Interview
Comment bien vivre son retour de congé maternité ?
Publié le 24/04/2025 , par Solar

Isma Lassouani et Clémence Pagnon, autrices de Le 5e trimestre - Bien vivre son retour de congé maternité, ont répondu à quelques questions pour nous éclairer sur cette période souvent négligée mais cruciale dans la vie professionnelle et personnelle des jeunes mères.
Qu’est-ce qui vous a poussées à écrire ce guide et pourquoi ce sujet est-il si peu traité ?
Nous sommes les deux cofondatrices d’Issence, une agence qui accompagne depuis cinq ans des femmes dans leur retour au travail après un congé maternité.
Dans nos ateliers, nous avons entendu leurs doutes, leurs difficultés et leurs astuces autour de la reprise. On a donc construit avec elles – et pour elles – des outils concrets pour les aider à retrouver leur place, se sentir légitimes, et créer un nouvel équilibre.
Avec ce livre, on a voulu les rendre disponibles pour toutes. Offrir des clés, des repères, des paroles rassurantes. Parce qu’on sait que la grande majorité des mères ne reçoivent aucun soutien à ce moment-là.
Ce sujet est encore trop peu traité, car il se trouve à la croisée de plusieurs angles morts :
- la maternité, perçue comme intime ;
- le monde du travail, pensé pour des trajectoires sans enfants, souvent masculines ;
- et les inégalités de genre, encore trop banalisées ou acceptées comme “normales”.
Le retour de congé maternité est vu comme un simple retour à la normale. Mais pour les femmes, c’est souvent un moment vécu dans l’ombre, dans l’urgence et dans la solitude. On ne se sent pas légitime d’en parler. On culpabilise de galérer. On croit que le problème vient de soi. Et surtout, on n’a pas le temps de s’arrêter : la charge est immense, à la maison comme au bureau.
En 2021, on a mené une grande enquête sur le retour de congé maternité. On nous a confié une attente immense et une souffrance profonde du fait de ce silence. C’est pour cela que nous avons voulu nommer cette période. Lui donner une place. D’où le 5e trimestre.
Et si on en parle si peu, c’est aussi parce qu’il s’inscrit dans la logique taboue des autres étapes de la maternité :
- La grossesse censée être une bulle heureuse
- Le post-partum comme une rencontre naturelle et instinctive avec bébé.
- La reprise du travail comme un simple retour à la normale ou on ferme la parenthèse de la maternité
Heureusement, la parole se libère peu à peu sur la grossesse et le post-partum. Mais elle s’interrompt souvent aux portes du bureau, comme si l’intime devait rester dehors. Nous, on pense exactement l’inverse. Il faut continuer à parler et nommer cette réalité car c’est déjà soutenir les femmes. Et qu’une femme préparée, déculpabilisée et entourée, c’est une femme plus libre dans ses choix – au travail comme à la maison.
Quelles sont les difficultés les plus fréquentes que rencontrent les jeunes mamans lors de la reprise ?
La reprise après un congé maternité est souvent une période de turbulences intenses.
Les femmes doivent redevenir opérationnelles très vite, dans un corps encore fatigué, une tête surchargée, et un quotidien totalement réorganisé.
Ces bouleversements touchent quatre dimensions en même temps :
Professionnelle : Il faut retrouver sa place, parfois refaire ses preuves… tout en ayant des contraintes personnelles nouvelles. On est vite rattrapée par la pression de devoir "assurer", comme si rien n’avait changé.
Personnelle et identitaire : C’est le temps de la matrescence, cette transformation profonde qui vient avec le fait de devenir mère. On a changé, et notre rapport au travail, à nos priorités, à nos aspirations, n’est plus tout à fait le même. Mais on n’a souvent ni l’espace, ni le droit de le dire.
Relationnelle : C’est une nouvelle donne dans le couple. On devient un couple parental actif, avec des tensions possibles autour de la répartition des rôles, du sommeil, de la charge mentale. Et c’est aussi, souvent, la première vraie séparation avec le bébé, ce qui peut être très éprouvant émotionnellement.
Organisationnelle : On a le sentiment de courir tout le temps. Tout devient urgent, rien n’est fluide. C’est cette sensation de n’être ni pleinement au travail, ni pleinement avec son enfant. Et cette tension intérieure est épuisante.
En toile de fond de tous ces changements : une fatigue intense, physique et mentale. Le sommeil est haché, le corps n’a pas encore récupéré, et l’attention est constamment surchargée avec une charge mentale qui explose. La reprise arrive souvent trop tôt, sur un terrain déjà fragile.
En résumé : c’est une période chargée, intense, et très peu accompagnée. Le plus dur, c’est qu’on attend des femmes qu’elles gèrent tout ça en silence, avec le sourire, et sans rien changer autour d’elles.
