Essais et pamphlets : Le livre de Léon Bloy
Imprécateur et pamphlétaire " par amour ", selon sa formule, Léon Bloy est l'écrivain de l'excès, de la démesure, de l'engagement total. Il consacra son oeuvre et sa vie à la défense des pauvres, à la dignité de l'homme, à l'amour de Dieu, à la figure du Christ et à l'esprit des Évangiles.
" Pèlerin de l'Absolu ", le catholique Bloy se fait mendiant pour gagner la liberté de tout dire et traquer la bêtise, dont l'illustration parfaite à ses yeux est " le bourgeois, cet homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser ". Il s'en prend, au nom de cet Absolu, aux politiques, aux écrivains, aux journalistes, aux athées, ainsi qu'aux chrétiens eux-mêmes, qu'il met en cause avec une violence magistrale.
L'auteur des Méditations d'un solitaire en 1916 et des Propos d'un entrepreneur de démolitions a bâti une oeuvre immense, où se déploient une impressionnante philosophie de l'histoire et une réflexion sur la fin des temps. Mais il était difficile jusque là de se faire une idée complète d'un écrivain si singulier. En réunissant la quasi-totalité de ses essais et de ses pamphlets, des plus célèbres, comme l'Exégèse des lieux communs et Belluaires et Porchers, aux plus rares, Celle qui pleure, Le Révélateur du Globe et l'inachevé Dans les ténèbres, en passant par Le Salut par les Juifs, ce livre constitue le plus considérable volume d'écrits de Léon Bloy jamais publié. Un siècle après sa mort, l'oeuvre de celui qui ne voyait pas qu'il fût possible d'écrire autrement qu'" au seuil de l'Apocalypse " est ainsi de nouveau disponible et enfin présentée dans sa véritable cohérence.
Directeur éditorial : Maxence Caron
De (auteur) : Léon Bloy
Préface de : Augustin Laffay, Augustin Laffay O.P.
Expérience de lecture
Avis Babelio
HenryWar
• Il y a 4 semaines
Il est difficile de lutter contre ses tendances, contre ses prédispositions, contre la somme de ce qui meut : il faut se faire violence, le tempérament-même semble pourvoir d’un handicap contre lequel l’effort est dur. On désespère de remédier avec peine à ce qui réclame si peu de mal à autrui ; c’est pourquoi, pour se justifier, on succombe de meilleur gré à ses penchants en les admettant et composant pour vertus. Bloy, de son propre aveu, est un enthousiaste, et l’enthousiasme est tout ce qu’il célèbre, à défaut de qualités rassises, de tempérance, de contention, de raison saine et sûre. Il colore en grands élans des motifs pour le dessin desquels il faudrait une droite patience que sa nature lui dénie. Il se sait peu capable d’arguments, c’est pourquoi il les néglige et les passe pour superflus et pour lâches, ayant besoin de dénigrer ce dont il ne dispose pas et qu’il ne veut pas travailler. Comment compense-t-on un défaut de créativité qu’on se croit congénital ? Quand on manque de génie, on préfère présumer qu’il ne reste rien à découvrir, et, en se ralliant à quelques idées préexistantes érigées en certitudes indéniables, comme le catholicisme de Bloy, on refuse d’écrire autrement qu’avec passion, et l’on fait de l’emportement et de la truculence le parangon de l’art : L’enthousiasme est la rage par laquelle on compense un immobilisme foncier d’esprit c’est-à-dire une inaptitude à inventer. Quand on ne sait pas fabriquer des contours, on se sert des intervalles définis par d’autres, de ces aplats circonscrits, et on les remplit de crayonnages gras et fauves pour se distinguer. Bloy me semble, après tout, un enfant capricieux compensant par la frénésie son mal de ne savoir raisonner en artiste. Il est pénible sans doute de forger des progrès, d’être pionnier en certaines connaissances et d’avancer, même petitement, en des sentiers inédits où nul repère ne soutient : un esprit puéril se sent frustré de ne pas savoir s’y prendre, de ne pas comprendre de quel miracle procède cette sorte d’intelligence, il en vient à vouloir considérer qu’en tant de siècles on a probablement tout dit, tout démontré, tout établi, et qu’il ne suffit que d’user de verve pour être auteur. C’est l’état commun de l’adolescence de l’écrivain où, faute d’avoir une idée de la manière d’instiller des créations, on espère que la grandeur se résume au pittoresque : on rédige alors des textes qu’on barbouille et qu’on croit renforcer d’un sang vif et brûlant, mais il n’en sort qu’un tournis de teintes, peut-être d’un talent idiosyncratique, mais sans révolution que visuelle. Ce sont des couleurs impressionnantes sises dans des formes