La serpe : Le livre de Philippe Jaenada

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Julliard

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Un matin d'octobre 1941, dans un château sinistre au fin fond du Périgord, Henri Girard appelle au secours : dans la nuit, son père, sa tante et la bonne ont été massacrés à coups de serpe. Il est le seul survivant. Toutes les portes étaient fermées, aucune effraction n'est constatée. Dépensier, arrogant, violent, le jeune homme est l'unique héritier des victimes. Deux jours plus tôt, il a emprunté l'arme du crime aux voisins. Pourtant, au terme d'un procès retentissant (et trouble par certains aspects), il est acquitté et l'enquête abandonnée. Alors que l'opinion publique reste convaincue de sa culpabilité, Henri s'exile au Venezuela. Il rentre en France en 1950 avec le manuscrit du Salaire de la peur, écrit sous le pseudonyme de Georges Arnaud.
Jamais le mystère du triple assassinat du château d'Escoire ne sera élucidé, laissant planer autour d'Henri Girard, jusqu'à la fin de sa vie (qui fut complexe, bouillonnante, exemplaire à bien des égards), un halo noir et sulfureux. Jamais, jusqu'à ce qu'un écrivain têtu et minutieux s'en mêle...
Un fait divers aussi diabolique, un personnage aussi ambigu qu'Henri Girard ne pouvaient laisser Philippe Jaenada indifférent. Enfilant le costume de l'inspecteur amateur (complètement loufoque, mais plus sagace qu'il n'y paraît), il s'est plongé dans les archives, a reconstitué l'enquête et déniché les indices les plus ténus pour nous livrer ce récit haletant dont l'issue pourrait bien résoudre une énigme vieille de soixante-quinze ans.


Prix Femina 2017

De (auteur) : Philippe Jaenada

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Expérience de lecture

Avis des libraires

" D'un triple assassinat jamais élucidé jusque-là, Philippe Jaenada fait un livre grandiose... Les détours personnels, empruntés par l'auteur (champion du monde de la digression) pour restaurer la dignité d'un fils, donnent tour à tour envie de pleurer de joie et d'émotion. Laissez-vous emporter par la houle sentimentale qui sublime ce pavé saignant. "|Olivia de Lamberterie
Elle
" L'auteur réinvente le genre du roman de procès, et lui applique sa patte unique, faite d'une drôlerie tendre et sombre... une superbe évocation de l'amour paternel et de l'amour filial. " |Raphaëlle Leyris
Le Monde des Livres
" Et peu à peu, l'enquête devient quête, requiem pour des vies fracassées, des chiens perdus sans collier. Et plus que jamais, toujours sur le motif de ses obsessions, Jaenada s'affirme comme l'un de nos plus précieux écrivains. " |Olivier Mony
Livres Hebdo