Dans votre livre, vous proposez des outils pratiques pour anticiper ce moment. Quels conseils donneriez-vous à une femme qui s’apprête à reprendre le travail après son congé maternité ?
Voici cinq conseils, testés et validés par des centaines de femmes :
1. Préparez-vous au maximum.
Anticipez votre reprise, autant que possible. Cela peut aller du simple fait de reprendre un jeudi plutôt qu’un lundi pour alléger la première semaine… à une réflexion plus large : Qui fait quoi à la maison ? Quelles sont vos contraintes pour les prochaines semaines ? Quels sont vos soutiens / ressources ?
Ce n’est pas un sprint, c’est un marathon. Plus vous vous préparez, plus vous reprenez le pouvoir.
2. Appuyez-vous sur votre manager.
Un entretien de retour, c’est une obligation légale, mais encore trop souvent négligée.
Et pourtant, c’est un moment clé pour remettre les choses à plat, retrouver votre place et sécuriser les premières semaines.
Certaines femmes reprennent déjà en se sentant coupables ou en se demandant à quelle sauce elles vont être mangées.
Poser les choses clairement dès le début permet de reprendre confiance et de co-construire un cadre plus serein, pour vous comme pour l’équipe.
3. Clarifiez ce que vous voulez vraiment.
Lever le pied ? Changer de rythme ? Récupérer un projet important pour vous ?
Posez votre intention. C’est la meilleure façon d’éviter que d’autres décident à votre place, même avec de bonnes intentions (“On ne t’a pas mise sur ce dossier, on pensait que…”). Et si vous ne savez pas encore, c’est ok. L’important, c’est de l’assumer, pour pouvoir temporiser certaines décisions importantes (passer à un temps partiel, changer de statut, s’organiser différemment dans le couple...) jusqu’à ce que vous soyez prête.
4. Soyez bienveillante avec vous-même.
Non, vous ne reprendrez pas “comme avant”.
Durant les prochaines semaines, vous allez réapprendre à prioriser, à dire non, à ajuster.
Et cela implique des loupés, des moments de fatigue intense, des tâtonnements.
Ce n’est pas un échec, c’est le processus normal d’un nouvel équilibre.
5. Entourez vous.
Cette période peut isoler : on va à l’essentiel, on n’ose plus demander de l’aide, on pense qu’ expliquer ou demander prend plus de temps que faire soi même.
Mais rester en lien avec d’autres mères, c’est essentiel. Partager permet de relativiser et faire baisser la culpabilité.
Et d’un point du vue pratique, s’entourer c’est s’appuyer sur son entourage ou des professionnels pour déléguer, échanger des ressources, s’organiser à plusieurs, etc.
Vous n’êtes pas seule. Et vous n’avez pas à tout porter.
Le retour au travail coïncide souvent avec une fatigue intense, une réorganisation totale et une pression sociale pour "reprendre comme avant". Quels sont les premiers réflexes à adopter pour éviter l’épuisement et préserver son équilibre ?
Le premier réflexe, c’est de changer de posture intérieure.
Vous n’êtes pas en train de reprendre comme avant, Vous n’êtes pas non plus en train de reprendre au rythme qui sera désormais le vôtre en tant que mère active. Ce n’est pas une vitesse de croisière que vous visez les premières semaines. Vous êtes en train de traverser une transition majeure, plus ou moins longue, mais assurément avec un début et une fin. Et comme toute transition, elle demande de l’attention, du temps et du soutien.
Voici 4 leviers essentiels :
1. Prévoir une reprise progressive.
Ne repartez pas sur les mêmes bases qu’avant bébé. Revoyez votre charge de travail et allégez les premières semaines, ménagez-vous des marges, demandez des ajustements quand c’est possible (horaires, déplacements, télétravail), déléguez chez vous ce que vous pouvez. Vous n’êtes pas moins compétente, vous êtes juste dans un nouveau contexte et vous allez vous ajuster progressivement.
2. Repenser vos standards.
Vous n’êtes pas obligée d’être “au top” partout, tout le temps.
On peut aimer son travail sans vouloir sur-performer dès la reprise.
On peut aimer son enfant sans vouloir tout contrôler.
Fixez-vous des objectifs réalistes, accordez-vous du droit à l’imperfection, et faites la paix avec ce qui est “assez bien”.
3. Créer des espaces de respiration.
C’est contre-intuitif quand tout déborde, mais c’est vital.
