrets trop longtemps cachés, qu’ils hantent ses personnages ou les lieux, son obsession d’écrivaine. Après Sentinelle de la pluie, qui voyait une famille se déchirer sur fond de crue de la Seine, la romancière franco-anglaise publie Les Fleurs de l’ombre, sa première incursion dans le roman d’anticipation. Si ses thèmes de prédilection sont toujours au cœur de l’intrigue, Tatiana de Rosnay a décidé cette fois-ci de regarder vers l’avenir.

Son récit nous entraîne vingt ans en avant, dans un Paris futuriste mais qui ne semble pas si lointain. Ici, point de voitures volantes mais une société marquée par le réchauffement climatique, les nouvelles technologies et les attentats. Clarissa, romancière talentueuse, emménage dans une résidence réservée aux artistes nommée CASA. Mais cet appartement ultramoderne ne cache-t-il pas des secrets ? Bouleversée elle-même par une récente révélation, se sentant perpétuellement observée jusque dans sa propre intimité, la romancière va se remettre en question et devra faire face à des traumatismes qu’elle croyait guéris depuis longtemps…

Certains auteurs n’apprécient pas forcément lorsqu’on établit des parallèles entre eux et leurs personnages. Avec vous, on a plutôt la sensation que c’est l’inverse, que vous prenez plaisir à distiller un peu de vous-même dans vos livres. Avec le personnage de Clarissa, écrivaine bilingue franco-anglaise, c’est en tout cas difficile de ne pas voir des similarités…

Même ma mère est tombée dans le panneau ! Cela m’amuse car je n’en suis pas à mon premier livre et pourtant, ma famille aussi s’est laissée avoir. Quand on vous dit : "Clarissa, c’est toi ", c’est que vous avez réussi votre coup, que vous avez réussi à créer un personnage vraiment réaliste. Si j’avais voulu me mettre en scène, j’aurais écrit une histoire terriblement différente. Comme moi, Clarissa est bilingue et écrivaine, mais les ressemblances s’arrêtent là. Son obsession des lieux lui vient de son premier métier de géomètre, ce que je n’ai jamais été. Elle est rentrée très tard dans la lecture, est devenue romancière à 50 ans passé, ce qui n’est pas mon cas. Mais je crois que les lecteurs ont absolument besoin de savoir ce qui vient de l’auteur ou pas. Cela a toujours été comme ça, même après la publication de mon premier roman qui mettait pourtant en scène un homme. 

Clarissa est une héroïne atypique car elle est senior. Cela ne l’empêche pas d’être active ou amoureuse, de prendre soin d’elle, des qualités que notre société refuse d’associer aux personnes qui ont passé un certain âge.

Je crois que c’est fini tout ça. On vit beaucoup plus longtemps et je pense que dans quinze ans, cela va encore s’accentuer. Aujourd’hui, on vous dit à 45 ans que vous êtes senior et à 70 ans que vous êtes super senior. C’est complètement idiot ! Je me suis amusée à créer ce personnage qui n’a rien d’une vieille dame, qui est active et qui renferme une sorte de rébellion en elle. J’ai aussi aimé créer les autres personnages : la fille de Clarissa, Jordan, un quadra belle et brillante, et puis Adriana, fille de Jordan et petite-fille de Clarissa, qui est une adolescente extraordinaire et mon personnage préféré. Mes enfants n’ont pas encore d’enfants et Adriana est donc la petite-fille que je n’ai pas. J’ai envie de dire à mes lecteurs : il y a une héroïne senior qui est vraiment attachante, mais il y a aussi sa fille et sa petite-fille qui ont une grande importance, et ensemble elles forment un superbe trio. C’est un livre qui peut être lu par toutes les générations. 

Clarissa et ses proches vivent dans une société futuriste tendance dystopique mais qui semble être une juste prolongation de notre monde actuel. C’est la première fois que vous vous aventurez sur ce terrain.

J’ai la chance d’avoir un père qui est un grand scientifique et ce livre est né des conversations que j’ai pu avoir avec lui. Petite précision : tout ce qui est décrit dans mes livres existe déjà. Robots, intelligence artificielle, drones… J’ai mis en scène d’une façon légèrement plus intense ce qui est déjà présent dans notre quotidien. Je n’ai rien inventé, j’ai juste plongé dans le côté inquiétant de tout cela. J’ai été très inspirée par la série anglaise Black Mirror ainsi que par La Servante écarlate, qu’il s’agisse du livre ou de la série. Mais quand on me dit que mon livre est un roman d’anticipation, je réponds que ce n’est pas vraiment le cas puisque ce futur est déjà là. Bien sûr, l’histoire a un côté dystopique, mais de mon point de vue il est surtout question de l’intimité d’une femme. Nous sommes dans la tête et dans le corps d’une femme fragilisée, et qui en emménageant dans un endroit hyper connecté, va se retrouver face à tous ses doutes et toutes ses peurs. Pour moi, ce roman est surtout l’aventure intérieure d’une romancière dotée d’une imagination incroyable.

Écrire un roman qui se déroule dans une société futuriste marquée par les changements climatiques, les attentats et les avancées technologiques a-t-il été aussi un moyen de canaliser vos angoisses ?

