Bien qu’elle puisse paraître réduire l’objectif du grand théâtre du monde à une poignée d’hurluberlus révisionnistes à laquelle il avait déjà réglé son compte en une centaine de pages impeccables de 1980, ici reprises, bien qu’un des intérêts, à échelle microscopique , soit de montrer que la synergie du révisionnisme est venue de la collusion d’une fraction de l’ultragauche –la « secte » de Pierre Guillaume – avec des reliquats plus ou moins avoués de l’extrême-droite antisémite, la portée de l’entreprise de Pierre Vidal-Naquet s’élargit à une belle leçon de méthode historique. Le propos de Pierre Vidal Naquet, historien de l’Antiquité, n’est pas la traque positive des faits et documents. […] L’historien n’a pas ici à se colleter avec des preuves, même s’il en connaît la force et la faiblesse, mais avec des mécanismes mentaux, avec les arguties et les paralogismes qui permettent de les contourner, de les subvertir, de les disqualifier et d’en brouiller l’effet. D’un côté, les contemporains de l’Holocauste n’ont voulu croire que ce qu’ils ont fini par croire. De l’autre, ses actuels négateurs sont bien décidés à ne voir que ce qu’ils veulent croire. […] C’est un concentré de mauvaise foi à l’état pur, dont Vidal-Naquet dissout magistralement les ingrédients d’autant plus sournois et pervers, qu’elle prétend s’appuyer sur le criticisme historique et se parer de ses vertus démystificatrices. Admirable Vidal-Naquet ! S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer, et l’on aurait du mal. Non pas seulement parce qu’il a eu le courage de s’infliger le décorticage éprouvant d’une littérature plutôt décourageante. Non pas seulement parce que en ce passage grinçant que nous vivons de la mémoire l’Histoire, il est, en sa personne, le lien vivant entre la fidélité au vécu et la critique de l’appris. Mais parce que, en ces temps de trouble où l’Histoire, surtout la plus neuve, court le risque de perdre sa vertu dans son flirt avec la fiction, il a conservé, chevillé au corps, le sens exact du réel. Et le culte rare, intransigeant, de la complexe et pourtant simple vérité.