Le diable sur la montagne : Le livre de Thierry Lentz

"Quand j'entends du Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne" – Woody Allen. Comme il est devenu d'usage, même entre gens de bonne compagnie, de s'envoyer du « fasciste ! » à la figure, les uns les autres, avant de refermer une conversation complaisante et nuancée, j'ai pris ce Diable sur la montagne, manière d'ouvrir un dictionnaire pour revenir au sens des mots. Écrit par un Français (spécialiste de Napoléon) c'est affreux de le dire, mais ce livre est divertissant et m'a peut-être révélé davantage sur le mystère Hitler que les 2 tomes du recommandable et très sérieux Kershaw (lu il y a bien longtemps : raison sans doute de cette impression). Celui-ci, beaucoup plus ramassé (sujet oblige), découpé en courts chapitres allant de 1922 à 1944, est une radiographie du Führer selon la ligne de coupe de son lieu de villégiature préféré, le Berghof (même si, sa tanière finissant par attirer trop de curieux et saturée de dévots, Hitler en vint à rêver se dénicher une vallée plus paisible ailleurs, une fois la guerre finie). Ce lieu, se situe à l'extrême sud-est de l'Allemagne, un tout petit coin de territoire enclavé dans l'Autriche, l'endroit où l'ongle attaquerait pour décoller une étiquette… On y apprend la naissance du site, sa transformation, le déroulement d'une journée typique, ses événements majeurs, ses hauts (ajout du nid d'aigle) et ses bas (galeries souterraines pour s'abriter en cas de bombardements), sa fin ; on y croise beaucoup de protagonistes de la clique brune et cette réaction du dictateur qui, à elle seule, glace le sang pour de bon : agacé par Mme Schirach qui ose lui reprocher le mauvais traitement qu'on fait subir aux juifs d'Amsterdam, il la réprimande vertement avant de lui conseiller pour finir d' « apprendre à haïr »… Cette lecture fut aussi l'occasion de me remettre à l'esprit une citation du dramaturge nazi Hanns Johst : « quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver ». J'avoue me désintéresser du wokisme dans la mesure où je me tiens à distance du monde contemporain (du reste, on l'apprend vite à ses dépens : suivre l'actualité nuit gravement à la santé) mais je crois que la cancel culture pourrait bien en faire sa maxime, en attendant la prochaine Renaissance.

Le diable sur la montagne, c'est la vie intime et personnel d'Hitler au Berghof, mais aussi de tous les chefs nazi et les femmes de ceux-ci et de leur entourage. On y croise entre autres Eva Braun et sa sœur en tenue légère, des ministres qui se détestent cordialement (et leur épouses entres elles encore plus) mais qui font bonne figure, des actrices célèbres... Tout un monde venu faire sa "cour" au maître des lieux et de l'Europe. Mais le Berghof c’est à l'origine un petit chalet près de la ville de Berchtesgaden dans les montagnes bavaroises, dans lequel Hitler venait parfois se reposer, au calme. Un calme qui ne durera pas, car bientôt les principaux chefs nazi achètent des chalets (ou expulsent) pour se rapprocher de leur "Furheur", construisent des casernes, un théâtre, des garages, des services de communications, multiplient les postes de contrôles, percent des tunnels, creusent des abris souterrains, bref défigurent ce petit coin de paradis pour en faire le repaire du diable. Un récit très intéressant et plein d'anecdotes sur la vie privée de Hitler, de son entourage et de dirigeants étrangers en visites diplomatiques, qui mérite la lecture. Un gros 4/5