L’épisode est connu ; son origine volcanique nettement moins. Là réside le travail remarquable de l’historien américain. Rapprocher les événements, établir les « téléconnexions ». Pour cela, il puise dans les sources scientifiques – les premiers relevés météorologiques, les observations des médecins, les carnets de voyageurs -, mais aussi les œuvres des poètes et des peintres (Caspar Friedrich, Constable, Turner…). Il plonge dans le passé lointain, l’éclaire à la lumière des dernières études, observation de volcans récents (Pinatubo, 1991) ou simulations des conséquences de l’éruption de 1815 – la plus importante du millénaire – sur la météorologie mondiale. (…) Ainsi, D’Arcy Wood déterre des épisodes enfouis. En Europe mais plus encore en Asie. Qui se souvient que c’est l’absence de mousson en 1816, puis les pluies diluviennes de 1817 qui ont provoqué la première grande épidémie de choléra en Inde ? L’historien convoque climatologues et biologistes pour pointer du doigt le Tambora. Même diagnostic pour la crise alimentaire qui décima le Yunnan entre 1815 et 1818 et convertit la province chinoise à la culture de l’opium. Jonglant entre les explications agronomiques et sur la culture du riz et les admirables poèmes de Li Yuyang, il offre là quelques pages magnifiques…auxquelles n’ont rien à envier les deux chapitres consacrés aux régimes glaciaires. L’un décrit l’improbable fonte de la banquise arctique – eh oui, il peut faire froid en Europe et chaud au Groenland – et la quête britannique du passage du Nord-Ouest. L’autre, l’apparition d’un barrage de glace dans le Valais puis la débâcle qui submergea la ville de Martigny, à l’origine de milliers de morts et de la théorie moderne de la formation des Alpes. De quoi lancer un sévère avertissement contre « l’hubris technologique » moderne. « Si, au début des années 1800, un changement climatique de trois ans a provoqué de telles destructions et redéfinit les affaires humaines (…), alors, il est impossible d’imaginer les conséquences futures d’un changement climatique de plusieurs décennies. » « L’histoire du Tambora, comme le Frankenstein de Mary Shelley, doivent être pris pour des mises en garde », poursuit l’historien. Nul doute que le parallèle s’impose. Et dans les deux cas, on garantit les frissons.
Nathaniel Herzberg / Le Monde des livres
Quel rapport entre grande famine en Irlande, l’explosion du marché de l’opium en Chine, la dépression du président Thomas Jefferson (et celle, économique, de son jeune pays), la diminution de la banquise en Arctique, la couleur des ciels dans les tableaux de Turner, la fluctuation des prix des céréales en Europe, l’épidémie de choléra au Bengale et l’élaboration de la première théorie moderne et libérale de l’État ? L’éruption du volcan Tambora le 11 avril 1816 ! Situé sur l’île de Sumbawa, à l’est de Java, dans les Indes néerlandaises, l’explosion de ce « Vésuve oriental » a eu, au-delà de ses victimes locales bien vite oubliées, des conséquences aussi insoupçonnées qu’effroyables sur le climat et, par là, sur l’économie régionale et mondiale mais aussi sur la marche politique du monde. Telle est la thèse – séduisante, argumentée, singulière – de l’historien Gillen D’Arcy Wood dans un essai stimulant de 300 pages dont les développements scientifiques parfois savants n’entravent jamais le plaisir d’une lecture agrémentée par l’irruption de figures artistiques et littéraires comme Constable ou Keats. Car leurs œuvres aussi, souligne D’Arcy Wood, furent « inspirées » par cette catastrophe méconnue. Ainsi, de Frankenstein : « La célèbre créature de Mary Shelley porter la marque des populations européennes affamées et malades au milieu desquelles elle vivant pendant ce terrible été du Tambora ». Qui s’en serait douté ?
Jean-Christophe Buisson / Le Figaro Magazine
Raconter cette histoire, c’est également montrer la folie de la géo-ingénierie, cette nouvelle discipline scientifique qui propose de résoudre la crise climatique par la technologie, par exemple en projetant de gigantesques volumes d’aérosols de sulfate dans la stratosphère pour refroidir artificiellement la Terre : avec Tambora, on voit combien, dans un processus climatique, les réactions en chaîne sont immaîtrisables. À travers ce cataclysme vieux de deux cents ans, D’Arcy Wood nous met en garde à propos d’une autre catastrophe, celle à laquelle nous nous exposons en n’endiguant pas le réchauffement climatique. Cette fois, la cause ne pourra être attribuée à l’éruption d’un volcan indonésien – dont les projections disparurent en trois ans – mais bien à l’inconscience humaine.