Avis Babelio

RChris

4.50 sur 5 étoiles

• Il y a 1 mois

En fin d’ouvrage, Philippe Jaenada remercie, comme de coutume : “Les remerciements, oui, je sais, c’est toujours un peu gonflant… L’avantage dans un livre, contrairement aux César et aux Molières par exemple (il faudra que je demande à un spécialiste pourquoi César ne supporte pas le pluriel et Molière l’encaisse en haussant les épaules), c’est qu’on peut les passer d’un doigt, fluf, ça n’existe plus.” Il remercie donc Emmanuel Girard, le petit-fils d’Henri, sans qui ce livre n’existerait pas. Après s’être renseigné sur l’affaire du château d’Escoire, il lui avait pourtant dit : “Écoute Manu, je suis désolé mais je ne vais pas pouvoir raconter cette histoire. De toute évidence, c’est lui l'assassin : je ne vais pas écrire que ton grand-père, le père de ton père, a massacré trois personnes…” Il lui a répondu que lui était certain qu’Henri était innocent, mais que si je pensais le contraire, pas de problème : “C’est ton livre, tu écris ce que tu veux.” Henri Girard est l’auteur du livre “Le salaire de la peur” sous le pseudonyme de Georges Arnaud, adapté au cinéma par Henri-Georges Clouzot (au passage Jaenada estime que le livre est meilleur que le film qui remporta pourtant la palme d’or à Cannes : “... il a vieilli, mal, comme les mauvais films, alors que le livre aurait pu être écrit la semaine dernière. Tout paraît plat et faux, camelote, toutes les subtilités du roman ont été rabotées, gommées et remplacées par de bons gros clichés et ficelles d’époque. La mise en scène est magnifique, les plans, les cadrages, la lumière, le montage, on ne peut pas dire le contraire (la fin, quoique convenue dans le fond, est techniquement époustouflante et fait tourner la tête), mais il ne reste rien de la force sale et douloureuse du roman, de sa puissance sombre, rien des atmosphères lourdes, poisseuses, désespérées, que Georges Arnaud a pu recréer parce que Henri Girard y avait trempé.” Ça donne envie, je vais réemPALer ce petit poche ! Comme vous le voyez, Philippe Jaenada est le roi de la digression, des -...-, des (...) et autres (...(...)...). Parmi les hors-sujet, dont il est coutumier, il fait des rapprochements avec des protagonistes de ses autres livres ; pour “La petite femelle”, il nous présente même un complément d’informations qu’il insérera dans la postface de l’édition de poche à venir ! Il faudra 175 pages pour en arriver au fait… divers. Il joue de la patience du lecteur : “(On attend les crimes, les coups de serpe, la barbarie, le mystère, j’ai bien conscience, pardon, mais ça ne va plus tarder - dans “Jacques le Fataliste”, on poireaute (gaiement, mais tout de même) jusqu’aux dernières pages pour que Jacques raconte enfin à son maître comment il a relevé le jupon de la belle Denise sur ses cuisses pour lui enfiler une jarretière, rien de plus, on acclame Diderot à juste titre, j’estime qu’on ne peut m’en vouloir.)” Son père, sa tante et la bonne ont été massacrés à la serpe en octobre 1941 au château d’Escoire. Henri, présent, unique héritier, est le suspect numéro 1. Faut dire que “L’examen scrupuleux des diverses issues établit que le meurtrier n’a pu s'introduire dans le château. L’assassin se trouvait forcément à l’intérieur de la demeure.” Son avocat, Maurice Garçon, “a fait la liste des éléments qui tendent à prouver la culpabilité de son client : il en a répertorié vingt-trois.” Si bien que la seule question qui se pose véritablement sur les bancs de la salle est : “Guillotine ou pas ?” Henri est décrit par sa concierge dans une lettre qui a fâché mon correcteur orthographique : “M. Girard été un homme a faire peur. Je n ai jamais vu cette homme travaillé, cétai son père qui y payé tout le loyer. Tout ce que je sais que Monsieur Girard Henri fesait beaucoup la fète jusqua des 4 heur du matin.” Jaenada fera aussi le portrait de l’accusé avec le sens du paradoxe : “sale gosse, sale type, des claques, insupportable, il ne mue, instantanément, qu’en anéantissant la fortune familiale, et se transforme en nomade combatif qui ne possède rien et vient en aide à ceux qui en ont besoin. Un bon gars, finalement.” Arrivé à la moitié du roman, le tribunal l’a déclaré “non coupable” et Jaenada conclut la première partie de “La serpe” : “Voilà le dossier se referme ; Henri Girard a écrit de beaux romans, forts, qu’il faut lire, l’altruisme et l’énergie combative de la deuxième partie de