qui ne changent point. Bloy, il me semble, s’est, dans son dépit, saisi d’une palette furieuse ; mais il n’enseigne pas à distinguer de nouveaux tons, il ignore, avec un embarras que la colère dissimule, comment fabriquer des teintes, et il se complaît à le faire oublier en éructant et crachant des glaires plus vertes ou plus rouges. Il lui faudrait un esprit critique pour contourer de nouveaux concepts, car c’est par l’essai mesuré qu’on crée ; or, il s’est débarrassé de la raison pour embrasser l’effusion, et par ce manifeste, qu’il résume comme suit, il s’est fermé à toute tentative novatrice de fond : « Le réel, c’est de savourer des épithètes homicides, des métaphores assommantes, des incidentes à couper et triangulaires. » (page 59) Or, le réel, est rarement si tranché – c’est bien plutôt l’irréel qui correspond à ces fièvres irrésistées. D’ailleurs, c’est son confort : on le jugerait moins favorablement sur de la justesse et de la minutie, on douterait de ses propos, on l’humilierait, ces critères doivent donc s’anéantir, car Bloy, peu compétent à l’exercice patient, n’ignorait sans doute pas combien il est douloureux d’être critiqué, ou même de se critiquer soi-même, sur des réflexions qu’on ne sait pas produire, il a bouché cet accès à la critique cuisante par des effets ostentatoires où l’on n’aperçoit que des superficies et où il n’y a tout simplement rien de créé à estimer hormis une certaine qualité de colère et de mépris. Il éreinte, fulmine, conspue ; ce faisant, comme par principe il n’utilise pas une pensée, il réfute même la faculté de construire, se montre insoucieux à instruire, se limite à des formules de vérités persuasives et fougueuses, et quand il frappe, il sait à peine ce qu’il décrie, ne donnant pas l’impression de circonscrire son sujet. C’est ainsi que très tôt il se contredit, parce qu’il n’a que le désir de s’entraîner dans un émoi qui le galvanise et le valorise, pas celui de prouver une chose. Par exemples, c’est un homme qui se scandalise qu’on ait pu salir Byron en stigmatisant son pied-bot, mais qui débute tous ses portraits par d’humiliantes et caricaturales descriptions physiques. Homme qui annonce en titre une critique de Souvenirs d’enfance de Renan, et qui ne parle à aucun moment du contenu du livre, au point qu’on est en droit de douter qu’il l’ait lu ainsi que la plupart des ouvrages qu’il flagelle – « On ne doit pas attendre de moi un examen analytique du livre de… » (page 41) : ce postulat doit s’appliquer à tous ses commentaires, qui ne sont que des billets d’humeurs assez préétablis, sans considération du livre qu’il critique – ; d’ailleurs, n’ayant pas le courage des démonstrations, il tait toujours le texte, et se justifie, certes assez honnêtement, par le risque qu’il encourrait à une citation réfutable, parce qu’un argument qu’on expose offre toujours la possibilité de démontrer l’inverse : « Je me suis jusqu’ici abstenu de toute citation. Cela ne me semblait ni facile ni sage. En général, les citations sont dangereuses pour la critique qui ose les faire aussi bien que pour les poètes qui les subit. L’un est en danger pour sa gloire et l’autre pour son autorité. » (page 118) – où l’on comprend que Bloy tient à son autorité plutôt qu’à son exactitude –, mais il n’a pas tout à fait tort de s’épargner ces extraits de préférence quand on lit par exemple de Maurice Rollinat les « merveilles » qui font son extase, surtout le poème suprêmement mièvre intitulé « Ballade de l’arc-en-ciel d’automne » (page 122). Homme pour qui la critique, d’une subjectivité outrée, se résume à : « Qu’y a-t-il, au fond, de plus chrétien que cela ? » (page 123), c’est-à-dire qu’elle ne consiste qu’à vérifier comme le texte s’applique à une vision extrêmement personnelle du catholicisme. Homme qui incarne et vante l’enthousiasme, mais un enthousiasme appliqué à lui-même, uniquement l’enthousiasme qui lui ressemble, son enthousiasme, écrivant : « L’âme enthousiaste est une âme affranchie qui peut se permettre de parler seule et sur laquelle les préjugés, les objections et les objurgations de la pensée demeurent sans force aussi longtemps que dure la vibration surnaturelle. » (page 17) Il lui déplait tout enthousiasme d’autrui qui pourrait le concurrencer, tout enthousiasme même qui lui ressemble et qui s’applique très bien à lui-même, comme l’enthousiasme de Jules Vallès : « Et encore, quand j’écris qu’il est un frénétique, je suis un menteur : il est le frénétique des