Xavier de La Porte / L'Obs
Les désordres climatiques hantent les hommes depuis longtemps sans qu’ils sachent toujours les comprendre. Ce n’est que très récemment qu’on a ainsi pris conscience des ravages planétaires causés par ce qui fut sans doute la plus grande éruption volcanique des derniers millénaires. Sans un témoignage écrit recueilli par les Britanniques, cet événement majeur tombé dans l’oubli aurait pu être oublié à jamais englouti. C’est l’histoire de ce phénomène mondial que retrace avec brio un professeur à l’université de l’Illinois, faisant appel aussi bien aux écrits littéraires qu’aux études climatologiques les plus pointues. (…) On a fait le lien entre l’éruption cataclysmique de Santorin dans la mer Égée, en 1628 av. JC, la chute de la civilisation minoenne, la légende de l’Atlantide et l’exode des Hébreux hors d’une Égypte frappée par la peste selon le récit biblique. Ce livre d’histoire globale décrit en décryptant avec rigueur un phénomène du même type. Alors que les enjeux climatiques nous interrogent, il nous saisit avec une acuité particulière.
Jean-Marc Bastière / Le Figaro Littéraire
Quel est le fait historique le plus important du XIXe siècle? Waterloo, l’unité allemande et italienne, la guerre de Sécession? Tout se discute bien sûr, l’histoire n’est pas une science objective. Mais à la lecture de «L’Année sans été de Gillen d’Arcy Wood», il se pourrait bien que le phénomène le plus marquant du siècle soit… l’éruption du Tambora en 1815, un volcan de l’île de Sumbawa en Indonésie.
Ses conséquences ont été si catastrophiques pour le climat de la planète que pendant trois ans des millions de paysans se sont retrouvés en situation de famine, du Yunnan chinois à l’Irlande en passant par la Suisse. Ce volcan, dont l’explosion classée au rang de «méga colossale» selon l’indice d’explosivité volcanique, est sans équivalent dans les annales de l’humanité, surpassé seulement par l’éruption Oruanui (Lac Taupo) en Nouvelle-Zélande il y a 26 500 ans.
L’histoire de cette éruption, dont il reste aujourd’hui un cratère de 6 kilomètres de diamètre qui gronde et sent encore le souffre, est bien connue des volcanologues et des historiens. L’intérêt du livre de D’Arcy Wood, au titre français trop réducteur, est de restituer cette tragédie dans sa dimension planétaire. Car le Tambora ne se limite pas à être la cause de «l’année sans été» de 1816, mais il a durablement marqué les sociétés humaines et contribué à leur transformation. Ce géant indonésien a même influencé les arts, la littérature et les idées scientifiques tout au long du XIXe siècle.
(…) Pour D’Arcy Wood, qui est professeur de littérature, la créature de Frankenstein n’est pas seulement l’envers damné de l’Homme Nouveau des Lumières et de la Révolution, elle est aussi à l’image de ce nouveau pauvre des années 1816, jeté sur les routes, mendiant en guenilles, ayant tout perdu, maison, femme et enfants. Ou de ces petits Suisses des Alpes «à moitié difformes» du fait de la malnutrition, ou encore ces «spectres animés» rencontrés plus tard dans la botte de l’Italie qui ont encore la force de dire dans un souffle: «Nous mourons.» En clair, conclut D’Arcy Wood, «les campagnes européennes de 1816 sont devenues une terre de morts-vivants», et les élites, à l’image de Victor Frankenstein, ont démontré à leur égard bien peu de compassion.
De ce tableau sombre émergent aussi quelques idées neuves, notamment en matière de politique sociale, de santé, et du rôle de l’Etat en cas d’urgence. En Suisse, le compte rendu de ces années de disette par l’historien Marc Henrioud montre que les autorités vaudoises étaient parvenues à limiter les dégâts en interdisant les exportations, en pratiquant une politique d’achat de céréales et en faisant pression sur le prix du pain. Protectionnisme ou libre-échange, secours d’urgence, réfugiés climatiques: les questions du monde moderne, jusqu’aux plus récentes, sont nées de la cendre volcanique.
Emmanuel Gehrig / Le Temps
Il faut lire ce livre d’abord pour son actualité : la crise climatique que nous vivons n’est pas la même, mais les effets de Tambora sont impressionnants, alors que la température n’a baissé que de deux degrés. Il faut le lire comme un bel exemple d’histoire connectée, qui de plus met en évidence un événement mondial qui, à l’époque, passa inaperçu des contemporains. Il faut le lire enfin parce que de passionnants développements autour de Byron et de Mary Shelley donnent une profondeur culturelle à l’événement.
Dominique Borne / Sciences Humaines