Jusqu'à la chute - Mémoires du majordome d'Hitler : Le livre de Heinz Linge

Intéressant pour celui qui s’intéresse à l’agonie du système nazi. On apprend beaucoup de choses de la part du majordome de Hitler (notamment la fin de Bormann, sujet qui suscite encore débat de nos jours)…témoignage de premier ordre aussi, concernant la vie quotidienne mais aussi la politique et la guerre. Document exceptionnel pour tous les férus d’histoire.

Voilà donc un autre témoignage venu de l’entourage proche du Führer. Ils sont nombreux à avoir évoqué les différentes facettes du plus célèbre personnage du vingtième siècle : chauffeur, cuisinière avec ou sans moustache, maquilleuse... Ici, l’intérêt vient de la personnalité et de la situation du narrateur : c’est un SS Obersturmbannführer (lieutenant-colonel) engagé dans la SS dès 1933 Ancien maçon, il rejoint la célèbre première division SS « Leibstandarte Adolf Hitler » et c’est Sepp Dietrich lui-même qui le destine avec une centaine de promouvables à la fonction de garde du corps d’Hitler. Il en deviendra le majordome personnel, l’officier d’ordonnance. L’intérêt de cette biographie est son décalage par rapport à un livre d’histoire pur. Il ne faut jamais perdre de vue le fameux « qui parle ? » et son corollaire « D’où parle-t-il ? ». La réponse tient en ces deux aspects : du camp des dominants et du camp des vaincus. Du camp de ceux qui fabriquent la guerre et l’histoire et du camp de ceux qui la subissent. Le premier aspect est bien plus présent que le second. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet mais ce qui m’a paru intéressant par rapport à d’autres récits de cette période est la relative sérénité de la narration. On assiste tranquillement à la vie domestique du Führer, ses repas, ses réveils. C’était un être humain, nous le savions mais il représente dans l’histoire la figure du monstre. A tel point que, depuis lors, pour qualifier nos ennemis, c’est le fameux point Godwin. M. Saddam Hussein était comparé à Hitler. M. Milosevic aussi. M. Kadhafi. M. Poutine plus récemment. Pour d’autres, bien évidemment, c’est tabou et jamais pertinent… Aussi est-ce un enseignement intéressant de s’apercevoir, au détour de ce genre de récits, que la monstruosité des idées côtoie la bonne conscience et la satisfaction du devoir accompli. La fameuse banalité du mal d’Hannah Arendt. Ce Linge est un parfait exécutant, d’une morale exemplaire lorsqu’il s’agit de protéger, de conseiller, de prendre soin de son chef. Du moins est-ce l’impression que nous en avons à la lecture de cette biographie. On devine entre les lignes une fascination restée intacte même après son incarcération en union soviétique et sa libération. On peut avancer que, quoi qu’il se soit passé, il continue à aimer et respecter Hitler. Ses difficultés visuelles, son régime, sa descente aux enfers physique, se traduisant notamment par des problèmes de tremblements, liés à ses soucis de chef de guerre nous en brossent un portrait presque triste. De même, il insiste bien sur les erreurs d’autres biographes présentant Hitler comme peu cultivé. Ce dernier inspirait le respect, et dans le cas de cet auteur, l’inspire encore au moment de l’écriture de ce livre. Certains s’étonneront qu’ayant connaissance de ce qui se tramait à l’Est, dans les camps de concentration puis d’extermination, cette attitude d’obéissance feutrée, de facilitation de la vie quotidienne du Führer est difficile à concevoir sans une adhésion pleine et entière aux thèses suprémacistes du troisième Reich. Malgré cette proximité de tous les instants, il prétend ne pas avoir, à l’instar de la majorité des allemands, en avoir perçu la monstrueuse réalité avant la fin de la guerre. Au moment où il écrit cette biographie, dans les années quatre-vingt ; on pouvait être sceptique. Mais aujourd’hui, en 2025, on sait que cela n’a pas d’importance, et que même en connaissance de cause, même avec des preuves et des images, on accepte l’innommable sans sourciller. L’humanité est sourde et aveugle par volonté. Le savoir n’y change rien. La mémoire est un leurre. C’est l’intérêt de lire aujourd’hui ce livre, puisque nous n’avons plus notre bonne conscience rétrospective tellement facile à opposer aux acteurs de l’époque.