Auréolé du prix Albert-Londres en 1990, Yves Harté entretient une passion dévorante pour l’Espagne, cadre de deux de ses ouvrages. Avec La Main sur le cœur, l’ancien journaliste retrouve sa terre de prédilection et se lance dans une enquête très personnelle, où se dit l’amitié masculine dans ses aspects les moins connus. Rencontre.
Il s’agit de votre premier récit à la première personne, d’une matière très intime que vous livrez aux lecteurs et lectrices. Quel a été le moteur de cette nouvelle aventure littéraire ?
Yves Harté : Comme souvent, le hasard : celui qui m’a fait m’arrêter plus longtemps que coutume devant le cartel d’une des toiles les plus connues du Greco, « El Caballero de la mano en el pecho » (« Le chevalier à la main sur la poitrine »), lors d’une grande rétrospective du peintre à Tolède en 2014. Je connaissais le tableau pour l’avoir vu plusieurs fois au Prado et il est de ceux dont on s’accorde à penser qu’il symbolise « l’hidalgo » de l’âge d’or espagnol sans qu’on sache avec certitude qui fut le modèle, sinon qu’à Tolède, la légende explicative accolée à l’œuvre m’a paru étrange et romanesque. Et pour cause, elle était différente de celle du Prado et mentionnait que le personnage représenté était un possible traître à son roi. Cette histoire naissante m’a accompagné très longtemps sans aboutir.
Comment le roman a pu trouver ancrage ?
La conversation avec Emmanuelle Delacomptée, mon éditrice, a fait émerger des souvenirs qui ne demandaient qu’à resurgir, ceux de mes premiers voyages en Espagne et de l’ami avec qui j’avais vu le « Caballero » pour la première fois. Un thème qui m’a toujours passionné est celui de la mémoire et de ce que nous en faisons. Comment se niche-t-elle en nous ? Que gardons-nous de notre passé ? Que travestissons-nous ? Et surtout que comprenons-nous aujourd’hui qui nous était inconnu alors ? Ajoutez à cela que l’on ne se défait pas d’une profession, celle de journaliste qui m’a habité pendant si longtemps. Je me suis donc lancé dans une enquête et les secrets se sont révélés à mesure que j’avançais.
Les descriptions vives, habitées, que vous dressez de plusieurs villes, comme autant de chapitres, offrent un regard singulier sur l’Espagne. Que représentent ces terres pour vous ?
L’Espagne a toujours été importante dans ma vie. Géographiquement, car c’est le pays proche de mon lieu de naissance dans le Sud-ouest mais aussi parce que culturellement, émotionnellement et littérairement, elle m’a happé très jeune. J’y trouvais à la fois un exotisme commode et une curieuse connivence. Naturellement, j’ai été saisi adolescent par l’Andalousie, puis à mesure que j’y allais, son histoire et sa géographie inscrite au cœur de la Mancha, le centre de ce vaste plateau qui forme la Castille, m’ont davantage intéressé, peut-être parce qu’on en perçoit davantage la quintessence nostalgique de l’âge d’or, sous le règne de Philippe II, le fils de Charles Quint.
Le tableau du Greco sur lequel se base votre enquête à travers l’Espagne semble prendre vie et corps sous vos mots. Quelles émotions vous procure-t-il et à quels pans de votre vie le rattachez-vous ?
À la découverte des musées et de l’Espagne des années quatre-vingt lors de chacun de mes voyages dont la grande majorité ont eu lieu quand j’avais un peu moins de trente ans avec Pierre Veilletet, lequel a d’abord été un guide et ensuite un ami. À travers le tableau, c’est le regard que je pose sur des années enfuies et sur la personnalité énigmatique de Veilletet. Cet homme était un mystère, on devinait qu’il avait un secret. Jamais je ne me suis ennuyé avec lui, et il arrivait à rendre considérable et désopilant le plus petit détail d’un voyage. Comme moi il aimait cette Espagne de Castille, ces terres sans fin, ces horizons qui fuient à mesure que l’on s’en approche, ces villes endormies derrière des remparts effrités par le temps, les tableaux dans les églises, les bars d’alors.
Se dessine au fil de La main sur le cœur un portrait admiratif, profondément ému de votre ami Pierre Veilletet. Comment avez-vous traversé cette phase d’écriture sur un proche qui n’est plus ?
Je voulais faire un portrait de lui à la fois exact – exact selon ma subjectivité, c’est-à-dire en ne gommant rien de ses qualités ni de ses défauts – et tempéré par la profonde affection que j’avais pour lui. Ce n’est pas facile d’écrire sur quelqu’un dont vous avez été proche pendant toute une vie et dont, à mesure que les années passent, s’inversent et évoluent les relations. Au début, il m’aidait et me protégeait. À la fin, j’ai le sentiment que j’ai tenté de l’aider dans la mesure où je le pouvais.
Finalement, la figure du « caballero » du Greco et le souvenir de Pierre Veilletet se croisent, voire parfois se confondent, et donnent à voir l’intimité émouvante d’une amitié masculine, comme la persistance d’obsessions. Qu’est-ce qui vous intéressait dans l’exploration de ces questions ?
Le récit d’une amitié et plus qu’une cela, d’une amitié masculine fondée sur la transmission et l’admiration. C’est un thème peu traité, me semble-t-il, du moins de nos jours. Or il me semble essentiel dans la construction d’une société : d’abord apprendre au côté d’un aîné, accepter de comprendre plus tard, et tenter de se souvenir ensuite. C’est ce que j’ai essayé de raconter et de faire partager.
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