sa vie ont largement compensé l’égoïsme et la futilité de la première, mais entre les deux, pour toujours, empestent, putréfiées, quelques heures de barbarie impardonnable. La mort hideuse de trois personnes, saignées dans la nuit, deux femmes qui n’avaient rien fait de mal de leur vie et un homme formidable, Georges Girard. Fin de l’histoire, une erreur judiciaire de plus.” Dans une deuxième partie, “un acte d’accusation en béton, un client détestable, un faisceau de présomptions qui feraient voler en éclat un bloc de marbre, soixante et onze témoins à charge bien remontés (contre treize à décharge, de moralité seulement) et toute l’opinion publique pour cuirasser l’ensemble…” vont être battus en brèche par le romancier. Enquêtant dix jours sur place, soixante-quinze ans plus tard, Philippe Colombo/Hercule Jaenada va faire vaciller une à une toutes ces certitudes qui contribuaient à l’assurance d’une culpabilité. Il va produire un véritable travail de limier pour questionner les 23 éléments à charge. Il montre les contradictions dans les témoignages. Dès la lecture du dossier, il comprend “qu’il s’agit de l’une des enquêtes les plus navrantes, les plus désastreusement menées de l’histoire de la police et de la justice.” Il va jusqu’à reproduire des expériences comme celle où il se coupe les ongles à ras, fouille la terre pour les salir, dort avec ses ongles sales et se lave les cheveux le lendemain pour constater qu’ils sont redevenus propres contrairement à ceux de Henri dont on a dit qu’il avait fait la même chose ! En pulvérisant les charges, il parvient à nous retourner dans nos convictions : pourquoi Henri n’a-t-il pas créé une effraction en cassant une vitre pour faire croire aux crimes d'un cambrioleur, au lieu de rester dans un château fermé dans lequel il était le seul vivant ? “Pour eux, l'une des premie#768;res preuves de la culpabilite#769; d'Henri, c'est qu'il soit le seul survivant, le seul dans le cha#770;teau au matin ; pour moi, c'est au contraire l'une des premie#768;res preuves de son innocence : de tous les suspects qu'on pourrait envisager, il serait le seul a#768; avoir dispose#769; de douze heures pour maquiller ses crimes en vol ou en n'importe quoi d'autre, il n'est pas pensable qu'il en ait si me#769;diocrement profite#769;, qu'il se soit montre#769; aussi nul durant toute la nuit – vous e#770;tes le dernier des a#770;nes, Girard.” Le retournement des preuves, les démonstrations pour mettre à bas tout ce qui l’accusait sont parfois fastidieux car il croise les témoignages, les faits qui avaient été exposés sur leur côté face. Ces faits reviennent alors comme en boomerang, revus et corrigés en montrant leur côté pile. Pourtant Gérard de Villers et Henri ont eu, à la fin de sa vie, une conversation qui ne peut être passée sous silence, d’autant que j’ai trouvé le traitement de cet échange, oh combien délicat, un peu léger de la part de Jaenada : “Tu peux le dire, maintenant, c’est toi qui les a tués ?” Henri répond d’une voix neutre : “Oui, c’est moi.” 283 pages plus tard, Jaenada fait le portrait à charge de Gérard de Villiers il montre les écarts dans les paroles de l’auteur de S.A.S. et termine : “Qu’Henri ait raconté tout cela, ou à peu près, à Gérard de Villiers, ça ne fait pas de doute ; qu’il se soit joyeusement foutu de lui non plus.” Un peu léger ! Dans les dernières pages, il nous livre sa version : “avec un gros tampon “HYPOTHÈSE” dessus, une vaporisation de points d’interrogation, et un avertissement au lecteur : “Ce qui suit n’est pas réel, j’invente.”” Mais ne comptez pas sur moi pour vous la révéler… Même s’il nous fait parfois languir : “Il va falloir un sacré talent pour se permettre de saouler de digressions le lecteur sur 600 pages sans qu’il lâche l’affaire.”, j’ai aimé sa façon de raconter les romans d’après des histoires vraies, (voir “Au printemps des monstres”) . Son analyse journalistique objective d’un fait divers connu est ponctuée par des réflexions personnelles et des associations d’idées erratiques et humoristiques. Cette “littérature d’escalier” enchaîne les digressions, jouxte le sérieux et les pitreries, joue de l’autodérision… avec le risque de lasser… Je crois pourtant que cette écriture me correspond ! Un style où le sérieux de l’étude n’occulte pas les faiblesses et les maladresses de l’auteur, où l'absurdité de certaines situations de la vie contrarie ce que l’on voudrait maîtriser.

