Née à Londres, où elle vit, Diana Evans écrit régulièrement pour The Independent. Déjà auteur de plusieurs nouvelles parues dans des revues, elle publie avec 26a son premier roman, d’inspiration largement autobiographique.
Après les révélations de Margaret Mazzantini, Elliot Perlman, Tash Aw, "Pavillons" accueille la jeune romancière anglo-nigériane, Diana Evans.
"26a", c’est le grenier du 26, Waifer Avenue, dans une banlieue populaire de Londres. C’est aussi le royaume de Bessi et Georgia, jumelles monozygotes de père anglais et de mère...
"26a", c’est le grenier du 26, Waifer Avenue, dans une banlieue populaire de Londres. C’est aussi le royaume de Bessi et Georgia, jumelles monozygotes de père anglais et de mère nigériane. Un royaume peuplé de secrets et de rêves, dans lequel on n’est invité que si l’on frappe à la...
"26a", c’est le grenier du 26, Waifer Avenue, dans une banlieue populaire de Londres. C’est aussi le royaume de Bessi et Georgia, jumelles monozygotes de père anglais et de mère nigériane. Un royaume peuplé de secrets et de rêves, dans lequel on n’est invité que si l’on frappe à la porte. Aux étages inférieurs de la maison ne règne pas la même harmonie. Ida, la mère, dévastée par le mal du pays, passe ses journées à parler aux esprits de la famille qu’elle a laissée derrière elle, en Afrique ; Aubrey, le père, noie ses propres blessures dans l’alcool en terrorisant ses filles ; Bel, la grande sœur, découvre la sexualité et les talons hauts; Kemy, la benjamine de cinq ans, idolâtre Michael Jackson… Au fil des ans, la réalité, le monde extérieur viennent de plus en plus rudement frapper à la porte du 26a… Comment Bessi et Georgia vont-elles les affronter? À l’aube de leur vie d’adultes, laquelle des deux supportera le mieux cette intrusion? Sur ce thème universel du passage de l’enfance à l’âge adulte, Diana Evans réussit d’emblée à imposer une voix unique et originale. Succès public et critique, vendu dans dix pays, bientôt adapté au cinéma, 26a a remporté en Angleterre le prestigieux prix Orange du premier roman. Entre onirisme et réalité, ce roman à la fois drôle et grave ressuscite avec une grâce d’écriture et une imagination exceptionnelles le pays perdu de l’enfance.
Née à Londres, où elle vit, Diana Evans écrit régulièrement pour The Independent. Déjà auteur de plusieurs nouvelles parues dans des revues, elle publie avec 26a son premier roman, d’inspiration largement autobiographique.
Georgia et Bessi comprenaient donc parfaitement cette expression dans l'œil du hamster, en bas, au jardin d'hiver. Prisonnier d'une cage à côté du lave-vaisselle, il avait une fourrure rousse striée de blanc. Qu'est-ce que c'est ? disaient ses yeux. Où suis-je ? La vue depuis sa cage, brouillée par un flou hamstérien, se résumait à une machine à laver, des seaux empilés, des rideaux figés et des sacs plastique remplis de sacs plastique qui pendaient du plafond tels les fantômes d'un massacre. Des gens, des géants venus d'autres parties de la maison, traversaient la pièce en claquant la porte, faisant tinter le carillon. Un homme à l'air revêche, qui souffrait de tremblements matinaux. Une femme toute de murmures, un filet à cheveux sur la tête, qui transportait du pain et des sacs de pois indiens surgelés.
Qu'est-ce que c'est ?
Sans conviction, il poussait du museau contre sa roue en plastique, en quête de mouvement, dans un espoir de fuite ou de clarté. Et l'explication ne venait jamais. C'était une interrogation qui dépassait le simple besoin de savoir à quoi servait la roue, d'où venait la cage et comment il s'était retrouvé là – ou, pour les jumelles, le sens du mot « supercalifragilistique » et la raison pour laquelle leur père aimait le chanteur Val Doonican. La question était plutôt : Qu'est-ce que Val Doonican ? Donc : Que suis-je ? C'était la question qui précédait toutes les autres.
Le hamster était seul, ce qui aggravait les choses. Seul avec sa roue sur un matelas de copeaux de bois et de papier journal. Georgia et Bessi faisaient tout leur possible ; elles le bourraient de raisins et nettoyaient ses saletés, elles lui avaient donné un nom. « Ham, dit Georgia, les yeux à la hauteur de Ham car elle n'avait que sept ans, essaie d'être heureux certains jours, hein, sinon, un matin, tu risques de ne pas te réveiller. Voici un cadeau. » Elle avait cueilli une rose du rosier du jardin qui Relevait de Sa Responsabilité (c'était Aubrey qui l'avait dit et Ida avait accepté, alors Kemy n'avait qu'à se taire) et l'avait posée sur une soucoupe, pétales rubis aplatis sur un côté, une feuille unique endormie au soleil. Elle ouvrit la cage et plaça la soucoupe à côté de Ham. Il la renifla puis redevint immobile, mais son visage avait pris une expression pensive qu'il n'avait pas auparavant. Georgia pensait que les fleurs étaient parfois meilleures pour la santé des gens que la nourriture. Elle passait souvent des après-midi entiers dans le jardin avec un chiffon, une pelle et un arrosoir, à essuyer la terre des feuilles, asperger énergiquement la pelouse et arracher les mauvaises herbes.
