Sandra a été la première personne que j'ai prise en filature comme un détective à galure. Je ne l'ai pas fait de gaieté de cœur, mais je ne voyais pas d'autres moyens d'en savoir plus sur elle. J'éprouvais une telle douleur à la voir passer sans même me jeter un regard! Une douleur un peu moins supportable au fil des jours.Je l'avais donc suivie jusqu'au bout de la rue Vignon, aimanté par sa jupe blanche mais à distance respectable, jusqu'au boulevard Haussmann. Là, elle avait traversé, longé le Printemps et les Galeries Lafayette en jetant des coups d'œil rapides aux vitrines, puis elle s'était engagée rue de la Chaussée-d'Antin. À un moment donné, elle est entrée dans un immeuble et a disparu à l'intérieur. Je l'ai attendue sur le trottoir d'en face jusqu'à ce qu'elle en ressorte, au bout d'une demi-heure. Elle a repris sa route, et moi ma filature, jusqu'au 33 rue de la Paix. Là, elle a appuyé sur le bouton d'un interphone, s'est annoncée, et la porte s'est ouverte.Malheureusement, il n'y avait pas de nom inscrit sur l'interphone, seulement l'étage que Sandra avait appelé. Habitait-elle là? Ou bien y travaillait-elle? On n'habite guère rue de la Paix, sauf au Monopoly. C'est une adresse prestigieuse, très convoitée par les banques et les joailliers, les couturiers et les compagnies aériennes; pas un quartier résidentiel. À coup sûr Sandra travaillait là. Mon enquête aurait été plus simple si le nom de son employeur avait été inscrit sur l'interphone, mais je m'étais contenté de ce maigre indice – sixième étage – pour démarrer.Je ne suis pas fier d'avoir agi ainsi, je ne suis pas honteux non plus. J'ai fait comme j'ai pu. À cette époque, mon psychisme très ébranlé par le divorce ne me permettait pas d'aborder une femme dans des conditions plus urbaines. Je sais aussi que je n'inspirerais pas la sympathie en racontant sans détours comment les choses se sont passées. Du reste, je ne cherche pas à inspirer la sympathie. Je veux seulement raconter une histoire, une histoire d'amour si l'on veut, en tout cas l'histoire d'un désir qui m'a rendu fou.