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4.00 sur 5 étoiles

• Il y a 2 mois

Un livre enquête qui représente un travail colossal d’une précision rare ! Il est , et c’est là son autre grand attrait , saupoudré d’un humour et d’une spiritualité irrésistibles, avec des parenthèses interminables qui sont autant de digressions venant ponctuer un récit d’une toutefois certaine intensité dramatique. Ce peut être un petit bémol : les parenthèses qui font parfois une page entière, contenant elles même d’autres parenthèses ou l’on perd un peu son latin… L’auteur ne peut s’empêcher d’y faire des apartés soit sur sa vie personnelle (c’est alors en général cocasse ) soit en lien avec ses autres livres … lorsqu’il s’attarde sur des détails et précisions d’une rigueur d’historien, ça peut rebuter certains qui comme moi attendent le vif du sujet, soit l’affaire criminelle. Quand on y vient c’est passionnant mais avec tellement de détours que mes pauvres méninges s’y sont perdues plus d’une fois. ! Certains passages sont trop Longs et détaillés (les dates, les lieux) mais il faut rendre hommage à la précision des faits reconstitués par l’auteur . J’ai failli abandonner au chapitre 5 tant les multiples rebondissements de la vie du héros traînent en longueur avec des dates et des détails qui ne me semblaient alors pas essentiels à la compréhension des faits . Sans que les faits principaux n’aient encore été exposés je n’étais pas encore dans l’esprit prête à connaître tous les détails de sa vie rocambolesque par la suite … Ce qui m’a retenu ? Le fait que l’auteur , avec sa jolie plume ,son humour et son autodérision irrésistibles , ironise lui même sur ce suspens mais aussi l’envie de découvrir ce qui s’est vraiment joué dans ce huis clos ! Coup de cœur pour la scène où l’auteur entame une conversation imaginaire muette avec le client de la table d’a côté , suite à un simple regard échangé et qui donne lieu a une série de questions/réponses jubilatoire ! Le texte est parsemé de trouvailles géniales de ce type mais aussi d’expressions hilarantes : « Georges écrivait comme un cochon épileptique pressé  » , «  la patronne … me tend la carte avec le sourire d’une femme dont les 3 enfants en bas âge viennent d’être écrasés par un tracteur ». Une remarque toute personnelle sur la forme pure : les chapitres sont trop longs , parfois 70 pages , ça ne me va pas , ça ne correspond pas à mon pauvre rythme de lecture et en l’absence de sous chapitre cela m’a parfois contraint à m’arrêter en plein milieu du texte ce qui me gêne un peu. Je tatillonne car ce que je retiens au moment où je referme ce livre c’est une infinie tendresse pour le gros nounours qui l’a écrit et pour les personnages auxquels il s’est attelé de rendre leurs lettres de noblesse !