frénétiques, il est la frénésie même. Celui qui en doutera, il le fera bouillir et le mangera avec de la moutarde. Il est comme cela, cet homme ; il est le réfractaire spumeux qu’aucune bride traditionnelle n’a pu dompter. […] On ne voit partout que cet effroyable acharnement qui ne parvient jamais à se satisfaire. » (page 71) ; ou d’un autre prêcheur un peu comme lui, que Bloy taxe de « Savonarole de Nuremberg », le Père Didon, auquel il reproche ce qu’on pourrait lui retourner, à savoir : « le besoin furieux d’être prophète dans sa patrie. » (page 85) Bloy tient à être seul en son terrorisme, il veut tuer sans raison et sans cohérence, haïssant des catholiques et des athées, haïssant surtout pour le plaisir de haïr et de le proclamer, parce qu’à défaut d’idée à lui, à défaut de bâtir, il ne saurait se satisfaire de disparaître dans l’anonymat d’un terrorisme partagé. Homme qui clame sa détestation de l’immoralité dans la littérature et de l’exposition du péché, mais qui adule Jules Barbey d’Aurevilly exposant « l’aumône de l’amour sans amour, la fornication par pitié, l’inceste sans la parenté et la désespérante inanité » (page 62) : il l’aime au prétexte surtout que c’est un ami mais aussi que l’épilogue de Ce qui ne meurt pas tombe « enfin comme une hache sur cette hideuse nichée de reptiles qui sont d’égoïstes sentiments humains. » (page 62) : mais Bloy, eût au moins pu, en cohérence, s’en servir de cet argument pour apprécier Monstres parisiens de Catulle Mendès qui procède d’une idée semblable, et bien non, et pourquoi ? Parce que, ces monstres, Mendès « ne nous les montre pas en moraliste, mais en amoureux et en amoureux jaloux » (puisque Bloy a établi dès l’entrée que Mendès est juif et s’appelle même Abraham, il faut donc qu’il soit jaloux) « qui les porterait dans son cœur et qui les étalerait comme ses trésors avec une crainte horrible d’en être dépouillé. » (page 91) – en somme, il a décrété sans un élément d’analyse que la différence entre l’un et l’autre est que d’Aurevilly n’avait pas d’affection pour ses personnages, mais que Menèds les admire, la bonne trouvaille et le facile expédient ! Homme qui fait des proverbes pompeux et crânes, retournables à l’envi, de bêtise achevée, cliché et presque de candeur nulle : « La Douleur est l’essence même du beau en poésie. » (page 19), ou « Le mysticisme est l’activité suprême et les Mystiques sont les vrais clairvoyants de l’humanité. » (page 121) D’où cela procède-il ? Pourquoi ? Parce que Bloy l’a dit en prophète. C’est tombé, comme l’inspiration. S’il le sent, c’est vrai. Et d’évidentes naïvetés ne sont pas plus justifiées, si piètres et idiotes que chez un homme de cette trempe on les croirait frappées d’ironie, comme lorsqu’il parle du pape et s’en fait de ces emphases : « Le Souverain Pontife voit ce que nous ne voyons pas et il craint pour nous ce qui devrait nous faire trembler. […] Le 261e successeur de Pierre lève vers le ciel ses yeux lassés et, dans les grandissantes ténèbres du siècle à son déclin, jette une fois de plus sur ce triste monde son filet miraculeux. Et puis il attend, le vieux Pêcheur, avec la sérénité divine de son caractère trois fois auguste et la fermeté pleine de douceur qu’il tient de la certitude des promesses dont il a reçu le dépôt. » (page 110), ou déclamant avec un transport grecquement plat et surfait sur le poète : « Lorsqu’un de ces tronçons de cœur sanglants ou gangrenés apparaît sur la terre, s’il arrive que la multitude l’aperçoive, c’est toujours dans le transparent azur opalisé d’un jour éclatant qu’on l’y voit descendre. » (page 124) On dirait tantôt les simplifications forcenées qu’un gamin têtu ponctuerait d’un « na ! », tantôt les ratiocinations séniles d’un patriarche faisant du période pour paraître sage. Tout ceci se résume assez par un mot que Nietzsche aurait pu faire : Quand on n’a pas d’arguments, on a des convictions. Bloy indique combien, par défaut de vérité, il se persuade de ce dont il est sûr au moyen de tournures chargées d’appuyer son inaltérabilité. Il s’emporte, hurle, menace, prêt à défendre sa position par coups et duels, mais ce faisant, il n’a pas avancé d’un pouce dans l’exploration de la vérité, qui est un objet neutre, qui n’a pas besoin de cette aliénité, à l’exception de la vérité de son acharnement à peindre et repeindre la vérité comme ça l’arrange. Et j’ai remarqué un point commun entre les amateurs de Bloy, qui le rend auprès d’eux si populaire, c’est qu’ils