Les Incasables : Le livre de Rachid Zerrouki

Très joli récit agrémenté de réflexion sur les théories de l'enseignement, qui témoigne surtout d'un amour de l'école, de la république, de la connaissance et, surtout, de l'enseignement. C'est vraiment très beau, et très émouvant ; on comprend ce que peut signifier un "métier à vocation" - on rit des quelques anecdotes rapportées, mais avec pudeur et discrétion. On reste surtout atone et attentif aux difficultés, aux gageures rencontrées. On reçoit aussi les "gueulantes" impromptues comme si on était élève plus que comme si on était prof - car dans l'océan de sérénité et de distance qui caractérise l'ensemble du livre surgissent à deux ou trois reprises de vifs emportements sans que le contexte ne soit rapporté (et quoiqu'on l'imagine, ne serait-ce qu'en référence aux souvenirs de classe chahutée) . Ce n'est pas un roman. L'auteur est très jeune. C'est étonnant de lucidité, peut-être déjà un peu conclusif (que restera-t-il à découvrir au cours d'une carrière si tant d'aspect de l'enseignement ont déjà été abordés ?) et pourrait engager une poursuite professionnelle à d'autres fonctions. C'est très simplement écrit, mais, étrangement, difficile à lire. Il faut rester attaché au texte, l'émotion se trouve dans les espaces, entre les mots, entre les phrases. Le propos est politique, dès le début, aussi. La difficulté d'insertion des personnes porte autant sur le regret de ne pouvoir les porter mieux ou plus vite vers les diplômes. Peut-être que la société durable qui s'annonce accordera plus d'attention aux relations affectives et moins à la performance intellectuelle (dont on peut noter d'ailleurs qu'elle a plutôt tendance à effondrer la culture aujourd'hui). N'aura-t-on pas besoin, demain, de personne pour prendre soin des animaux, de la nature, entretenir un rapport moins imprégné de connaissances théoriques - et une telle vie portée par la relation émotionnelle ne serait-elle pas parfaitement en réponse aux besoins des personnes que fuient les diplômes ?... Il reste la question économique... Mais nous parlions bien d'une société nouvelle, non ?

Merci à @rachid.linstit pour ce témoignage bouleversant à mettre dans les mains de tous nos dirigeants et de ceux qui dénigrent, à coup de films caricaturaux et médiocres, les élèves de SEGPA dont il est question ici, mais aussi des enseignants désespérés en quête du sens perdu de leur métier (il faut dire que l’institution les y aide beaucoup…). Être prof, à ce niveau-là, c'est un engagement fort, un acte militant, voire politique, et à l'heure où le trumpisme sauvage infuse rapidement dans les mentalités, où le service public est consciencieusement pulvérisé, où il est de bon ton de faire du “prof bashing”, il est salutaire de porter un autre regard sur ces ados en décrochage. Ce livre n’est pas qu’un chapelet d’exemples vécus, d’espoirs déçus ou de petits bonheurs aussi précieux que fugaces, il est aussi étayé par des éclairages de sociologues ou de pédagogues grâce auxquels R. Zerrouki va nourrir sa pratique et porter un regard critique sur les aspects délicats de ce métier d’horloger, comme l’autorité ou l’empathie. Changer de regard sur ces élèves aux histoires souvent dramatiques, ce n’est pas simplement en avoir pitié (surtout pas !). C’est croire en eux, les nourrir, les porter, les comprendre, leur donner un cadre clair mais bienveillant, en un mot, être humain. Je laisse la parole à l’auteur pour finir cette recension, car tout y est dit : “Nous (leur) devons une École forte, ambitieuse et capable de résister au poids des déterminismes, une institution qui ne se contente pas d’accompagner les élèves vers des projets professionnels sans saveur, mais qui les pousse à croire en leurs rêves les plus fous. Entre cette École et nous, il y a une lutte politique à mener.”