Main Street : Le livre de Sinclair Lewis
Gopher Prairie, Minnesota. Quelques milliers d'âmes, au cœur d'une vaste plaine agricole. Un microcosme engoncé dans ses coutumes et son esprit de clocher. Une ville avec sa gare, son église, ses boutiques, sa grand-rue. Et son médecin, Will Kennicott.
Une vie d'ennui et de frustrations que découvre Carol, sa jeune épouse, qui a grandi et étudié à Saint Paul, métropole ouverte aux idées neuves. Pétulante, intrépide, la jeune femme s'est promis de secouer les habitudes et d'embellir Gopher Prairie.
Mal lui en prend : une sourde hostilité répond à ses projets de réforme. L'arrivée en ville d'un jeune tailleur idéaliste, Erik Valborg, donnera-t-elle forme aux rêves d'émancipation de cette Emma Bovary du Middlewest ?
Avec cette fresque, Sinclair Lewis a voulu mettre en scène la " monotone tragédie de la lutte contre l'inertie " et le choc de deux Amériques, l'une provinciale et puritaine, l'autre urbaine et progressiste. Une satire sociale si mordante que le jury du prix Pulitzer, qui l'avait couronné, lui retira sa récompense au profit d'Edith Wharton.
De (auteur) : Sinclair Lewis
Traduit par : Suzanne Flour
Révisé par : Philippine Voltarino
Expérience de lecture
Avis Babelio
HenryWar
• Il y a 11 mois
Voilà un roman qui sut me réconcilier avec le roman, prouvant qu’on pouvait écrire un roman utile. Il faisait longtemps que je dénonçais l’artificialité et le divertissement du roman : je ne terminais plus un roman, ayant toujours compris avant la moitié du livre le systématisme malhonnête et futile présidant à sa conception – thèse grossière préalable, maniérisme ampoulé, simulacre de réalité, manipulation éhontée de personnages… Un roman est souvent une histoire faite pour distraire écrite par un professionnel fait pour amuser. Je n’ai pas le temps, moi, de lire comme les autres. J’étudie. Je me complète. Je m’améliore. Si je meurs demain, je ne serais pas comme des millions celui qui a passé son temps à végéter. On dira peut-être de moi : « Il manquait de légèreté », mais on pensera d’eux sans le moindre doute : « Encore un enfant qui est parti. » Je préfère être celui qui a « mis la vie à profit » que celui qui a « profité de la vie ». M’entendront ceux qui connaissent leurs proverbes – ils sont nombreux, ils en usent toute la journée. Lewis réalise ici un portrait de la vie provinciale américaine, à travers le regard de Carol Kennicott (sans doute un hommage à l’héroïne de Sister Carrie), jeune mariée à un médecin de campagne plus âgé, qui s’installe dans la vieille maison de son époux, sise dans une petite ville du Minnesota appelée Gopher Prairie. Elle aspire et tâche à y changer la laideur et la médiocrité foncières. Son enthousiasme frais, luttant contre la routine et les préjugés, malgré le bon accueil des habitants, est sans cesse déçu par l’esprit cancanier, bigot et petit d’une communauté qui, quoiqu’en apparente sympathie, ne peut s’empêcher de surveiller et de juger tout le monde sous l’égide de la majorité bien-pensante qu’il convient toujours de consulter en premier lieu. C’est cependant un récit qui s’efforce de ne rien exagérer, qui ne consiste pas en une de ces irrationnelles lassitudes où l’auteur déverse son lot de situations opportunistes à dessein de transmettre une opinion excessive en lui prêtant un aspect illusoire de démonstration virtuelle : il livre aussi, de manière qui peut sembler contradictoire, des pages de saisissements élogieuses sur la beauté de la nature américaine et sur une certaine forme de générosité humaine, et montre avec un réalisme mesuré, soigneux, perspicace, certaines causes rationnelles de la permanence rassurante qui inonde les mentalités et y constitue un étal bienfait. Par exemple, Will Kennicott, attaché à sa ville, ne se présente pas comme un méchant de pacotille ou la caricature stupide et ridicule à laquelle on s’attend s’agissant de l’époux engoncé en des plaisirs étroits, il apparaît en être compréhensif et concret, capable de sentir et d’expliquer le contraste entre son épouse perpétuellement insatisfaite et la vie simple, quoiqu’assez immobile, du voisinage