Car changement il y a eu depuis quelques années. Ce changement d'ère passe souvent inaperçu. Ou alors, les penseurs en place ferment les yeux dessus, eux qui préfèrent vivre dans leurs souvenirs flous de révolution sexuelle. Mais il faut en parler de cette nouvelle identité masculine. Car ils en ont assez les « petits jeunes » qu'on leur fasse la morale. Marre des ultraféministes qui monopolisent le discours sur les sexes. Marre de voir que, quand un homme peut prendre la parole sur ce sujet, c'est un papiboomer mélancolique qui nous dit que c'était mieux avant. Marre du fait que ces quinquas autoproclamés fringants sont les seuls mâles à décrire ce que c'est que d'être un mâle aujourd'hui. Selon leurs lamentations néoréacs, foisonnantes depuis quelque temps, les fils de l'émancipation féminine ne trouveraient plus leur voie. Ces phraseurs, anciens combattants à la Zemmour, frustrés par la révolution égalitaire, nous disent que les hommes ne sont plus ce qu'ils étaient, que les garçons grandissent en plein malaise sexuel et existentiel. Ces hommes vieillissants préfèrent voir entre les jambes de leurs enfants le malaise qu'ils commencent à vivre entre les leurs. Mais où vont-ils chercher tout ça, comment font-ils pour être à ce point à côté de la plaque? On croit halluciner quand on lit le psychanalyste Michel Schneider écrire que les « jeunes générations » perdent leur libido à cause de la confusion des sexes, à cause du socialisme et à cause de la fin de la lutte entre hommes et femmes. Les jeunes mâles ne perdent aucune once de libido, ne vous en faites pas monsieur Schneider, car ils ne mélangent pas, eux, confusion et guerre des sexes. Comme vous, ils veulent, ils vivent, la différence des genres. Contrairement à vous, ils refusent, ils enterrent, la querelle archaïque entre mâles et femelles. Car les jeunes hommes sont plutôt en train de surmonter les paradoxes de l'identité masculine post-68 que de s'y embourber. Ils reconstruisent même l'identité masculine dans un rapport d'égalité avec les femmes et autour d'une virilité positive, affirmée, décidée. Et la conséquence de cette pacification est l'émergence d'une nouvelle identité masculine mélangeant de manière saine les qualités du mec sensible et celles du mâle viril. Un nouveau profil viril mais pas macho qui a surmonté la crise d'identité provoquée par l'émancipation féminine et trouvé sa place dans une société égalitaire.
La philosophe Élisabeth Badinter sentait déjà pointer cette tendance en 1992. Elle voyait déjà venir « l'homme réconcilié », elle qui a su garder la tête froide, ne pas tomber dans l'acariâtre mélancolie post-soixante-huitarde, elle qui a le ton le plus juste lorsqu'il s'agit de parler des sexes tels qu'ils sont : « Aujourd'hui, les jeunes hommes ne se retrouvent ni dans la virilité caricaturale du passé ni dans le rejet de toute masculinité, écrivait-elle dans XY, son ouvrage visionnaire sur l'identité masculine. Ils sont déjà les héritiers d'une première génération de mutants. Fils de femmes plus viriles et d'hommes plus féminins, ils ont parfois du mal à s'identifier à leur père. » Fini le macho, mais fini aussi les jérémiades, les mea culpa sans fin, les gémissements qu'émettent depuis trente ans les compagnons frustrés des femmes se libérant. Cette nouvelle génération d'hommes assume complètement son rôle dans la parenté, souhaite la parité et le partage égal des tâches. Mais elle ne se flagelle plus. Fini le machiste haineux, le maître archaïque de la famille et du porte-monnaie. Mais fini aussi le fragile homme de bonne volonté torturé par la culpabilité que lui ont imposée les féministes extrêmes.