vocifèrent avec style à défaut de réflexion rassise, et qu’ils se prévalent de ce péremptoire parce qu’ils sont mal à l’aise d’expliquer : c’est leur lacune qui les fédère en les faisant préférer ce dont ils sont aptes plutôt que ce qui est perspicace et juste, et c’est pour cette raison que, comme Bloy, ils se montrent incapables de rendre une critique intermédiaire, sise entre l’adoration divine et le sarcasme stercoraire. Dès qu’on les contredit ou qu’ils croient l’être, malgré leur vindicte tranchée, ils se contractent, suffoquent et se vexent, préférant l’injure ordurière et les rodomontades verbeuses à de nets éclaircissements. Ils sont confus et cèlent la gêne sous des dehors belliqueux, finissant par se féliciter de leur rugosité, en éclats rhétoriques superficiels, dérangés qu’on leur réclame des raisons qu’ils ne peuvent fournir et qu’ils sentent étouffées au fond d’eux. Souffrant à convaincre, ils choisissent la facilité d’impressionner. Ils tiennent absolument à n’être pas intelligemment comptables de leur verdeur : leurs paroles sont des sentences qui ne doivent rien à personne, pas même à la vérité, et l’on aurait tort de leurs demander pourquoi. Par aucun moyen, explicite ou non, ils ne s’approchent d’un réel identifiable, il faut les prendre comme ils sont et n’exiger aucune preuve : leur contrariété signale aussitôt leur tracas, ils deviennent méchants par auto-défense, comme un chien acculé grogne et peut mordre. Pour toute justification, ils prétendent que leurs opinions sont celles de l’œnologue qui décrète qu’un vin est bouchonné : « Qui ose, clament-ils, remettre en question ce jugement de spécialiste ? » Ils ne trouvent pas qu’en toute science on apporte des éléments probants, ce qui n’est pas plus difficile en littérature et ce qui serait le désaveu de leur art comme science : par exemple il est aisé de démontrer qu’un vin a une odeur et un goût de bouchon. Ils croient leurs réputations suffisantes à les accréditer, ils ne citent plus un extrait de texte pour en démontrer les vertus et les vices, ce qu’ils disent de ce qu’ils aiment ou de ce qu’ils réprouvent tombe comme l’oracle ou comme la guillotine. Et quand on les incite à produire un morceau pour matérialiser leur compétence, ils rétorquent : « Est-ce qu’un œnologue doit fabriquer son vin ? » Ils effarent avec de ces réparties mêlées de virulence où ne se discerne qu’apparence de bon-sens, ce bon-sens de pure saillie qui est la lie populaire de l’esprit, sans attendre qu’on leur retourne : « C’est seulement qu’ils n’ont pas le moyen d’en fabriquer, ni coteau ensoleillé ni engin agricole, tandis qu’il ne vous suffit, à vous, que d’un stylo. » Ils s’entêtent et s’enferrent de préférence dans l’autorité selon laquelle le critique n’a pas à être artiste, et tout en constatant que les auteurs qu’ils vénèrent sont bien des écrivains et pas seulement des critiques, ils écrivent singulièrement peu et s’en contentent autant que d’être sans explicitation à leurs panégyriques ou à leurs éreintements. Le mal, c’est qu’on dirait qu’ainsi ils attendent, végétant en travaux secondaires où ils n’ont pour occupation qu’à répandre le venin ou la ferveur : c’est du moins l’impression qu’ils donnent aux vrais quêteurs d’idées, ceux qui s’efforcent de découvrir et qui se déçoivent de ces commentaires qu’on ne livre qu’à défaut d’autres puissances. Eux n’œuvrent sans relâche que pour qu’advienne un regard alternatif sur la réalité qui la modifie. Quand le génie de ces artistes leur manque, que font-ils ? Ils lisent, et rédigent des rapports de lectures. Encore ne se servent-ils de ce qu’ils lisent que dans la perspective de créer une matière au-delà du connu, et non par contentement d’épancher leur « bile » ou leur « âme ». Si bien que pour ces vrais artistes, le critique exclusif, notamment s’il est disert et de style, est une anomalie de la pensée : il leur est une maladie en cette manie d’écrire sans produire, en long parasite, puisque les Créateurs, eux, n’utilisent la critique que comme un pis-aller, une transition, une période vide, un moment de reconstitution, un repos, un presque congé de l’esprit. Or, quand ils voient une personne dont l’ordinaire est leur convalescence, ils songent : « Comment peut-il devenir normal de ne jamais apporter ? » Ils comprennent mal que la littérature soit le prétexte pour vanter uniquement une vocifération ou une adulation. Ils ont besoin que la littérature soit un tremplin vers des réalités