qui s’inquiète d’être humilié par les prétentions de la nouvelle arrivante, comme on le perçoit finement dans l’extrait suivant : « Elle jeta les yeux sur les maisons, s’efforça de ne point voir ce qu’elle apercevait, se laissa aller à penser : « Pourquoi tous les romans mentent-ils autant ? Ils montrent toujours l’arrivée de la mariée dans son nouveau foyer comme un conte de fées. Sa foi ardente en son noble époux… Que de blagues sur le mariage ! Je ne suis pas changée. Et cette ville… Grand Dieu ! Je ne pourrai jamais m’y habituer… Tout ce tas de débris… » Son mari se pencha vers elle. — À quoi réfléchis-tu si sombrement ? Tu as peur ? Je ne m’attends pas à ce que Gopher Prairie te paraisse un paradis, après Saint Paul. Je ne m’attends pas à ce que tu en sois folle, au début. Mais tu finiras par l’aimer énormément… On vit si librement ici, et ces gens sont les meilleurs du monde. Elle murmura, tandis que Mrs Clark, délicatement, se détournait : — Je t’aime de me comprendre ainsi. Je ne suis que… Je suis terriblement sensible. Trop de littérature. Je manque d’épaules et de bon sens. Laisse-moi le temps, chéri… — Et comment ! Tout le temps que tu voudras ! Elle lui prit la main, en appuya le dos contre sa joue, se blottit contre lui. Elle était prête à affronter son nouveau foyer. » (pages 57-58) Une péripétie grave, pages 318 et 319, l’éprouvera brave et puissant, et une conversation dense, commencée page 622, montrera combien il est conscient des réalités que Carol traverse ainsi que de ses désillusions, au point presque de la convertir. Il est admirable autant que petit. Il bénéficie d’un caractère équilibré, j’entends qu’un auteur ne s’est pas contenté de lui donner un alignement moral orienté suivant un faible nombre de préceptes. En somme, il est américain, il n’est pas romanesque. Je fais ici une digression dans une partie qu’on pourrait appeler « Yates from Lewis » et dont j’invite le lecteur à passer le paragraphe s’il ne tient qu’au commentaire du roman. Il y a plus de dix ans, j’eus la curiosité de lire Revolutionary Road (je ne me rappelle plus si c’était après avoir vu l’excellent film de Mendes, je crois qu’oui, c’était en tous cas avant l’époque où je me mis à rendre systématiquement des critiques écrites), et je jugeai le livre si pertinent que je m’empressai d’aller à un autre Yates. Le premier qui me vint fut Easter Parade, tiré au hasard dans une liste, comme je fais souvent. Or, ce livre me consterna d’insignifiance : je n’ai même plus une idée de ce dont il s’agit, mais je me souviens de mon embarras et de mon impression d’impossibilité paradoxale, après le précédent livre. Je songeais peu à peu, en lisant, puisqu’en tant que jeune écrivain je me préoccupais de théories sur l’écriture : « Mais comment l’auteur capable d’un roman aussi bon peut-il en avoir écrit un autre aussi inutile ? » Cette question, qui resta longtemps sans réponse et me laissa un trouble – je n’entendais pas si bien qu’aujourd’hui la brutale déchéance de volonté et de style qui peut survenir chez un auteur en moins de quinze ans, sauf alcoolisme ou démence –, trouve aujourd’hui sa réponse : Revolutionary Road est une reprise dissimulée de Main Street qu’il n’a fallu qu’adapter et réduire. Je ne doute plus guère de l’influence, je ne suis pas allé chercher des déclarations pour la soutenir, mais la philologie seule permet de la déduire avec assez de fiabilité : Yates, non sans méthode, a extrait divers ingrédients de ce roman, les a compilés en une intrigue qui n’est que relativement différente mais essentiellement semblable, il a comme réutilisé tous les éléments secondaires seulement mentionnés dans Main Street – la pièce de théâtre manquée, les chambres séparées, la mention du voyage à Paris, le caractère conservateur de Mrs Bogart qui devient une agente immobilière chez Yates, les soirées embarrassés entre voisins, l’insatisfaction féminine lié à l’enfermement, la manière de faire suivre ou de précéder l’adultère du mari de la vision d’une famille aimante, l’accusation faite à Carol d’être « sans cœur », jusqu’à la place étrangement stéréotypée des enfants… – et