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Par Lisez, publié le 18/09/2019

"Tu m'as laissée en vie" : le suicide paysan au cœur d'un témoignage inédit

Camille Beaurain et son mari Augustin étaient éleveurs de porcs dans la Somme. Criblé de dettes, épuisé physiquement et émotionnellement, l’agriculteur s’est donné la mort à l’âge de 31 ans, laissant Camille veuve à 24 ans. Aujourd’hui, la jeune femme raconte cette descente aux enfers dans le livre Tu m’as laissée en vie (cherche midi éditeur) et tente de lever le tabou sur le suicide paysan.


Camille a rencontré Augustin sur Internet. Elle avait 15 ans, il en avait 22. Après un mois et demi de discussions viennent la rencontre et la déflagration : "Nous sommes très vite tombés dans les bras l’un de l’autre. Dans un geste, un élan, si naturels". Augustin est éleveur de porcs, il a repris l’exploitation de son père et de son grand-père, travaille tous les jours de l’aube jusqu’à la nuit tombée. Mais il est passionné, il aime la vie au grand air. Camille le rejoint et l’épouse après avoir atteint sa majorité. Une histoire d’amour à la fois simple et puissante comme le sont de nombreuses autres histoires d’amour. Sauf qu’Augustin était agriculteur, une profession où l'on se sent seul, qui ne fait pas de cadeau. Des conditions de vie difficiles auxquelles s’ajoutent souvent les difficultés financières et le manque de reconnaissance. Augustin s’est suicidé le 27 octobre 2017. Il avait 31 ans. Camille Beaurain est devenue veuve à 24 ans. Elle raconte son histoire dans Tu m’as laissée en vie, un livre à mi-chemin entre le récit intime et le témoignage coup de poing.

Le suicide paysan, un sujet tabou

Co-écrit avec le journaliste Antoine Jeandey, Tu m’as laissée en vie revient sur la vie du couple et raconte avec précision le quotidien d’un agriculteur : "Être éleveur, ce n’est pas seulement s’occuper des animaux, c’est aussi savoir cultiver, comprendre les mécaniques. Sans parler de la gestion des stocks, des investissements, des approvisionnements". Surtout, le livre n’omet aucun détail sur les obstacles rencontrés. Un moteur cassé en pleine moisson, une invasion de rats qui contaminent les truies, et puis le cours du porc qui s’effondre et achève financièrement le couple. Il y a d’abord la coopérative qui s’octroie des intérêts sur le dos de ses adhérents, et puis la banque qui refuse un prêt qui aurait pu tout changer. Camille écrit : "Nous avions une chance, une seule, de nous en sortir financièrement, et nous n’avons pas pu la saisir. Nous ne demandions qu’à poursuivre cette charge de travail invraisemblable, qu’à continuer à nourrir une population qui n’a toujours pas conscience des efforts fournis pour produire de la qualité, qu’à exercer, finalement, notre métier de paysans qui, de tout temps, a souffert de déficit de reconnaissance".

Si Camille Beaurain a décidé de publier un livre c’est pour rendre hommage à son époux mais aussi briser un tabou. Car en France, le suicide paysan est encore passé sous silence. Récemment interviewée dans l’émission Sept à Huit, la jeune veuve confiait : "Aujourd’hui je n’ai parlé à aucune personne qui pourrait être dans le même cas que moi. Personne n’en parle, il ne faut pas le dire". Un sujet tabou et compliqué qui a pour conséquence une absence de statistiques complètes. Car lorsqu’un agriculteur se suicide sur son lieu de travail, l’acte est considéré comme un accident de travail. "Pour les familles endeuillées, cela permet d’éviter d’hériter de la dette s’il y a lieu, et les assurances fonctionnent", peut-on lire dans le livre. Mais si l’ampleur du phénomène est sous-évaluée, les chiffres de la Mutualité Sociale Agricole restent révoltants. Selon les statistiques, on compterait plus de deux suicides par jour chez les agriculteurs. En 2015, la MSA a ainsi dénombré 605 suicides.

Vidéo : découvrez le témoignage de Camille dans l’émission Sept à Huit

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