“J'ai, au plus profond de mes doutes, quelques certitudes.”
« Je souscris à la résolution de Lautréamont : "Je n'écrirai pas des mémoires". Je n'ai pas le goût des confessions, elles...
“J'ai, au plus profond de mes doutes, quelques certitudes.”
« Je souscris à la résolution de Lautréamont : "Je n'écrirai pas des mémoires". Je n'ai pas le goût des confessions, elles offrent trop de gages à un spectacle où ma démarche même renierait son propos. Je n'ai en revanche aucune raison...
“J'ai, au plus profond de mes doutes, quelques certitudes.”
« Je souscris à la résolution de Lautréamont : "Je n'écrirai pas des mémoires". Je n'ai pas le goût des confessions, elles offrent trop de gages à un spectacle où ma démarche même renierait son propos. Je n'ai en revanche aucune raison de dissimuler l'attrait qu'a toujours exercé sur moi la tentative de Montaigne de se peindre sur le vif en dépit des couleurs que le monde lui imposait. N'ayant écrit qu'un seul livre, sans cesse récrit, complété, corrigé selon la facture qu'empruntaient les bouleversements de société et, inséparablement, les variations de mon existence, je me sens en narquoise familiarité avec lui.
Chacun de mes livres traduit le progrès, si incertain qu'il soit, d'une conscience en peine de dénouer les fils enchevêtrés d'une destinée, dont j'aspire à régler le cours. Si mon analyse se fonde sur des éléments personnels, ce n'est pas pour en tirer valeur d'exemple, c'est pour tenter d'éclairer un dernier voyage comme s'il dût, envers et contre tout, être encore le premier ; c'est pour aviver, dans un refus de ce qui doit finir, une volonté, sinon de tout recommencer, du moins d'ouvrir des portes demeurées fermées ou entrouvertes par crainte.
Ce désordre d'émotions et de pensées, j'ai choisi de les aborder par le biais des passions auxquelles je demeure le plus attaché : l'amour, l'amitié, la volonté de vivre, l'aventure labyrinthique de la destinée, l'alchimie du désir, la sensibilité, l'animalité, le bonheur, la poésie ; et à travers ce qui les corrompt : la peur, l'argent, la présomption de l'esprit.
Mon questionnement est sans réponses, mais j'ai, au plus profond de mes doutes, quelques certitudes. Peut-être est-ce suffisant au cœur d'une époque qui, présentant comme nulle autre pareille les symptômes d'un pourrissement universel, cherche, au crible de ses désillusions, les signes d'une civilisation humaine qui tente maladroitement et naïvement de s'instaurer. »
R. V.
Vaneigem le revenant
« "Désire tout, nattends rien !" écrit encore, trente-cinq ans après 68, lauteur du "Traité de savoir-vivre à lusage des jeunes générations" (1967) et leader révolté, avec Guy Debord, de lInternationale situationniste : Raoul Vaneigem, né en 1934 à Lessines (Belgique). Le cri utopique de quitter un monde dévasté par la société marchande "pour apprendre à devenir humain" est toujours présent dans son dernier livre, mais celui-ci se teinte détranges élans lyriques et porte curieusement le titre dune peinture fantastique de Dürer. "Où en est lerrance du chevalier nu sous son armure, lamour qui le hante [
], le guide, le diable qui légare et léclaire
?" interroge Vaneigem, qui narre ainsi, avec une naïveté déconcertante, sa rencontre avec "les puissances élémentaires de sa sylva magica", sa forêt enchantée. "Le ciel est la terre des oiseaux
" écrit-il. "Se nourrir et boire, cest ensemencer et irriguer inséparablement le corps et la terre." Quest-il arrivé au rebelle des barricades ? Il poursuit, en empruntant de verts sentiers aux allures angéliques, sa critique de "nos sociétés grégaires et patriarcales". Plus que jamais, à 69 ans, il revient sur la beauté de la jeunesse, de lamour et de la poésie, sur les vices du fétichisme de largent, sur son refus de se livrer "à la criée médiatique" pour ne pas "gâter son plaisir décrire par obligation de se vendre"
Il raconte comment il vécut dexpédients et fit "le nègre" après le renvoi de son poste de professeur à la suite dune aventure amoureuse avec une étudiante de 20 ans
Il revient sur son amitié avec Debord, "fondée sur lexubérance éthylique et la rigueur de pensée" tout en revendiquant ses erreurs, comme davoir emmené une amie en Espagne les premiers jours de Mai 68
Enfin, fidèle à sa "volonté de vivre" hors du "tout-à-légout du profit", il souhaite que soit accordée "dès ladolescence une allocation mensuelle qui garantisse à chacun le confort dun toit, le droit de se nourrir, la liberté de se déplacer, le charme des rencontres
" Le situ crie son utopie, par-delà les villes
quelque part dans sa sylva magica ! »
Marie Audran (Le Point, jeudi 11 septembre 2003)