il s’en est servi, à partir du succès de Main Street, pour bâtir une intrigue qui, à force de similitudes, se constitue comme alter ego systématique à celle de Lewis. Ceci explique l’inaptitude de Yates à réaliser une œuvre par lui-même, en dépit de l’invraisemblance d’un tel échec c’est-à-dire malgré l’incroyable inconstance après un succès solide comme Revolutionary Road. C’est démontrer qu’il y a un truc, une astuce, une tricherie, derrière toute œuvre de belle qualité qui ne se renouvelle pas. L’esprit humain relève toujours d’une certaine cohérence, le talent ne s’effondre pas d’un coup, et, à moins de quelque accident d’ordre psychiatrique (ce qui semble arrivé pour Lewis si l’on s’en tient à sa biographie), il n’est guère enclin à changer radicalement, fût-ce en une quinzaine d’années. Fin de la digression. On trouve dans ce roman nombre de petites piques ponctuelles et pointues contre telle ou telle hypocrisie, comme : « Les jeunes filles qui savaient qu’elles allaient se marier feignaient de considérer des offres de situation importante dans les affaires ; celles qui n’ignoraient pas qu’elles devraient travailler humblement ne cessaient de faire allusion à des prétendants fabuleux. » (page 17) « Elle songeait qu’il n’était qu’un rustre, qu’elle le haïssait, qu’elle avait été idiote de l’épouser, qu’elle l’avait fait uniquement parce qu’elle en avait assez de travailler, qu’elle devait penser à faire nettoyer ses gants longs, qu’elle ne ferait plus jamais rien pour lui et qu’il ne fallait pas oublier de lui préparer sa bouillie de maïs pour le petit-déjeuner. » (pages 284-285) « Comme ils allaient compenser leur manque de courage à faire le mal en l’imaginant chez d’autres ! » (page 602) « Elle se répétait mille paroles émouvantes qu’il lui aurait dites s’il en avait eu l’occasion ; à cause d’elles, elle l’admirait, l’aimait. » (page 615) « Il insista pour aller voir les Luke Dawson dans leur ravissant bungalow de Pasadena, où Luke passait son temps à ne rien faire qu’à bâiller en songeant au retour pour gagner encore un peu plus d’argent. » (page 638) … et des diatribes relevées, aiguës et dures contre l’essentiel de la vie américaine, parmi lesquelles : « Quel sera son avenir ? se demandait Carol. Un futur de villes et d’usines fumantes qui s’élèveront sur les vallons des champs déserts ? Des maisons à l’abri du mauvais sort ? Ou de placides châteaux entourés de tristes cabanes ? Une jeunesse libre de savoir et de rire ? La volonté de passer au crible les mensonges sacro-saints ? Ou des femmes replètes au visage enduit de crème, maquillées de graisse et de craie, superbement vêtues de dépouilles animales et des plumes ensanglantées d’oiseaux sacrifiés, jouant au bridge avec leurs doigts boudinés par les bagues, les ongles peints de rose, ces femmes qui après des soins titanesques et beaucoup de colères continuent à ressembler à leurs pékinois flatulents ? » (page 51) « Ils étaient allés au « cinéma ». Le « cinéma » était aussi indispensable à Kennicott et aux autres braves citoyens de Gopher Prairie que la spéculation foncière, les fusils et les automobiles. Le grand film mettait en scène un courageux Yankee qui conquérait une république de l’Amérique du Sud. Il détournait les indigènes de leurs habitudes barbares de chanter et de rire pour leur inculquer la vigoureuse et saine raison du Nord ; il leur apprenait à travailler dans les usines, à porter des vêtements de confection et à hurler des chants idiots. Il changeait la nature elle-même. Une montagne qui n’avait jamais supporté que des lys, des cèdres et de lourds nuages fut tellement découragée devant cet envahissement qu’elle se laissa convertir en longs baraquements de bois et en tas de minerai de fer destiné à être converti en paquebots pour transporter le minerai de fer qui lui-même serait transformé en paquebots pour transporter le minerai de fer. » (pages 325-326) « Un peuple sans goût, avalant des mets sans saveur pour s’asseoir ensuite dans des rocking-chairs, sans veston et sans pensée, hérissé de décoration, stupide, intérieurement satisfait, écoutant de la musique