Créez des espaces tampons entre les temps de la journée : 10 minutes pour marcher entre la crèche et le boulot, une playlist sur le trajet retour, un café seule dans un coin calme…
Réinventez ce que “prendre soin de soi” veut dire aujourd’hui. Ce n’est plus 2h devant une série ou au cours de sport, mais peut-être une manucure, un déjeuner au soleil, ou juste un moment de silence. Des micro-espaces où vous ne répondez à aucune demande, et où vous pouvez juste souffler. C’est là que l’équilibre se construit, petit à petit.
4 Impliquer concrètement votre conjoint.
Si vous êtes deux, sachez que votre reprise ne vous concerne pas vous uniquement. Rediscutez de la répartition des tâches, des temps de garde, des matins compliqués, des imprévus.
Faites équipe. Et surtout, refusez l’idée que “vous êtes plus compétente pour gérer” : ce piège-là mène droit à l’épuisement. Et on le voit dans tous nos accompagnements, c’est un game changer si le conjoint a pu aménager ses horaires ou prendre un congé pour être plus présent lors de la reprise de la mère.
Et au-delà du couple : demandez de l’aide. L’épuisement guette quand on pense qu’il faut tout gérer seule. Vous n’avez pas à prouver que vous êtes une héroïne. Vous avez le droit de traverser cette période en tâtonnant et en demandant du soutien.
Certaines entreprises commencent à intégrer la question du 5e trimestre dans leurs politiques RH, mais cela reste encore marginal. Comment peuvent-elles accompagner les jeunes mères de manière concrète ?
La première chose, c’est de reconnaître que le retour de congé maternité est une étape à part entière, et non une simple “reprise” en un jour.
C’est un moment de bascule, souvent décisif pour la suite de la trajectoire professionnelle d’une collaboratrice.
Voici des leviers très concrets que les entreprises peuvent activer pour accompagner les jeunes mères :
1. Prévoir un vrai entretien de retour.
C’est une obligation légale encore trop souvent oubliée… mais surtout une opportunité RH sous-exploitée.
Ce moment permet de faire le point, d’écouter, d’adapter la reprise, et de redonner de la visibilité à la collaboratrice tout en renforçant le lien de confiance et l’engagement.
L’enjeu : passer d’un retour “par défaut” à un retour co-construit, cadré et rassurant.
Et cela commence aussi par des choses toutes simples : un message de bienvenue, un moment convivial ou un cadeau. Marquer le coup compte.
2. Avoir un process clair, lisible et accessible.
Trop de femmes ne savent pas à quoi elles ont droit, ni à qui s’adresser. Or, l’information est un levier de sécurité et d’autonomie.
Qu’il s’agisse d’un mémo rapide ou d’un véritable guide de la parentalité, l’essentiel est de rendre visibles les droits, les aménagements possibles, les contacts utiles pour faciliter le reonborading de la collaboratrice. Un process clair c’est moins d’anxiété.
3. Faciliter la reprise progressive.
Certaines entreprises proposent une reprise en temps partiel… payée à temps plein, pendant quelques semaines. C’est un excellent moyen de préserver la santé, la performance et le lien, sans pénaliser financièrement la salariée. Mais d’autres options existent à géométries variables pour parvenir à une reprise progressive : alléger la charge de travail, réorganiser les priorités, adapter les horaires ou les déplacements, augmenter le télétravail … L’idée est de co-construire une vraie montée en puissance, et non un retour en “mode sprint”.
4. Former les managers.
Ils jouent un rôle clé dans la réussite du retour. Les former, c’est leur apprendre le cadre légal et leur donner les moyens de l’appliquer. C’est aussi les informer des process et avantages à l’œuvre dans l’entreprise. C’est aussi les sensibiliser aux enjeux liés à la parentalité (parcours variés, charge mentale, impact santé, organisation du temps etc.) et qu’ils se sentent capables de répondre aux besoins de leurs équipes ou aux éventuels problèmes, de manière satisfaisante pour la collaboratrice et pour toute l’équipe. Dans nos ateliers managers nous constatons que bien souvent les tensions et les loupés viennent d’un manque d’information et de préparation.
5. Normaliser la parentalité dans la culture d’entreprise.
Créer une culture où l’on peut parler de parentalité sans peur ni tabou. Où les pères sont encouragés à prendre leur place. Où les besoins spécifiques des jeunes parents sont intégrés aux politiques RH, pas juste tolérés au cas par cas. C’est un levier puissant de fidélisation, d’inclusion… et de performance.
En résumé : accompagner le 5ᵉ trimestre, ce n’est pas faire un geste “sympa” envers les femmes.
C’est mettre à jour les politiques RH à la hauteur des réalités d’aujourd’hui : pour un environnement de travail plus juste, plus humain et plus durable.
Et surtout : ne pas hésiter à se faire accompagner.
L’entreprise peut faire beaucoup, mais on sait que c’est parfois dans un cadre neutre que les femmes peuvent vraiment s’exprimer librement.
