CAROLINE RÉMY ALIAS SÉVERINE
Née le 27 avril 1855, à Paris, dans une famille de petits bourgeois sous le nom de Caroline Rémy, Séverine reçoit une éducation austère et conformiste. Son père l'emmène au Louvre, sa mère au Théâtre-Français ; elle voudrait devenir actrice. Enfant, elle court chez les forains pour se faire « enlever par les bohémiens » et étouffe dans son milieu. Lors du siège de Paris par les armées prussiennes, la jeune fille fait l'expérience de la violence. Elle se souviendra toute sa vie de cet enfant touché par un éclat d'obus, dont la cervelle se répand sur son cartable d'écolier, tandis qu'elle tente de venir en aide aux blessés.
Son premier mariage avec un employé du gaz, M. Montrobert, âgé de trente ans alors qu'elle n'en a que seize, est un échec ; son mari la viole et elle demande la séparation. Le garçon qui naît de cette union non désirée, Louis, est remis au père, qui le place en nourrice. Séverine retourne alors dans sa famille et vit de menus travaux. Lectrice chez une riche veuve, elle s'éprend de son fils, Adrien Guebhardt, et tombe à nouveau enceinte. L'enfant, Roland, né en Belgique de père inconnu, est confié à sa grand-mère.
À Bruxelles, chez un ami commun, Caroline rencontre Jules Vallès, député de la Commune en exil, de plus de vingt ans son aîné. En 1880, Vallès rentre à Paris. Elle veut le suivre et devenir journaliste, la famille cède après qu'elle a manqué se suicider : elle devient la secrétaire de Vallès, l'auteur de la célèbre trilogie L'Enfant, Le Bachelier, L'Insurgé ? dernier volume dont elle a sûrement achevé la rédaction après la disparition de Vallès. Avec lui, deux ans plus tard, elle fonde Le Cri du peuple, financé en grande partie par Adrien Guebhardt. Entre le vieux communard ? qui la surnomme affectueusement « graine d'aristo » ?, et la jeune fille ? qui l'appelle ironiquement « Patron » ? s'épanouit une heureuse complicité.
Séverinea des goûts de luxe, aime les hommes et surtout la liberté. Sa grande beauté ? des yeux bleus, une bouche pulpeuse, des cheveux mousseux blond vénitien, un port altier, une démarche serpentine ? fait tourner la tête à plus d'un homme. Ravissante et déterminée, vive et cultivée, elle devient vite une des personnalités les plus célèbres de la vie mondaine parisienne.
À la mort de Vallès, en 1885, Séverine prend les rênes du journal qu'elle dirigera encore pendant trois ans, luttant sans relâche contre l'influence grandissante de Jules Guesde. Elle se rapproche de l'anarchisme, puis du boulangisme et finit par se laisser embaucher dans le journal réactionnaire d'Arthur Meyer, Le Gaulois. Après l'aventure du Cri du Peuple, elle doit s'employer à gagner sa vie par sa plume et s'improvise grand reporter. Ainsi, en 1889, à la suite d'un coup de grisou qui fait cent morts dans une mine de Saint-Etienne, Séverine décide d'y descendre dans la mine et lance une souscription dans Le Gaulois. Elle couvre aussi pour Le Journal la grève des « casseuses de sucre » de la rue de Flandres, déguisée en ouvrière.
Alors qu'elle a fini par épouser Adrien Guebhardt, Séverine succombe au charme de Georges Labruyère, journaliste à L'Écho de Paris. Cet insolite ménage à trois avive les ragots. Boulevard Montmartre où elle demeure, Séverine mène grand train. Pour gagner sa vie, elle écrit beaucoup et collabore même au journal antisémite La Libre Parole d'Édouard Drumont.
En 1892, Séverine commence à prendre ses distances avec l'anarchisme, qui se radicalise. La même année, elle défend la cause de la première avocate soutenant sa thèse (Jeanne Chauvin), défend l'avortement et publie un article consacré aux massacres de 1895 en Arménie, à l'origine de l'engagement de nombreux intellectuels de l'époque. Lorsque son amie Marguerite Durand fonde La Fronde ? premier quotidien entièrement rédigé, composé et dirigé par des femmes ?, Séverine répond immédiatement présent. Pendant la décennie que dure l'entreprise, qui connaît un grand succès, elle y prend part.
Séverine se lance également dans la bataille de l'affaire Dreyfus au côté des dreyfusards. Elle fait à cette occasion la connaissance du journaliste Bernard Lazare et participe avec lui, en 1898, à la fondation de la Ligue des droits de l'homme.
On la retrouve en 1914, toujours engagée, militant en faveur du droit de vote des femmes. Farouche pacifiste, elle condamne le gouvernement d'Union sacrée. Enthousiasmée par la Révolution russe de 1917, elle rejoint le Parti communiste en 1921 et devient même journaliste à L'Humanité. Puis, elle quitte le Parti, qui ne veut pas adhérer à la Ligue des droits de l'homme, dénonce la montée du fascisme et participe encore, en 1927, à plus de soixante-dix ans, au meeting pour sauver Sacco et Vanzetti.
Elle meurt en 1929, à Pierrefonds, non loin de Compiègne, où elle a passé les vingt-cinq dernières années de sa vie. Après le décès de son amant Georges Labruyère en 1920, son second mari, Adrien Guebhardt, était revenu mourir auprès d'elle en 1924…
Au cours de sa longue vie, Séverine a publié près de six mille articles, dont certains sont réunis dans des recueils de chroniques comme Les Pages rouges (rassemblant les papiers du Cri du peuple), ainsi que des récits à caractère autobiographique, tels que Line.