mécanique, prononçant des paroles mécaniques sur l’excellence des automobiles Ford et se considérant comme la race la plus puissante au monde. » (page 424) « Elle avait cherché la précision dans son analyse de la laideur superficielle des Gopher Prairie. Elle affirmait que c’était une question de similitude universelle ; de pauvreté de la construction, de telle sorte que les villes ressemblent à des campements de pionniers ; de dédain des avantages naturels, de telle sorte que les collines restent envahies par les broussailles, les lacs isolés, les voies de chemin de fer et les rivières bordées de terrains marécageux ; d’une sobriété de couleur déprimante, de régularité des bâtiments, de rues trop larges et trop droites se coupant à angle droit, où l’on ne peut échapper ni aux ouragans ni au spectacle du maussade horizon où aucun tournant ne distrait le promeneur, où la largeur qui, pour une avenue bordée de palais, serait majestueuse, ne fait que montrer plus misérables encore les lépreuses boutiques rampant le long de la typique Grand-Rue. La similitude universelle, c’est l’expression physique d’une philosophie de sécurité morose. Les neuf dixièmes des villes américaines sont si ressemblantes que l’on éprouve l’ennui le plus profond à aller de l’une à l’autre. Toujours, à l’ouest de Pittsburgh, et souvent à l’est, on trouve le même chantier de bois de construction, la même gare, le même garage pour les Ford, les mêmes laiteries, les mêmes maisons semblables à des boîtes et les mêmes boutiques à deux étages. Les nouvelles maisons, plus prétentieuses, sont semblables dans leur effort pour créer de la diversité : mêmes bungalows, mêmes cubes en stuc et en briques coloriées. Les magasins annoncent tous les mêmes marchandises standardisées et nationales, les journaux de contrées séparées par trois mille kilomètres présentent le même aspect « syndical » ; l’adolescent de l’Arkansas exhibe le même complet flamboyant dont se pare l’adolescent du Delaware, tous deux emploient les mêmes termes d’argot qu’ils ont tiré du même journal de sport, et si l’un des deux est un universitaire et l’autre un coiffeur, personne ne saurait les différencier. Si Kennicott était enlevé subitement de Gopher Prairie et transporté dans une ville à plusieurs lieues de là, il ne s’en rendrait pas compte. Il lui semblerait descendre la même Grand-Rue (qui presque certainement se nommerait Grand-Rue). » (pages 428-429) « — Je ne veux pas insister, mais vous le voyez par vous-même maintenant : tout ceci résulte de ce que vous êtes si peu satisfaite et que vous n’appréciez pas les chers amis d’ici ! Encore autre chose ! Les gens comme vous et moi qui désirons réformer certaines institutions, doivent faire particulièrement attention aux apparences. Pensez combien vous pourrez mieux critiquer les coutumes établies, si vous vivez selon ces mêmes coutumes, scrupuleusement. Alors les gens ne pourront pas dire que vous les attaquez pour excuser vos propres infractions. Carol s’illumina d’une soudaine compréhension hautement philosophique, entrevit l’explication de toutes les demi-réformes de l’Histoire. — Oui, j’ai déjà entendu cette supplique. C’est un bon prétexte. Il écarte les révoltes qui, peu à peu, s’éteignent. Il ramène les égarés dans le troupeau. En d’autres mots : il faut que vous viviez selon le code établi, si vous croyez en ce code ; mais si vous n’y croyez pas, il faut que vous viviez davantage encore selon ce code ! » (page 590) …mais bien souvent, la psychologie, sensible, poétique, impitoyable, y est plus subtile et réaliste encore, froide et objective, sincère et tendre, en tous cas exacte, comme dans : « Une brise, qui venait de parcourir des milliers de kilomètres de champs de blé, gonflait sa robe de taffetas en des lignes si gracieuses, si remplies de vivante et de mouvante beauté que le cœur d’un passant occasionnel sur la route en contrebas s’emplit d’un regret ardent à contempler cet appel palpitant à la liberté. » (page 13) « Ils ont la bouche sèche, ils sont ankylosés, les lignes de leurs mains sont comblées de poussière grasse ; ils dorment repliés en des attitudes