Les jumelles habitaient deux étages au-dessus de Ham, au grenier. C'était leur maison, 26a Waifer Avenue, et les autres Hunter logeaient au 26, en bas de l'escalier, là où la maison était plus sombre, en particulier dans le placard sous les marches où Aubrey les faisait s'asseoir et « réfléchir à ce que vous avez fait » quand elles se conduisaient mal (ce qui pouvait impliquer casser son agrafeuse, utiliser toute l'eau chaude, finir les biscuits au gingembre ou rayer la voiture avec le bord de sa pédale de bicyclette). Il y avait d'autres coins sombres où réfléchir à ce qu'on avait fait, notamment au fond de la salle à manger, à côté du bureau d'Aubrey et dehors dans le garage, avec les chiffons sales et le white-spirit.
Sur l'extérieur de leur porte d'entrée, Georgia et Bessi avaient écrit à la craie « 26a», et sur la face intérieure « G + B », à hauteur des yeux, juste au-dessus de la poignée. C'était leur dimension supplémentaire. Celle qui venait après la vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher et le goût, celle où le monde se déployait et se multipliait parce qu'il était la somme de deux personnes. Ce qui brillait brillait deux fois plus. Chaque couleur avait plus de couleur. Des petites filles avec des parapluies sautillaient sur le papier peint, et Georgia et Bessi les entendaient rire.
Le grenier avait un escalier séparé qui partait du palier du premier étage ainsi qu'une salle de bains attenante avec des portes de saloon, comme dans les westerns spaghetti. À cause de son intimité avec le toit, c'était la seule pièce de la maison à présenter des triangles et des murs en pente. Le plafond se penchait au-dessus du lit de Bessi et cela lui donnait l'impression d'avoir de la chance. De toute la maison, il n'y avait aucun autre lit aussi proche du plafond, ni de Dieu, pas même celui de Bel, qui avait la chambre la plus grande parce qu'elle avait des seins. Cela signifiait que le lit de Bessi était le meilleur. Le plus bon. Elle l'écrivit sur le mur à la craie jaune : Bessi bon lit, à l'endroit où ses yeux se posaient tous les matins, juste à côté du placard en soupente où on pouvait cacher des choses, où on pouvait cacher des personnes entières sans que nul n'ait jamais l'idée de venir les chercher là parce qu'on n'y tenait pas debout et que c'était plein de vieux livres et de seaux et pelles pour les vacances.
Au bout du lit de Georgia, à côté de la fenêtre – le haut du mur était entièrement pris par une fenêtre qui leur donnait des cloches d'église, des couchers de soleil et, tout au fond, un arbre vert – il y avait un autre triangle, une alcôve où réfléchir. Nichés dans les coins se trouvaient deux Saccos dont les billes sentaient la fraise ; c'était là qu'elles s'asseyaient. Peu de gens étaient autorisés à s'y asseoir, en dehors d'elles, seuls Kemy et Ham. Mais absolument personne n'était autorisé à s'y asseoir avec elles quand elles réfléchissaient, en particulier quand elles prenaient une décision.
Vers la fin de l'été 1980, Kemy frappa à la porte (c'était une règle d'or) alors que les jumelles essayaient de décider si Ida et Aubrey devaient divorcer ou non. Georgia avait placé des roses dans un bocal sur le rebord de la fenêtre pour pouvoir se les représenter pendant qu'elle déciderait, et découpé une nectarine qu'elles partageraient après - la nectarine était leur fruit préféré parce que sa chair avait la couleur du coucher de soleil. Bessi s'était enroulée dans sa couette fétiche parce qu'elle ne pouvait pas réfléchir quand elle avait froid. Pantoufles bleu clair aux pieds, elles s'assirent dans les coins à la fraise et fermèrent les yeux. Elles réfléchirent longuement et sérieusement à la question, voguant entre les possibles. Cinq minutes s'écoulèrent, puis dix. Alors Georgia lâcha dans le silence : « Maman ne sait pas conduire. » Bessi n'y avait pas pensé. C'était d'une importance indiscutable : elles avaient besoin de la voiture pour aller faire des courses et emmener Ham chez le véto la semaine prochaine à cause de son rhume. Un rhume pouvait tuer un hamster.
Ça, c'était un Contre.