Quand on regarde le monde dans lequel on vit, on ne peut pas s’empêcher d’être inquiet. Mais je suis de nature optimiste et je pense que la seule solution est d’être clairvoyant, de ne pas se voiler la face. Si on a peur et si on panique, on va mal vieillir, on va rater la fin de nos vies. Le futur fait peur car on ne le devine pas. Face à un monde qui se robotise de plus en plus et qui se déshumanise, nous devons trouver un moyen de rester des êtres humains avec tout ce que cela comporte : nos fragilités, nos failles, nos imperfections. Je n’ai pas canalisé mes angoisses car l’écriture me sert à explorer. Mais grâce ou à cause de ce livre, le futur m’intéresse de plus en plus. J’ai longtemps pensé que seuls le passé et le présent m’intéressaient. Mais je me suis prise au jeu et maintenant je lis avec avidité les articles sur l’intelligence artificielle, les robots, etc. Je me trompe peut-être mais je pense que c’est en s’intéressant que l’on a moins peur. 

La notion du double est le thème central de votre roman : double nationalité donc bilinguisme, double vie, double personnalité (Clarissa utilise un nom de plume, ndlr) ... Est-ce là un sujet que vous souhaitiez explorer depuis longtemps ou cela s’est-il imposé à vous il y a peu ?

Quand j’ai compris que mon héroïne était bilingue, j’ai eu envie d’explorer cette partie-là d’elle et ce fameux cerveau hybride. J’ai deux langues d’écriture mais je ne m’étais jamais traduite moi-même. Là, j’ai fait une auto-adaptation de mon texte en simultané et c’était une aventure assez passionnante et étonnante. J’ai toujours eu du mal à écrire uniquement en français ou en anglais car j’aime autant les deux langues. Et dans mon livre, la question se pose : les cerveaux bilingues peuvent-ils être une mine d’or pour les scientifiques ? Se pencher sur cette particularité, découvrir comment ces cerveaux pensent, comment ils rêvent, c’est très intéressant.

Au-delà de la langue, c’est vrai que la notion du double est très présente. Clarissa est romancière et géomètre, elle a eu deux maris, deux enfants, et ses écrivains de prédilection se comptent au nombre de deux : Virginia Woolf et Romain Gary. Leurs ombres planent sur le livre à travers les lieux. J’avais besoin d’explorer mon rapport aux lieux, pourquoi ils m’intéressent tellement, pourquoi la majorité de mes romans commencent par quelqu’un qui emménage dans une maison. À travers Clarissa, j’ai pu aller presque au bout de mon obsession des lieux. J’ai compris que ce qui m’intéresse c’est comment les gens – et les écrivains en particulier – prennent possession des lieux.

Vous évoquez votre obsession de la mémoire des lieux que l’on retrouve dans tous vos romans. Pensez-vous que finalement, un écrivain écrit toujours un peu le même livre  ?

Si vous prenez Patrick Modiano, c’est le cas. Il est l’écrivain des lieux par excellence. Certains écrivains n’ont pas d’obsession et peuvent écrire des romans très différents les uns des autres. Mais moi, je suis un peu comme ma chère Daphné du Maurier, que j’admire profondément et qui m’a donné envie d’écrire. Elle a exploré toutes ces choses qu’on ne montre pas ou que l’on cache. La différence, c’est qu’avant j’explorais les lieux et le moment où la vie de quelqu’un bascule. Mais là, en plus des secrets que l’on cache, j’ai voulu parler de la résilience. Ce qui m’intéresse de plus en plus, c’est la façon dont mes personnages vont faire face à des événements et aux secrets révélés. Quels sont les codes qu’ils vont utiliser ? Quelle est la force dans laquelle ils vont puiser pour pouvoir se relever ? En tant qu’écrivaine obsédée par les lieux, je suis bien sûr obsédée par les portes et les clés, et je crois que c’est cela qui m’intéresse : quelles clés utiliser pour avancer ? 

Vous êtes une grande admiratrice de Daphné du Maurier, dont vous avez écrit la biographie. Clarissa, elle, est fan de Virginia Woolf et de Romain Gary. Quand on est écrivain et que l’on est fasciné par un autre écrivain, comment cela se traduit dans son approche de l’écriture ?

Oui, je pense. J’ai commencé à écrire à l’âge de 10 ans et il y avait énormément d’écrivains qui m’inspiraient comme Edgard Allan Poe et Oscar Wilde. J’ai lu Virginia Woolf lors de mon cursus universitaire en Angleterre et ce n’est pas quelqu’un de facile à lire. Il faut la découvrir petit à petit, comme si vous lisiez un long poème. Mais je dirais que l’écrivain qui m’a le plus influencé dans ma jeunesse et durant ces années où je cherchais à écrire est Daphné du Maurier. Elle avait déjà l’obsession des lieux. J’ai été tellement touchée par Rebecca et par le manoir de Manderley qui est un personnage à part entière. Je me suis beaucoup inspirée de ses ambiances et du fait qu’elle n’ait pas peur d’explorer le côté sombre des gens. J’ai vite compris que je n’allais pas écrire des romans légers ou joyeux même si je suis moi-même joyeuse. Ce que je veux faire, c’est transmettre sans juger. Plus qu’une transmission, c’est un partage.

 

Les Fleurs de l'ombre

Une résidence pour artistes flambant neuve. Un appartement ultramoderne, au 8e étage, avec vue sur tout Paris. Un rêve pour une romancière en quête de tranquillité. Rêve, ou cauchemar ? Depuis qu’elle a emménagé, Clarissa Katsef éprouve un malaise diffus, le sentiment d’être observée. Et le doute s’immisce. Qui se cache derrière CASA ? Clarissa a-t-elle raison de se méfier ou cède-t-elle à la paranoïa, victime d’une imagination trop fertile ?
Fidèle à ses thèmes de prédilection – l’empreinte des lieux, le poids des secrets –, Tatiana de Rosnay tisse une intrigue au suspense diabolique pour explorer les menaces qui pèsent sur ce bien si précieux, notre intimité.

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