impossibles, la tête contre les vitres ou appuyée sur un pardessus enroulé et posé contre le bras de leur siège, jambes allongées sur les bas-côtés. Ils ne lisent pas ; selon toute apparence, ils ne pensent pas. Ils attendent. » (page 44) « La réverbération de la neige l’éblouissait si fort qu’en arrivant à la maison, la poignée de la porte, le journal sur la table et chaque surface blanche lui apparurent d’un mauve éclatant. Elle se sentit prise de vertiges dans cet étincellement violemment coloré. Quand ses yeux se furent habitués à cette clarté, elle s’épanouit, enivrée de santé, maîtresse de la vie. » (page 146) « Elle s’enfonça dans son fauteuil, effarée. Dans leur actuelle habitation, on trouvait d’amusants détails : une marche entre l’antichambre et la salle à manger, un certain pittoresque dans le hangar et des buissons de lilas échevelé. Mais la nouvelle maison serait régulière, ordonnée et standardisée. Il était probable, maintenant que Kennicott avait dépassé la quarantaine et était installé que ce serait la dernière tentative qu’il ferait jamais pour bâtir. Tant qu’elle resterait dans l’abri actuel, elle aurait toujours la perspective de changer, mais une fois dans la nouvelle maison, elle y serait installée pour le reste de sa vie. C’est là qu’elle mourrait. Avec désespoir, elle désirait reculer ce moment le plus possible, ne comptant sur aucun miracle. Les rideaux de fer brevetés pour le garage lui faisaient l’effet d’une prison. Jamais, de son plein gré, elle ne revint sur ce sujet. Kennicott s’arrêta de dessiner des plans et en dix jours la nouvelle maison fut oubliée. » (pages 472-473) Ainsi, le livre relate, sans excès et avec un pittoresque touchant, les petitesses banales qui constituent le monde contemporain, cet état de proverbe continuel, de satisfaction jalouse, d’envies mesquines liées à une mentalité de grand confort, où les préoccupations des gens, loin d’atteindre à des considérations éthiques individuelles, s’orientent vers des valeurs unanimes et mondaines, s’influencent et s’incitent à la normalité bienséante, où une négligence de l’effort conséquent supplante le désir d’effets interdits. Et tout ceci est traduit en observations justes et inattendues, dans un esprit et une langue véraces où le lecteur quête toujours des vérités neuves ou nouvellement exprimées. L’intrigue fictive, enfin, compte autant que la soif de comprendre la réalité. Et la réalité sociale, c’est qu’une prohibition tacite règne par désir de demeurer bon, la stagnation morale naît de l’acceptation des règles, du souhait de s’intégrer, de la convention des lois tacites, et l’on comprend que le changement est condamné à ne se produire qu’avec infimité d’une génération à l’autre, par lente relégation vers la mort des anciens dont l’arbitraire impose, tandis que la jeunesse, située entre un certain respect et le goût de l’émancipation, à la fois conserve et transgresse, comme naturellement et sans audace marquée, l’étiquette sociale. Les révolutions n’adviennent jamais, seules des évolutions, provenant de frustrations subies et allant vers de prudents dégagements, non seulement peuvent mais doivent avoir lieu, les bonnes et les mauvaises évolutions, si bien que l’histoire de Carol, toute sa passion et ses déchirements de volonté, est un débattement relativement vain, faute de compréhension de ce mouvement de concaténation immuable du passé vers l’avenir : Mrs Kennicott ne fait qu’introduire des germes dont elle ne verra pas la récolte, en instillant son originalité, quelques robes plus osées, quelques vivacités plus drôles, quelques suggestions sitôt censurées, qui, par imprégnation, ne porteront leurs réalisations que des décennies plus tard à force de contentions dont la jeunesse n’entendra plus les causes. On ne se révolte pas, exprime intelligemment Lewis, on ne brise rien, on ne fait qu’abandonner les usages devenus insensés, on oublie les contraintes pénibles qui dépérissent d’elles-mêmes faute de quelqu’un pour les entretenir. Une fatalité, mais logique, non une thèse, justifie le roman : l’Amérique deviendra, quoi qu’il arrive, et elle deviendra par l’inertie de ce qui doit advenir à mesure que les siècles annuleront les scories de ce dont les Américains ne se servent plus – rien de plus héroïque que cela. Voilà pourquoi œuvrer est presque inutile, il ne sert quasiment à rien d’être actif. Cela viendra, il suffit que les peuples pensent à autre chose, que le confort les mène vers une mutation lente de leur style de vie. Ils ne font que ce qui est facile ! ils tendent à la facilité ! leurs penchants ne sont pas moraux, ils sont faciles. Ils croiront que ce qui est a toujours été, c’est ce qui l’em