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jphial

4.50 sur 5 étoiles

• Il y a 4 mois

« Quelle malchance ! » Dès l’incipit, le ton est donné. On roule vers le Périgord en compagnie de Philippe Jaenada. Soudain un voyant orange s’allume sur le tableau de bord, indiquant que le pneu avant-gauche de notre voiture de location est en train de se dégonfler dangereusement. Philippe nous fait partager ses craintes. L’immersion dans le récit est instantanée : nous sommes à ses côtés, nous faisons connaissance, il paraît bien sympathique. Pourvu qu’on ne tombe pas en rade sur le bord de la route ! Remarquez, il y a pire comme malchance : celle d’Amélie et de Georges par exemple (et de leur vieille bonne, Louise). Tous trois sauvagement assassinés. De multiples coups de serpe dans le dos, à la tête, leur crâne fracassé, du sang partout, un véritable carnage. C’est vers eux qu’on roule, vers leur histoire du moins. Triple meurtre au château d’Escoire, un abominable fait divers survenu en 1941. Il a défrayé la chronique en son temps et fait couler beaucoup d’encre, l’affaire étant encore non résolue à ce jour. Philippe Jaenada joue les enquêteurs sans se prendre au sérieux, mais avec méticulosité. 634 pages de recherches minutieuses, d’hypothèses solidement étayées, de persévérance frisant l’acharnement : il fouille dans la sombre affaire d’Escoire tel un cochon truffier du Périgord. C’est avec la ferme intention de « trouver quelque chose, dans le passé en ruine » qu’il se rend à Périgueux, où les crimes ont eu lieu. Ce qui est intéressant, ce qui agite les méninges, c’est qu’il y a un rescapé à ce massacre : Henri Girard, le fils unique de Georges, le neveu d’Amélie, le seul héritier de la famille… Il jure que ce n’est pas lui le coupable, il a dormi dans l’aile opposée du château, n’a entendu aucun cri, n’a découvert les corps que le lendemain matin. Mais toutes les pistes convergent vers lui. Rapidement considéré par la gendarmerie, par la police (et par les habitants d’Escoire, qui ne le portaient guère dans leur cœur), comme le principal et unique suspect, il est arrêté et emprisonné dans l’attente de son procès. Coup de théâtre : après dix-neuf mois d’instruction, Henri Girard est acquitté, à la surprise générale, au grand dam de l’opinion publique périgourdine, qui persiste à le considérer coupable. Alors Henri Girard, coupable ou non-coupable ? Philippe Jaenada nous tient en haleine, ménage soigneusement ses effets, mène l’enquête, mais surtout construit très habilement son récit – l’air de ne pas y toucher, avec une apparente désinvolture (et la désinvolture est une bien belle chose ;-)) Impossible de dévoiler l’architecture du récit sans trop en dire, et ce serait dommage d’en dire trop, car les effets de surprise sont nombreux. Disons seulement que l’ouvrage est structuré en quatre parties. Jaenada prend son temps, échafaude soigneusement sa plaidoirie. Il commence par s’intéresser à la vie d’Henri Girard, raconte même sa vie dans les moindres détails, passant sous silence le triple crime d’Escoire (dans un premier temps). Frustrante ellipse dont il ose s’amuser, le bougre : « (On attend les crimes, les coups de serpe, la barbarie et le mystère, j’en ai bien conscience, pardon, mais ça ne va plus tarder – dans « Jacques le Fataliste », on poireaute (gaiement, mais tout de même) jusqu’aux dernières pages pour que Jacques raconte enfin à son maître comment il a relevé le jupon de la belle Denise sur ses cuisses pour lui enfiler une jarretière, rien de plus, on acclame Diderot à juste titre, j’estime qu’on ne peut pas m’en vouloir.) » Prendre appui sur « Jacques le Fataliste », excusez du peu, pour se justifier de tarder à entrer dans le vif du sujet, il fallait oser ! Fort de ce patronage littéraire, le narrateur-Jaenada s’adresse régulièrement à nous, s’amuse à nous impatienter, s’ingénie à nous frustrer, car il le sait, l’attente décuple le plaisir des révélations. On finit quand même, 155 pages après la ligne de départ, par en arriver aux meurtres : c’est la deuxième partie du récit, qui reconstruit l’enquête menée dans les années 1940. Philippe Jaenada joue habilement avec les codes du roman policier. Il sait s’y prendre quand il s’agit de faire monter la tension crescendo ou d’entretenir le mystère. « Mon but », explique-t-il, « mon idée de départ, c’est d’écrire un roman policier, un truc sanglant, de résoudre une énigme. » « La Serpe » se lit en effet comme un roman policier ou comme un roman-enquête, mais aussi, tantôt comme une biographie, tantôt comme un discours judiciaire ou comme un récit autobiographique… 634 pages, c’est long, mais avec une telle variété de plaisirs, d’approches et de tonalités, en fin de compte, c’est presque trop court. Je ne vous en dis pas plus, mais au terme de l’enquête, on atteint seulement la moitié de l’ouvrage... Deux autres parties suivront, délivrant sur l’affaire un point de vue inédit. Le récit bascule alors complètement, nous obligeant à reconsidérer les faits. J’ai pris beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage qui m’a été chaudement recommandé par un ami. Ses yeux pétillaient au souvenir de sa lecture, il se sentait incapable de passer à un autre bouquin tant il était encore imprégné par « La Serpe ». Waouh, il me fallait absolument découvrir la raison de cette petite étincelle logée au fond de sa prunelle ! Ni une, ni deux, je passe commande, et je découvre un écrivain que je n’avais encore jamais lu. Je