La première édition de son livre en 1976 aux éditions Maspero avait fait grand bruit et pas uniquement à cause de son titre provocateur : La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre. Ce géographe et spécialiste de géopolitique, un mot alors encore tabou, y fustigeait «la géographie des professeurs» pour montrer l’importance politique de tout discours sur l’espace. Une réflexion qu’il poursuivra en créant la revue Hérodote. Trente-six ans après, il republie cet ouvrage désormais classique avec une longue préface inédite et des commentaires.
Marc Semo et Catherine Calvet / Libération
Derrière l'apparente simplicité de son titre, ce sont plusieurs livres que recèle La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre. C'est avant tout un rappel acéré des racines militaires de la discipline, et de la carte en particulier, cette représentation "efficace" mais "coûteuse" de l'espace, qui ne peut être produite, à l'origine, que par les Etats et les états-majors. S'y ajoute une critique tout aussi cinglante de la "géographie des professeurs", émolliente dans ses énumérations sans réflexion (relief-climat-végétation-fleuves...), qui ne produisent que des "bribes hétéroclites" de savoir tout en naturalisant, par l'étude des régions ou des paysages, "l'idéologie nationale". En cela, l'ouvrage constitue un puissant antidote à la nostalgie de l'enseignement traditionnel si prégnante aujourd'hui. Tout cela pourrait donner l'impression d'un pamphlet réducteur, ne faisant qu'attaquer ou déconstruire la discipline. Plus profondément, on peut y lire un éloge de la géographie, révélant sa dimension de "savoir stratégique" et, par là, émancipateur. Penser l'espace, lire une carte, varier les échelles, c'est ressembler aux guérilleros qui maîtrisent les lieux de leur lutte, à l'inverse des "paumés" qui "au sens propre, ne savent plus où ils en sont". On voit ici le ton militant d'un livre au style vivant, qui n'échappe pas toujours aux facilités, lorsqu'il s'agit de désigner des adversaires ou des cibles ("le" pouvoir au singulier, quand ce n'est pas "la CIA et le Pentagone"), mais frappe par son constant souci de réflexivité et de critique du sens commun.
André Loez / Le Monde des livres
Publié pour la première fois en 1976 dans la « Petite collection Maspero », La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, n’était pas passé inaperçu. Le titre et la thèse étaient iconoclastes. Yves Lacoste montrait comment la géographie universitaire et celle qui était enseignée dans le secondaire refusaient à l’espace toute dimension politique, stratégique et militaire. Choisissant de réintégrer ces enjeux, il redéployait le savoir géographique de belle manière. Il pouvait s’appuyer pour ce faire sur la revue qu’il venait de créer, chez Maspero aussi, Hérodote, sous-titrée Revue de géographie et de géopolitique. Trente-six ans plus tard, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre est réédité avec une préface inédite de l’auteur qui évoque la première réaction de François Gèze, patron de La Découverte : « Ce n’est pas un titre ! ». Le fameux « flair » de l’éditeur fut pour une fois pris en défaut. Car ce fut un bon et grand titre, désignant précisément ce que contenait le livre et allant au-delà avec son caractère de manifeste permanent. Yves Lacoste rappelle aussi que la phrase était apparue, quelques mois auparavant, dans le premier numéro d’Hérodote.
Vincent Duclert / La Recherche
Ce petit livre est un grand livre. Ce fut en son temps, il y a trente-six ans, effectivement un livre de combat, qui déclarait la guerre à la géographie classique enseignée depuis le début du XXe siècle de façon scolaire et didactique, sous la forme dite de géographie régionale. L’ouvrage scandalisa alors ses pairs et ses aînés. Yves Lacoste avait raison, l’avenir le démontra. Il se référait à l’histoire de la discipline, née il y a plusieurs siècles de la cartographie militaire. Cela lui fut confirmé, quand, observateur infatigable, il sut alerter les autorités internationales sur le drame qui se jouait au Vietnam alors que des bombardements américains ciblés sur les digues du fleuve Rouge provoquaient des inondations catastrophiques, imparables grâce à la précision cartographique. Les combats scientifiques menés par Yves Lacoste au fil de sa carrière, sur le jeu des échelles (locale, régionale, mondiale…), sur les pays du Sud (on disait alors tiers-monde), sont aujourd’hui à peu près gagnés : il a rendu sa noblesse à l’analyse géopolitique du monde, dont il est devenu un spécialiste, grâce à l’excellence toujours confirmée de la revue Hérodote, qu’il créa alors. Et on a pu le paraphraser, en affirmant de façon analogue que « l’histoire, ça sert d’abord à faire des États ».
Catherine Coquery-Vidrovitch / L'Humanité
En 1976, l'auteur lance la revue Hérodote qui entend montrer que la géographie intéresse tous les citoyens, et pas seulement les commandements militaires, que l'on pense seulement au rôle de frontières, aux discours sur le développement... 36 ans après, l'auteur, dans une préface d'une cinquantaine de pages explique ce que ce livre a provoqué dans le milieu des géographes et des historiens et ce qui a changé depuis. De quoi réfléchir pour ceux qui s'intéressent (ou qui ne s'y intéresse pas encore) à la géographie.
Silence
Près de quarante ans après sa première parution, Yves Lacoste reprend son livre qui avait fortement secoué le petit monde des géographes. L'occasion pour lui de revenir, dans une longue préface, sur son parcours de géographe nourri par l'expérience de la colonisation. Pour des générations d'élèves, ses analyses de la géographie du sous-développement ont servi de base à l'étude des pays du Sud. Selon lui, la géographie est une affaire de citoyens, puisque son but est de penser l'espace "pour savoir s'y organiser, pour savoir y combattre". Au moment où, en France, les territoires font partie du débat politique quotidien, les analyses et les définitions de l'auteur du Dictionnaire de la géopolitique sont bien utiles.
Altermondes