AnitaMillot
• Il y a 2 ans
Carol Milford a perdu ses parents alors qu’elle sortait de l’enfance et a été élevée par sa soeur aînée (dûment mariée). Alors qu’elle termine ses études au collège Blodgett de Saint-Paul (Mississippi) elle se laisse aller à imaginer ce que sera sa vie d’adulte … Se rêvant bâtisseuse de villes, Carol devra se contenter d’une place de bibliothécaire dans un premier temps. Jusqu’à sa rencontre avec le Docteur Will Kennicott (de Gropher Prairie, Minnesota) nettement plus âgée qu’elle … Se laissant influencer par le médecin on ne peut plus « persuasif », Carol va l’épouser et s’installer avec lui à Gropher Prairie (petite bourgade falote, qu’elle va immédiatement exécrer …) Sinclair Lewis (1885-1951) nous relate l’histoire d’une jeune épouse, déchirée entre son ambitieux désir d’une vie (privée et professionnelle) trépidante et une indéfectible loyauté qu’elle veut impérativement conserver à l’égard d’un homme qu’elle a cru aimer. Un homme prêt à lui pardonner toutes ses incartades (même une infidélité, si nécessaire ! …) Un mari qu’elle aurait souhaité un peu plus raffiné et attentionné … Carol, partie pour un temps à Washington (s’estimant trop incomprise, voire ridiculisée, et mourant d’ennui …) finira par céder aux vives instances de ce dernier : elle reviendra vivre auprès du Dr Will Kennicott, enceinte de son deuxième enfant. Une intrigue qui se déroule au début du XXème siècle, apparemment après la première guerre mondiale (ce roman fut édité aux États-Unis en 1920) et qui pointe le doigt sur l’immense difficulté d’intégration de sa jeune héroïne, au sein d’une communauté peu encline à se transformer pour les « beaux yeux » de la nouvelle venue … Ici, point de mystère ni rebondissement : le récit est d’une « langueur monotone », à l’image de la vie qui s’écoule lentement à Gropher Prairie … Toutefois l’écriture est belle et je me suis laissée doucement séduire par l’étude plutôt fine des (nombreux) personnages de ce roman et par la pertinence d’analyse de l’auteur !
xalatan
• Il y a 3 ans
"Main Street" est un roman écrit en 1920 par Sinclair Lewis, prix Nobel de Littérature 1930. "Main Street" est un roman classique, qui date bien sûr un peu, mais plaisant à lire. Sinclair Lewis y fait une description mordante de la vie dans les petites villes américaines du début du 20è siècle. Son héroïne, Carol, une citadine érudite a épousé le docteur Kennicott de Gopher Prairie, une petite ville du Minnesota. La jeune femme n'accepte pas la laideur de Gopher Prairie et l'étroitesse d'esprit de ses habitants. Elle décide d'y remédier par toute sorte de moyens, mais souffrira énormément des médisances qui circuleront à son sujet. Ses espoirs d'améliorations tourneront malheureusement à rien, tandis que ses sentiments vis-à-vis de son mari se refroidiront progressivement. Ils se sépareront quelque temps, pour mieux se retrouver à la fin du roman. A travers les déboires de Carol, Sinclair Lewis dénonce avec un certain humour la mesquinerie, l'hypocrisie et la bien-pensance des habitants de Gopher Prairie. Il ne force pas le trait, tout est crédible. Particulièrement amusantes sont les tentatives de Carol de faire partie des différents groupes et comités féminins existant en ville (comme les joueuses de Bridge ou le groupe "de lecture") ; elle va même les convaincre de monter une pièce de théâtre…qui sera un fiasco total. Deux épisodes, plus cruels, nous montrent la bonne société de Gopher Prairie rejetant des personnes innocentes hors de leur ville, à la grande détresse de Carol qui les soutenait.
