Dans «L'Air et les Songes», Bachelard voit dans l'alouette un signe ou un motif de sublimation par excellence. Il évoque une image littéraire pure quand par son vol en altitude, sa petite taille et sa vivacité, elle s'empêche d'être vue et de devenir une image picturale. L'alouette devient pour lui un symbole de transparence et de matière aérienne, un jet de sublimation par la verticale du chant. Il parle même d'une «onde de joie» quand à mon sens il conviendrait de parler d'une vibration d'allégresse que seule la partie vibrante de notre être peut recevoir et connaître et comprendre.Au contraire de sa soeur des champs et du cochevis des vignes, qui appartient à la même famille, l'alouette lulu se plaît dans les lieux secs et ensoleillés, les paysages avec des arbres épars et des buissons isolés, si bien que le causse où je vis lui convient parfaitement avec ses parties de landes, ses bosquets de cornouillers et d'érables dits de Montpellier, les genévriers erratiques dans les grèses et les anciens pacages à moutons.Cette alouette lulu est d'une livrée qui permet le camouflage cryptique, la parfaite dissimulation dans les herbes; elle se confond par la grâce d'un dessus brun marqué de stries anthracite et d'un dessous blanc roussâtre. Deux sourcils neigeux partent du surplomb des yeux pour se réunir contre la nuque. L'oeil est plein d'acuité, le bec effilé.Son vol est en mouvement ascendant et descendant mais aussi en spirale, décrivant la même spire qu'à l'intérieur des coquillages ou l'entortillement égal et circulaire des vrilles de la vigne. Ce vol s'interrompt par de brusques plongées, des chutes libres, ailes fermées jusqu'au sol. Quand elle monte dans les airs jusqu'à disparaître à nos yeux, elle figure alors au mieux l'image de l'âme dans son désir de rétablir le lien entre le ciel et la terre.On dit de l'alouette qu'elle grisolle: ce verbe cherche à imiter son chant en courtes strophes, un dulidulidi sans fin, qui tient du grésillement d'une herbe sèche en feu en même temps que du bruit d'une faux battue à la pierre à aiguiser; mais, à mieux l'écouter, ce chant obéit à des variations innombrables et semble ainsi exprimer avec subtilité les états d'âme rapprochés de la jubilation, de l'allégresse et de l'ivresse en altitude.Si elles s'élèvent le plus souvent en solitaire, c'est toutefois à deux qu'elles accomplissent l'interminable ascension, sans cesse reconduite à la période des amours.La folie insensée qui s'empare de leurs sens et qui dilate le coeur trouve son ivresse dans la vivacité des ailes, l'audace du toujours plus haut, le dudidulidi dont elles s'étourdissent: en définitive, elles gravitent en elles-mêmes, créant et recréant sans cesse dans l'âme l'espace amoureux.