ne sais qu’une chose : son truc, à Jaenada, ce sont les parenthèses érigées au rang de matriochkas (ces poupées russes qui s’imbriquent les unes à l’intérieur des autres). Les parenthèses s’ouvrent et se ferment, ça digresse à tout va, et le plus fort, c’est qu’on ne perd jamais le fil et qu’on ne s’ennuie pas une seconde en 634 pages (enfin, sauf quand ce cher Philippe divague vers ses autres bouquins, visiblement « La petite Femelle » le hante encore quand il rédige « La Serpe ». Pauline Dubuisson, je connais, j’ai d’ailleurs beaucoup aimé « Je vous écris dans le noir » de Jean-Luc Seigle, mais voilà : je n’ai pas envie de m’intéresser à elle maintenant, je suis plongée jusqu’au cou dans l’affaire Girard, c’est suffisamment bourbeux comme ça, alors je dois avouer que je zappe un peu les parenthèses auto-promotionnelles – j’ai dû passer à côté de quelque chose, tant pis, le survol est facile : je vois s’ouvrir une parenthèse consacrée à Pauline, je zieute le moment où elle se refermera sur cette pauvre Pauline, j’accélère la lecture, pas grave si je ne comprends pas tous les ponts que l’auteur s’amuse à dresser entre les deux affaires – Promis, je lirai un jour « La petite femelle », je compte bien ne pas m’arrêter là avec Jaenada de toutes façons, il est trop sympathique (et beaucoup trop convaincant pour que je m’en tienne là)). J’aime ces parenthèses qui me plongent dans la tête de l’auteur, je suis ses réflexions avec intérêt, je sinue au gré de ses phrases à rallonge, j’ai l’impression de réfléchir avec lui, de rire à ses blagues. Ses parenthèses recèlent un humour qui sait me détendre et qui donne de la légèreté à cette histoire plutôt gore. Elles sont superfétatoires mais elles font du bien, « (ça détend toujours, même au milieu d’un procès d’une gravité écrasante) ». Elles s’enchaînent avec un sens de l’autodérision qui me plaît : « (C’est trop long, ce passage sur le vrai ou faux enlèvement? J’ai peur que ça dure encore quelques lignes, pour être optimiste et cette parenthèse n’arrange rien. Je sais bien que c’est moins intéressant qu’un triple crime bestial, niveau enquête. Mais à mon avis, ne me blâmons pas : il faut que je m’y attarde, je trouve injuste de laisser Henri avec cette saleté dans le cercueil, même si ce n’est potentiellement qu’une petite arnaque de jeunesse. Ensuite, foi d’ami de la lecture agréable, je mets les pieds dans le sang et j’essaie de résoudre l’énigme du château, on va bien s’amuser.) » Sachez que lorsque Jaenada entreprend de résoudre une énigme, il ne fait pas semblant. Il endosse son vieil imper beige, se munit de sa loupe et fait appel à sa capacité de déduction hors du commun. Attention mesdames et messieurs, l’inspecteur Columbo-Poirot-Holmes entre en action ! « Amis périgourdins qui ne vous doutez de rien, bientôt, parmi vous, incognito, s’avancera Philippe Colombo, Hercule Jaenada, et on va voir ce qu’on va voir. » S’il se rend à Périgueux (souvenez-vous du premier paragraphe de ce billet, qui résume les premières lignes du roman), s’il entre enfin dans la ville à la page 225 (ouf !), c’est pour consulter le dossier Henri Girard aux Archives départementales : près de mille pièces au total, accumulées au fil des années, toutes numérisées. Philippe Jaenada se retrousse les manches, commence par observer (à la loupe électronique) les photos prises le matin de la découverte des crimes. Puis il se plonge dans la volumineuse correspondance saisie aux domiciles de Georges, Henri et Amélie. Il nous fait part de ses déductions, preuves à l’appui. C’est passionnant. Passionnant parce que convaincant. Robert Badinter disait que l’éloquence, c’est « quelque chose en plus qui fait qu’on passe de l’explication à l’art. Ça arrive, c’est bien, c’est agréable, (mais) ça ne suffit pas. (…) Ce qui compte, c’est d’être capable de faire naître chez ceux qui vous écoutent une conviction profonde ». Je ne sais pas ce que Badinter aurait pensé de « La Serpe », mais si je m’en tiens à sa définition, Jaenada, c’est un ténor du barreau ! Il construit sa démonstration avec brio, après avoir multiplié les hypothèses, examiné toutes les pistes, des plus farfelues aux plus sérieuses : « il faut (...) que je creuse tout, que je fouille, à la tamanoir ». Il fouille, il fouine, il fourgonne le passé, façon Columbo tournant inlassablement autour de sa proie. Jaenada retourne sur les lieux du crime, se rend à plusieurs reprises au cimetière d’Escoire, passe ses journées aux archives départementales… il épluche tout, examine tout, se rapproche autant qu’il le peut du mois d’octobre 1941, remet en question les conclusions de l’enquête. « Ce que j’aime bien, ce sont les petites choses, le rien du tout, les gestes anodins, les décalages infimes, les miettes, les piécettes, les gouttelettes – j’aime surtout ces petites choses parce qu’on a pris l’habitude, naturelle, de ne pas y prêter attention ; alors que les décalages infimes et les gouttelettes sont évidemment aussi importants que le reste. » En lisant « La Serpe », j’ai découvert un homme « féru d’ordre et de logique », passionné par son sujet, habité par son enquête, prêt à « plonger dans la mouise jusqu’à la fontanelle ». J’ai été impressionnée par l’agencement de son récit, par la progression implacable de sa démonstration. J’en ressors convaincue, avec l’impression d’une énigme résolue. CQFD. Chapeau bas, Monsieur Jaenada, quelle éloquence ! NB : Vous voyez la petite étincelle logée au fond de ma prunelle ?

