Après avoir sillonné l'Europe et vécu sept ans à Madrid, Patrick Poumirau s'est fixé dans le Sud-Ouest où il enseigne la littérature. Il est l'auteur d'«Un soldat de passage», publié chez NiL éditions en 2000.
Dix-neuf nouvelles, autant de concentrés de romans qui mettent au jour la poésie de notre quotidien.
«Lazare»: François a fait une syncope à vingt-cinq mètres de profondeur. Une plongeuse l'a sauvé in extremis. Avec lui sous son bras elle a crevé la surface, trop vite. Il...
«Lazare»: François a fait une syncope à vingt-cinq mètres de profondeur. Une plongeuse l'a sauvé in extremis. Avec lui sous son bras elle a crevé la surface, trop vite. Il a récupéré mais elle est à l'hôpital depuis des mois. Lorsqu'un jour on sonne à sa porte, il la reconnaît....
«Lazare»: François a fait une syncope à vingt-cinq mètres de profondeur. Une plongeuse l'a sauvé in extremis. Avec lui sous son bras elle a crevé la surface, trop vite. Il a récupéré mais elle est à l'hôpital depuis des mois. Lorsqu'un jour on sonne à sa porte, il la reconnaît. Elle entre. Ils ne disent rien. Ils se sourient. «En attendant que ça s'apaise»: Ulysse et Louise. Scène de ménage. Elle crie, il grogne, ils sont comme toujours sur le fil du rasoir, proches de l'irréversible. Les enfants assistent au manège, pleurent en silence. Soudain le poing d'Ulysse transperce la baie vitrée. Le sang jaillit abondamment de son poignet. Glacée d'effroi, Louise retrouve des paroles douces. Elle ne pense pas à appeler l'ambulance. «Confusion»: Jeannette est venue voir son père le week-end dernier. En rentrant chez lui après l'avoir raccompagnée au train, un ambulancier attend le père chirurgien: Voilà deux jour que l'on essaie de vous joindre, mais votre portable est éteint et votre téléphone toujours occupé. Le patient admis aux urgences est mort. Sa famille a jeté sur le chirurgien une meute d'avocats. «Rencontre en mars»: Au supermarché, un cri transperce “Les Quatre Saisons” améliorées de Vivaldi: Tu ne me reconnais pas? je suis Françoise, du lycée. Viens, allons prendre un verre! Anita n'a jamais vu cette Françoise, pourtant elle va jouer le jeu… «Tu pleureras avant ce soir» est un recueil de nouvelles en forme de galerie de portraits. Un bol qu'on essuie, un mot que l'on aurait dû dire, un papillon de nuit qui vibre dans un verre d'eau… Le paysage intime que brode Poumirau est à la fois d'une simplicité brute et d'une immense intensité. Il lui suffit de quelques mots, d'une demi-phrase, pour faire naître la vie, créer un univers.
Après avoir sillonné l'Europe et vécu sept ans à Madrid, Patrick Poumirau s'est fixé dans le Sud-Ouest où il enseigne la littérature. Il est l'auteur d'«Un soldat de passage», publié chez NiL éditions en 2000.
«On a mal observé la vie si on n'a pas vu aussi la main qui, avec mille ménagements, assassine.»NietzscheIl n'a presque plus aucun bouton sur la figure. Sa maman lui a trouvé une nouvelle pommade dont il retiendra toujours le nom. Il a un visage doux et des manières délicates. Des attentions aussi. Pour les siens. C'est un jeune homme bien élevé. Il s'appelle Stanislas mais ses amis l'appellent Stan. Il aime ça, ça flatte sa virilité en herbe. Des amis, il n'en a pas beaucoup, et ceux qu'il a lui ressemblent. C'est un garçon comme il faut, tout le monde le dit. On n'a pas grand-chose d'autre à dire sur lui d'ailleurs. Enfant unique, d'un mariage raté, enfant chéri, il n'a pas été gâté car il faut bien apprendre ce qu'est la vie. Détenteur d'un BTS en productique-robotique, il pourrait se vanter d'avoir obtenu un 13 en mathématiques, mais il ne le fera pas parce qu'il est modeste. Ça aussi, on le lui a enseigné. Il a fait du VTT de façon intensive pour combattre le stress de ses études, pour meubler ses dimanches et parce qu'il a dû entretenir un peu le rêve de devenir champion. Il a connu des moments intenses sur sa bicyclette lors de compétitions difficiles sur des parcours ingrats et boueux. Une approche saine de la vie. Il a su quelquefois ce que signifie aller jusqu'au bout de soi. Le deux-roues, il l'a abandonné le jour où il était temps d'entrer dans la vie active. Il a pu s'acheter une voiture. Avec ses sous. Ceux qu'il a gagnés en travaillant l'été chez un concessionnaire Renault, d'abord comme magasinier puis, la saison suivante, comme aide de l'expert-comptable. C'est l'entreprise où sa mère est secrétaire de direction depuis déjà dix-neuf ans. Rien ne l'a rendue plus fière que la première paye de son fils, à part peut-être d'avoir su le tenir à l'abri de nombreuses tentations, ce qui n'est pas si simple. C'est sûr, il ne ressemble pas à son père, cette erreur de la nature, qu'il ne voit presque jamais d'ailleurs. C'est chez Renault aussi qu'il a acheté cette première voiture. On faisait des facilités. Vert profond, métallisé, une Twingo, pas neuve mais sans une égratignure. C'est un jeune homme raisonnable, incapable d'insolence, dont la mère n'a pas à se plaindre. Ça ne l'empêche pas d'avoir des inquiétudes, d'être pétrie de préoccupations, pour lui bien entendu, pour qui d'autre ? Il y a tant d'insécurité. Il passe tous les matins et tous les soirs devant mon garage avant d'aller travailler, esquisse un signe de la main. Toujours le même geste, avec le même sourire aimable, un peu automatique, figé, qui dans un autre temps m'aurait paru énigmatique. Il a aussi une petite amie, Sandrine. Ils ont cherché un appartement mais sa famille à elle, plutôt aisée, a voulu s'occuper de tout. Ils n'ont pas dit non, par les temps qui courent… Ils vont faire bâtir. En dur. À leur âge, c'est une aubaine. Tout sera comme il faut. Il porte à vingt-six ans la ride préoccupée des gens qui l'entourent. C'est un actif. Il est gagné à la grande cause. Je le trouve triste mais il doit être heureux. Sa discrétion innée le préserve d'avoir de la conversation. La politique ne l'intéresse pas. Il préfère le sport. Il ne lit que «Midi Olympique». Et encore, pas toutes les semaines. Il passe le soir, passe le matin, devant ma maison, sans jamais s'arrêter, ou si rarement, toujours ponctuel, dans sa voiture irréprochable, dans son premier costume bon marché mais élégant, dans son habitacle hygiénique, dans une espèce de confiance craintive mais sans faille, l'esprit tout occupé, semble-t-il. Son avenir. Lorsqu'il lui arrive de s'arrêter, il fait jouer entre ses doigts son porte-clefs auquel est accroché l'insigne rutilant de Renault et un jeton amovible pour les caddies de supermarché. Il affiche une réelle assurance devant moi qui suis si fébrile et si hésitant, et ses paroles sont pleines de certitudes. Il commence à avoir du ventre, le regard vide. Il n'est pas là, ne peut pas y être, tout entier dans le vide de demain, extraordinaire chimère pour celui qui ne connaît pas le présent. Vingt-six ans, bientôt vingt-sept. Il veut réussir. C'est un gentil garçon. Moi je suis son père.