La barbarie douce : Le livre de Jean-Pierre Le Goff

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La Découverte

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Depuis les années quatre-vingt, la " modernisation " est partout à l'ordre du jour. Mais au nom de la nécessaire adaptation aux " mutations du monde contemporain ", c'est bien souvent une véritable " barbarie douce " que cette modernisation aveugle installe au cœur des rapports sociaux.
Cette édition numérique reprend, à l'identique, la 2 e édition de 2003.

Depuis les années 1980, la " modernisation " est partout à l'ordre du jour. Mais au nom de la nécessaire adaptation aux " mutations du monde contemporain ", c'est bien souvent une véritable " barbarie douce " que cette modernisation aveugle installe au cœur des rapports sociaux. C'est ce que montre Jean-Pierre Le Goff dans ce livre, dans deux champs particulièrement concernés par le phénomène : l'entreprise et l'école. La barbarie douce s'y développe avec les meilleures intentions du monde, l'" autonomie " et la " transparence " sont ses thèmes de prédilection. Elle déstabilise individus et collectifs, provoque stress et angoisse, tandis que les thérapies en tout genre lui servent d'infirmerie sociale. L'auteur met à nu la stupéfiante rhétorique issue des milieux de la formation, du management et de la communication. Et explique comment elle dissout les réalités dans une " pensée chewing-gum " qui dit tout et son contraire, tandis que les individus sont sommés d'être autonomes et de se mobiliser en permanence. L'auteur montre que cette barbarie douce a partie liée avec le déploiement du libéralisme économique et avec la décomposition culturelle qui l'a rendue possible. Et il explore les pistes d'une reconstruction possible pour que la modernisation tant invoquée puisse enfin trouver un sens.
Cette édition numérique reprend, à l'identique, la 2e édition de 2003.

De (auteur) : Jean-Pierre Le Goff

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lrntv

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• Il y a 1 mois

Depuis les années 1980, la « modernisation » est devenue le mot d’ordre de toutes les réformes, aussi bien en entreprise qu’à l’école. Le sociologue Jean-Pierre Le Goff, dénonce dans La barbarie douce cette modernisation qui, sous couvert de progrès, impose insidieusement une nouvelle forme de violence : une « barbarie » feutrée, bienveillante en apparence, mais redoutable dans ses effets. En effet, au nom de l’autonomie, de la responsabilité et de la transparence, on produit du désarroi, du vide de sens et une déshumanisation rampante. Publié en 1999, le livre est vite devenu un ouvrage de référence pour comprendre le malaise contemporain dans les organisations, notamment celles censées former ou encadrer l’humain. Le Goff part d’un constat troublant : les discours managériaux, pédagogiques et communicationnels se sont emparés de tout. Loin d’être anodins, ils restructurent notre manière de penser, de travailler, d’apprendre. À travers une novlangue faite de « savoir-être », « compétences », « contrats d’objectifs » et autres « outils d’évaluation », une logique comportementaliste envahit les pratiques sociales. On ne parle plus du travail mais de la « gestion des ressources humaines », plus de formation mais d’« employabilité ». Derrière les bonnes intentions, c’est un pouvoir mou, déresponsabilisant et manipulateur qui se met en place. Le monde de l’entreprise est particulièrement visé. Le Goff décortique la rhétorique du management « participatif », censée donner la parole aux salariés mais qui, dans les faits, les isole, les surveille, les pousse à l’auto-culpabilisation. L’« autonomie » devient une injonction paradoxale : chacun doit se prendre en charge, mais dans un cadre rigide, opaque, souvent absurde. Le salarié devient ainsi le gestionnaire de sa propre servitude, sommé de s’adapter en permanence à des normes changeantes et floues. À l’école, cette barbarie douce se développe sous la forme d’une pédagogie « libératrice » qui, en voulant trop bien faire, finit par priver les enfants de repères structurants. Les contenus disparaissent au profit des méthodes, la culture au profit de l’outil, le savoir au profit du faire. L’enfant devient « acteur de son apprentissage », mais sans boussole claire. Le Goff souligne que ces logiques, en apparence bienveillantes, masquent une dissolution du lien éducatif et une infantilisation rampante. L’école, naguère lieu de transmission et d’émancipation, devient un lieu d’ajustement permanent à des normes instables. Là aussi, l'’évaluation des compétences, les pédagogies de contrat et la logique du projet désorientent élèves et enseignants. Derrière cette mutation, l’auteur identifie une origine culturelle majeure : le recyclage paradoxal des idéaux de Mai 68. L’appel à plus de liberté, à plus de participation, à la remise en cause des hiérarchies a été récupéré et instrumentalisé par le néo-management et la technocratie éducative, au profit du marché. Le résultat est une version édulcorée et bureaucratisée de l’émancipation, devenue elle-même un outil de contrôle. C’est là que réside l’ironie tragique de la « barbarie douce » : elle n’opprime pas frontalement, elle séduit, apaise, absorbe. Elle prétend libérer mais elle désarme. Le Goff se distingue des analyses purement économiques ou néo-marxistes : il ne réduit pas ce phénomène à une simple extension du néolibéralisme. Il insiste sur sa dimension culturelle, anthropologique même. La barbarie douce ne frappe pas directement, mais elle ronge les significations, les institutions, les mots. Elle détruit le tissu symbolique qui permet à une société de faire sens, d’agir, de débattre. C’est une déshumanisation inédite, non spectaculaire, mais tout aussi redoutable. L’auteur refuse néanmoins de faire du passé une idole - comme d’autres le font très facilement dès qu’il s’agit de l’enseignement. Il tente, malgré tout, d’esquisser une reconstruction : redonner une place à la culture, non comme supplément d’âme, mais comme socle de la vie en commun ; revaloriser le langage – pour dire les choses de façon claire et directe, sans novlangue managériale -, les héritages, les conflits réels contre l’illusion d’un monde fluide et pacifié par le contrat. Le Goff appelle ainsi à un réveil démocratique lucide, ancré dans l’expérience, nourri par l’histoire, et non dans l’idéologie de la modernisation pour la modernisation. C’est en redonnant sens aux mots, aux liens, aux institutions que l’on pourra peut-être sortir de cette situation selon l'auteur. On peut toutefois pointer certaines limites de l’analyse. Le diagnostic est percutant, mais les pistes proposées restent relativement générales. Le Goff identifie bien les symptômes et les origines culturelles du problème, mais sa critique peine parfois à toucher les leviers politiques concrets. Par ailleurs, le livre date de la fin des années 1990, et certains aspects de la critique gagneraient à être mis à jour à l’ère du numérique et du capitalisme de plateforme. Il n’en reste pas moins que La barbarie douce demeure un essai très intéressant, qui parlera à ceux qui sentent confusément que « quelque chose ne tourne pas rond » dans le monde du travail ou de l’éducation, sans pouvoir toujours mettre des mots dessus.

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Fiche technique du livre

  • Genres
    Classiques et Littérature , Essais
  • EAN
    9782707189769
  • Collection ou Série
  • Format
    Livre numérique
  • DRM
    Filigrame numérique

L'auteur

Jean-Pierre Le Goff

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6,99 € Numérique 144 pages