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suzanneveutlire

5.00 sur 5 étoiles

• Il y a 5 mois

Par une soirée d'octobre 1941, George Girard, sa sœur Amélie et leur cuisinière Louise sont massacrés à coups de serpe dans leur château du Périgord. Toutes les issues étaient fermées, aucune effraction n'est constatée. Cette histoire inconcevable, c'est Manu qui la raconte à son pote Philippe Jaenada. Et pour cause : Henri Girard, seul survivant du massacre et héritier de la famille, était son grand-père. Tel Truman Capote quittant New-York pour enquêter et écrire le récit de l'assassinat d'une famille du Kansas en 1959, Philippe Jaenada rejoint le Périgord pour résoudre ce mystère que même Agatha Christie n'aurait osé imaginer. Avec la minutie et l'acharnement d'Hercule Poirot (un Hercule Poirot plein d'autodérision et ayant une passion pour whisky), il va détricoter les fils de cette affaire et tenter de réhabiliter Henri Girard, acquitté lors d'un procès retentissant mais qui restera au yeux de beaucoup le coupable idéal. Il faut dire qu'avec sa personnalité radicale, le jeune homme ne se crée pas que des amis: aventurier en Amérique du Sud, opposé à la colonisation, il sera de tous les combats politiques de la deuxième moitié du 20ème siècle et deviendra célèbre sous le pseudonyme de Georges Arnaud en écrivant le roman « Le salaire de la peur ». Les 600 pages de ce récit ultra dense défilent à toute vitesse grâce aux digressions hilarantes qui caractérisent le style de Philippe Jaenada. Avec une tendresse rare pour le genre humain, il s'impose avec ses derniers ouvrages comme un auteur-justicier qui rend hommage aux individus incompris dont les destins hors du communs restent à découvrir.

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Fiche technique du livre

  • Genres
    Romans , Roman Français
  • EAN
    9782260029397
  • Collection ou Série
  • Format
    Grand format
  • Nombre de pages
    648
  • Dimensions
    227 x 141 mm

L'auteur

Philippe Jaenada

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23,00 € Grand format 648 pages