Woland
• Il y a 17 ans
Main Street
(Parfois traduit sous le titre français de "Grand-Rue")
Traduction : Lucienne Escoube
L'action de ce pavé de plus de 500 pages - en tout petits caractères - dans une vieille édition Marabout se déroule avant et un peu après la Première guerre mondiale, dans une petite ville du Minnesota appelée Gopher Prairie et où l'on peut penser que Sinclair Lewis a mis beaucoup de son Sauk Centre natal.
Pour ses habitants et pour le Dr William Kennicott lorsqu'il la décrit à Carol Milford, qu'il a rencontrée à Saint-Paul, en Illinois, et qu'il rêve d'épouser, Gopher Prairie est la plus belle des villes de l'Amérique profonde. Une ville large, profonde, gaiement colorée, soigneusement entretenue, et peuplée d'un petit monde sémillant, cultivé et chaleureux.
Et lorsque Carol, devenue Mrs Kennicott, débarque effectivement à Gopher Prairie après leur voyage de noces dans le Colorado, elle s'efforce de voir la ville telle que son mari la lui a présentée - et telle que, assurément, il la voit, lui.
Mais Carol est une anti-conformiste-née, une utopiste aussi, qui s'imagine que de bonnes intentions, des idées neuves, un peu de jeunesse et une immense bonne volonté viendront à bout des a priori, des frilosités et de la paresse de cette petite bourgade où les trottoirs qui remontent la "grand-rue" sont encore en bois, comme au temps des pionniers. Prête à aimer Gopher Prairie malgré sa laideur, prête aussi à sympathiser sincèrement avec ses habitants, elle s'apercevra très vite que tout cela est plus difficile que prévu, que les bonnes intentions des uns ne suffisent pas quand elles se heurtent au conformisme et à la bien-pensance.
Sur un ton pince-sans-rire qui permet au lecteur de prendre tout le recul nécessaire - parfois trop, peut-être - Sinclair Lewis dresse ici le portrait d'une société américaine rigoriste et coincée. Il y est né, il y a vécu, alors, forcément, quelque part, il y est attaché. Mais n'y a-t-il pas un proverbe qui dit : "Qui aime bien châtie bien" ?
Sont ici mis au pilori l'étonnant rapport à l'argent et à la réussite sociale qu'entretenaient déjà les Américains de l'époque, la vénération pour une seule bible et une seule église, la peur et le mépris envers le vieux continent d'où les pionniers étaient pourtant issus, l'empire terrible du "qu'en-dira-t-on" (non spécifique, celui-là, il est vrai, des petites villes américaines) et une vision machiste et patriarcale du monde à laquelle, finalement bien qu'à contre-coeur, se soumettra Carol.
On remarquera que, dès le départ, Lewis pose comme principe que le sexe de Carol lui est une charge supplémentaire dans la lutte qu'elle entend mener.
Enfin, un point très important - et qui étonnera sans doute : pour quiconque s'intéresse un tant soit peu aux écrivains américains traitant de problèmes exclusivement américains, il est tentant d'établir une filiation entre l'oeuvre de Sinclair Lewis et celle, par exemple, d'un Tom Wolfe dans "Le Bûcher des Vanités" ou d'un Brett Easton Ellis avec "American Psycho." Car c'est bien dans les micro-sociétés tranquilles et conservatrices du type Gopher Prairie (ou de Zénith, que l'on découvrira dans "Babbitt"), adoratrices du Profit à Tous Prix, que prennent racine les délires et les enfers d'un Sherman Mc Coy et d'un Patrick Bateman. ;o)
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Classiques et Littérature , Littérature Classique
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- EAN
- 9791039201957
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- Collection ou Série
- classique et littérature
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- Format
- Livre numérique
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- DRM
- Filigrame numérique
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