nouvelles, vers des conceptions inexplorées, vers des représentations inédites. Ils n’aiment pas la littérature qui ne fait que des mots – tons forts et chinoiseries alambiquées. Ils s’effarent de voir qu’il existe des gens qui croient faire de la littérature en retournant des lettres, car c’est ce que, même dans leurs moments de vacuité, ils n’osent pas comme indigne d’un commencement de création ; ils ne se le pardonnent qu’à titre de pauses, encore que provisoires et causées par l’épuisement de leurs ressources réalisatrices. Ils ont l’impression d’observer des spectateurs qui se prétendent sportifs au prétexte qu’ils parlent de sport avec passion : ceux-ci n’ont pas un muscle – l’organe fort, et comparable à l’intellectualité active et fabricante –, et ils se targuent d’être de grands coureurs ou de discourir de la grande-course. Et c’est ce qui fait à l’artiste une telle impression de fatuité et de gâchis : entre lire – commenter des livres – et écrire – concevoir du neuf –, son choix va inexorablement à la difficulté où seule peut naître la supériorité. Et chez les critiques dont je parle, surtout amateurs de Bloy comme Juan Asensio, j’ai remarqué un autre trait, si caractéristique que je suis sûr de pouvoir leur proposer des lectures qu’ils adoreraient, même si, pour leur amour-propre, ils le nieraient : Ils goûtent particulièrement le mystère des textes, ce mystère si souvent soluble dans le néant et qui signale l’indétermination d’une œuvre mal terminée dont l’auteur n’a pas tout à fait su quoi dire, en faisant passer plus ou moins adroitement le manque de finition pour une forme d’ésotérisme profond. Ils l’aiment non seulement parce qu’un tel mystère est un puits sans fond où épancher leur voluptueux panache, mais plus foncièrement parce qu’il relève tout entier de la façon, qu’ils apprécient tant, au détriment du fond limpide ou seul peut naître et s’installer le progrès personnel : ils sont contents dans les ténèbres, déjugeant la lumière pour trop triviale et explicite, parce qu’alors ils devraient considérer qu’il est du devoir d’un auteur, de leur devoir, d’être bien clair et net. Pour eux, ce n’est pas le soleil qui épanouit l’esprit, mais c’est l’abîme qui rassure leur obscurité. Ainsi, moins un livre est défini, plus il suscite l’impression intérieure de leur propre génie. Ceci détermine et classe leurs préférences littéraires : j’assure que je sais ce qui leur fait plaisir, et ils prétendraient que je le savais auparavant en lisant leurs critiques que je ne consulte pourtant pas et qui m’indiffèrent. Et ils ont presque un instinct pour fuir l’idée franche, déliée, exposée avec ouverture, un instinct de préservation. Il leur semble vulgaire, énormément vulgaire, qu’on prétende faire des élucidations au sein de domaines neufs sans user d’un langage de mystique ou de primitif qui les flatte comme leur seul apanage : la netteté leur est devenue un indice de la médiocrité, tout ce qui est nouvellement conçu ne leur paraît qu’un formalisme vantard et froid de bureaucrate, et ils ne tolèrent pour original que l’inouï c’est-à-dire qu’une manière forte de redire ce qu’ils savent. Ceci n’est que par contraste avec leur inaptitude, car s’ils devaient reconnaître un génie explicite, ils s’entendraient s’embourber au même caniveau interprétatif de leurs ratiocinations pédantes où ils ont leurs habitudes, et, comme cela leur procurerait l’angoisse d’inachevé, c’est nécessairement que le compliqué enthousiaste leur figure tout ce qui existe de supérieur. Ainsi, nul homme ne doit avancer s’ils ne parviennent à marcher. Ils supposeraient que l’avancée est un leurre, une illusion entachée de fatuité, parce que, incapables d’en réaliser, ils colportent sans une raison que « la littérature seule, sans enthousiasme, est la plus vile des courtisaneries et la plus déshonorées des inventions qui abrutissent. » (
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Classiques et Littérature , Littérature Classique
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- EAN
- 9782221193303
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- Collection ou Série
- Bouquins La Collection
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- Format
- Grand format
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- Nombre de pages
- 1600
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- Dimensions
- 200 x 135 mm
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34,00 € Grand format 1600 pages