Dans nos ateliers de retour chez Issence, nous accueillons chaque mois des femmes de tous horizons professionnels, souvent reconnaissantes à leur entreprise de leur offrir ce moment : deux heures entre jeunes mères en reprise, pour parler sans filtre, souffler, déculpabiliser, et repartir avec des repères clairs et des outils concrets, aussi bien pour le travail que pour la maison.
Le 5ème trimestre impacte aussi la vie de couple, avec parfois des tensions accrues. Quels conseils donneriez-vous aux parents pour préserver leur relation et mieux se répartir les rôles ?
Le 5ᵉ trimestre, c’est aussi un moment clé pour le couple.
L’enjeu, c’est d’impliquer le/la partenaire comme un véritable allié, pas un simple soutien ponctuel. C’est l’occasion de reconstruire un équilibre à deux, et de ne pas rester figé dans le rythme du congé mat, souvent déséquilibré.
La reprise peut — et devrait — être le moment où on remet les choses à niveau, maintenant que les deux parents retrouvent un rythme professionnel.
Mais dans la réalité, on passe souvent à côté de cette opportunité.
Pourquoi ? Parce qu’on sort à peine du post-partum, qu’on entre dans une nouvelle logistique en urgence, avec un bébé encore très demandeur, une mère qui reprend souvent épuisée, et une organisation à repenser… sans espace ni temps pour le faire.
C’est une phase sensible, qui impacte toute la famille.
Voici quelques repères pour garder le lien à deux, et éviter que la tension ne s’installe :
1. Considérer la reprise comme une étape de couple.
Ce n’est pas juste “elle” qui reprend le travail. C’est un nouveau chapitre pour le foyer entier. Le ou la partenaire doit reconnaître cette étape comme importante pour l’équilibre global, pas comme un simple retour à la normale.
2. Remettre à plat toute l’organisation familiale.
Pas juste bricoler à la marge. On parle d’un vrai reset : Qui fait quoi ? Quand ? Comment on s’adapte aux imprévus ? Être précis, on ne vise pas le 50/50 mais que ce soit juste et équitable.
3. Prendre le temps de s’organiser, même si on a l’impression de ne faire que ça.
Au début, tout semble flou, instable. Et c’est normal. Poser un cadre (même temporaire) permet de reprendre la main sur le quotidien.
Beaucoup de couples gagnent en sérénité en instaurant un moment d’organisation hebdomadaire : un rendez-vous fixe où chacun peut s’exprimer, ajuster, sans que tout explose à chaud. Ça n’empêche ni les couacs ni la fatigue, mais ça crée un point d’ancrage précieux.
4 Faire évoluer aussi le lien amoureux.
Avec un bébé qui gagne en autonomie, le couple peut aussi se redéployer. Pas pour "retrouver comme avant", mais pour créer du lien autrement, ici et maintenant : un déjeuner ensemble, une soirée sans écran, une balade.
Beaucoup de couples nous parlent des "day dates" comme d’un vrai tournant : un moment à deux sur un jour de télétravail partagé, sans enfant, sans casse-tête de garde, juste pour se retrouver.
5 Savoir demander — et recevoir — de l’aide.
Famille, amis, voisins, professionnels .. Il est important d’aller chercher de l’aide et de ne pas tout faire seuls. Il y a une pression énorme sur le couple parental avec tout le stress et l’isolement qui vont avec. Quand on parle de « grand village », ça commence dès la sortie du cocon et on peut trouver les soutiens où on peut autour de soi.
S’il fallait retenir trois astuces essentielles pour vivre sereinement son 5e trimestre, quelles seraient-elles ?
- impliquer son conjoint.e dès le début : La reprise du travail ne concerne pas que la mère, c’est un tournant pour toute la famille. C’est le moment de rediscuter de l’équilibre, de réajuster les rôles, d’éviter que la charge mentale reste concentrée sur une seule personne. On ne reprend pas seule, on fait équipe à deux.
- On négocie une reprise progressive avec de la souplesse : On ne redémarre pas à 100% comme si rien ne s’était passé. Il faut oser demander un temps partie temporaire, alléger les premières semaines, monter en puissance doucement. Ce n’est pas un signe de faiblesse, c’est une stratégie de long terme pour tenir la route.
- Accepter l’impermanence et le tâtonnement dans la transition : Rien ne sera parfait. Tout change vite. Ce n’est pas grave. Les premiers mois sont une phase d’apprentissage, de tâtonnements, parfois inconfortable mais pas définitive. L’enjeu, c’est de ne pas tout remettre en question au moindre couac, mais d’ajuster au fil de l’eau, avec le maximum de douceur et de lucidité.
Le 5e trimestre - Bien vivre son retour de congé maternité
