Ebene : Le livre de Ryszard Kapuscinski

Les sociétés sont plurielles, l'histoire est complexe, et c'est ce que révèlent poétiquement les anecdotes livrées par ce journaliste-correspondant polonais, têtu et intrépide. Bravant les préjugés européens, il tisse de curieux liens avec les personnes de différents peuples d'Afrique croisant son chemin au gré de l'actualité politique, où de frontières en frontières naissent et meurent les conflits sous un souffle d'indépendance.

Il est difficile de rester insensible à la lecture d'"Ebène", le roman de Ryszard Kapu#347;ci#324;ski. Le 4ème de couverture annonce que la passion de l'Afrique n'a plus jamais quitté l'auteur après son expédition dans ces contrées lointaines. Comme on le comprend ! Rien qu'à la lecture du roman, on a envie de découvrir ce magnifique pays. Attention, nous sommes très loin du "guide vert", ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit. Au contraire, l'auteur retrace divers conflits, de multiples coups d'état, des situations sociopolitiques extrêmement complexes et des conditions de vie qui dépassent ce que nous pouvons imaginer, nous, occidentaux. Néanmoins, c'est ce qui fait la richesse de ce livre. On découvre la beauté, les divers attraits de ces différents pays qui, tous, ont une identité propre. On découvre également comment l'Occident a dépouillé l'Afrique. Les dégâts, les pillages, les enjeux, la façon dont nous avons colonisé ce territoire sans tenir compte des cultures, des richesses, de la beauté de celui-ci. Le livre se lit comme un roman. La plume de l'auteur est une merveille.

Ryszard Kapu#347;ci#324;ski fut correspondant en Afrique pour l’agence de presse polonaise 40 ans durant. Arrivé en 1958, il découvre les premières indépendances, les premiers espoirs de liberté, puis au fil des années l’essor des dictateurs, des déconvenues et de la corruption. Mais également un climat (d’autant plus difficile à supporter quand on vient de la glaciale Pologne) et surtout une population. Car avant d’être un livre de géopolitique, il s’agit avant tout du récit d’un homme qui va tomber amoureux d’un continent, de ses populations et comprendre au fil des années toutes la complexité de ces mondes. Car l’Afrique (ici d’ailleurs, il s’agit avant tout de l’Afrique noire) est composé de plus de mille peuples, chacun avec sa langue, sa culture et sa façon de vivre. Un monde loin de la façon d’être occidentale (communiste ou non, d’ailleurs), mais qui a souffert au fil des années du colonialisme, de ses indépendances et du néocolonialisme tout aussi ravageur. Dans des chapitres non dénués d’humour, l’auteur raconte comment il a souvent flirté avec la mort (au milieu d’un troupeau d’éléphant ou face à des moustiques porteurs de malaria) et parfois vécu des moments ou des rencontres magiques (la découverte des églises de Lalibela). Sans cacher les terribles moments d’un continent (le nettoyage ethnique au Rwanda, expliqué de façon très claire en quelques pages) ou la difficulté/impossibilité de certains peuples d’entrer dans une modernité imposée, Kapu#347;ci#324;ski nous offre sa vision profondément humaniste de l’Afrique, et même si les récits datent de la fin du XXe, le livre n’en reste pas moins d’actualité.

Sous titré « Aventures africaines », ce livre du journaliste et écrivain polonais Ryszard Kapuscinski retrace sa découverte de l’Afrique de 1957 ( date de son premier voyage sur ce continent ) aux années 1990 et c’est passionnant ! C’est d’une part un livre d’histoire qui rappelle, au fil des pays traversés, les grandes étapes de la « construction » européenne et artificielle des pays africains, de leur combat pour l’indépendance, des dérives de leurs gouvernements, des rivalités ancestrales ou néocolonialistes qui les opposent, des multiples coups d’état qui jalonnent leur histoire. Mais c’est surtout une immersion dans la réalité quotidienne et la diversité des peuples qui composent le continent africain, l’auteur ayant choisi de le découvrir au plus près des populations, partageant leur vie : « Ce n’est donc pas un livre sur l’Afrique, mais sur quelques hommes de là-bas, sur mes rencontres avec eux, sur le temps que nous avons passé ensemble. », écrit -il en introduction. Nous voyageons avec Kapuscinski d’un pays à l’autre, d’un peuple à l’autre, découvrant avec lui des paysages , des couleurs, des odeurs, des sensations, partageant des repas , des moments de solitude ou de peur aussi. Le récit est toujours empathique, sincère, dépourvu du sentiment de supériorité qui peut entacher certains récits de journalistes occidentaux. Kapuscinski est à l’écoute, on sent qu’il aime ce continent et ses populations : «  Leur vie est une peine, un tourment qu’ils supportent avec une endurance et une sérénité stupéfiante. » J’ai appris plein de choses avec ce livre (en témoigne la multitude de petits papiers qui marquent les pages ! ) et vécu de belles ou terribles rencontres. Mon seul regret est de ne pouvoir poursuivre le voyage jusqu’à nos années 2020…