La vocation : Le livre de Chloé Saffy

« Salomé n’a pas été choisie au hasard. Tout est affaire de patience. Les êtres dominants savent généralement évaluer ce qu’ils peuvent tirer d’une personne subordonnée, que celle-ci soit sous leurs ordres dans un bureau ou dans une chambre coucher. La question est plutôt de comprendre pourquoi Salomé a accepté un tel sacerdoce,là où une autre aurait sans doute envoyé promener ces gens » Insoutenable, cette histoire l’est surtout à l’heure de mee too et du consentement. La vocation est un livre hybride entre essai et roman. Il va diviser, insupporter, faire hurler, à n’en point douter, tant l’histoire de Salomé est à peine croyable. Est-il possible que Salomé existe vraiment ? Est il possible qu’une femme puisse accepter un contrat l’obligeant à abandonner sa vie, son prénom, son libre arbitre, son apparence physique, à supporter des punitions, des privations ? Est il possible d’accepter une soumission la plus totale ? Chloé Saffy, auteur de romans érotiques et passionnée de la culture BDSM, entrouvre une porte que je n’aurais jamais osé ou même imaginer pousser. Elle y mêle son histoire à celle de Salomé sans trash ni voyeurisme, en tentant d’analyser et nous faire comprendre les mécanismes de la soumission. Un livre singulier et périlleux, que j’ai lu d’une traite. Un univers insoupçonné et inquiétant pour moi, qui m’a ébaubie. Et vous, Oserez vous pousser la porte ?

Dans LA VOCATION, l’art du roman n’est pas tant affaire de style que travail minutieux d’architecture, afin de retranscrire par la focalisation progressive du point de vue et l’enchevêtrement des formes littéraires, l’agencement d’un monde façonné par une caste de dominants pour circonscrire leur proie féminine dans le rôle qui lui est assigné. Cherchant coûte que coûte à se frayer un chemin entre les apports de la sociologie, les références culturelles et les témoignages plus ou moins éclairés sur le récit en construction, la forme romanesque se demande à intervalles réguliers si elle ne finira pas paralysée et réduite à un regard sidéré sur une histoire dont elle n’arrive pas à justifier la cruauté, ni l’absurdité, par le principe de fiction. On ressent alors la vertigineuse impression que le roman avance, voit ses pages se dresser malgré lui en cloisons, mais continue d’avancer, de se construire jusqu’à voir dans ses entrailles denses se dessiner l’interstice par lequel Sixtine, la mystérieuse captive, pourrait s’évader. Entrecoupant son récit des réflexions essentielles à son work in progress, Chloé Saffy semble chercher des soupapes de logique, pour, sinon interrompre l’absurdité, du moins lui opposer un contre-récit, celui de son propre rapport à la domination sexuelle, comme sociale, et sa manière à elle de construire son histoire personnelle, de rester maitresse de son récit. En déplaçant juste ce qu’il faut les codes du BDSM pour déstabiliser Chloé, Sixtine tend un miroir à l’auteure, mais un miroir déformant, déformé, ou brisé puis rassemblé tant bien que mal en une multitude d’éclats incommodes. La Vocation représente donc une œuvre périlleuse, un process au bord de la rupture, se demandant perpétuellement jusqu’où il peut aller, en même temps qu’il nous pose la question de jusqu’où peut aller une vocation. Celle d’une artiste, d’une romancière, d’une enquêtrice. Jusqu’où un personnage de fiction peut-il adhérer au récit que nous lui attribuons en lui accordant notre attention ? Jusqu’où un personnage du réel corrosif peut-il se perdre pour disparaitre derrière le rôle qui lui a été un jour attribué ?

Il est rare que je sois autant transcendée par un ouvrage, je peux être excitée, trouver la plume belle et l’histoire bien écrite, là c’est différent, je suis à la fois fascinée, dérangée, curieuse, voire voyeuse. L’histoire est dure, dérangeante, pour autant elle me rappelle des fantasmes que je ne soupçonnais même pas pouvoir exister dans la réalité. Si c’est un roman érotique que vous cherchez, je vous conseille de passer votre chemin, ici il est question de jeux de pouvoir. Il n’est pas question d’histoire romantique non plus, mais plutôt de ce que l’on peut accepter pour sortir d’une vie morne, pour accéder à un confort que l’on n’aurait jamais pu avoir. En écrivant ces quelques lignes, je ne suis même pas sûre de ce que j’avance, car encore à l’heure actuelle, je n’arrive pas à comprendre ce qui a poussé Salomé à accepter cette drôle de vie. À accepter de voir son apparence totalement modifiée, à avoir une dévotion sans faille, alors qu’il n’y a pas d’amour, pas de sexe, pas d’affection. On trouve aussi, en parcours croisé, l’histoire de Chloé, qui se questionne, qui puise dans ses expériences et ses connaissances sur le BDSM pour mener l’enquête, comprendre ce qui se joue, si tout ça est réel ou bien si c’est juste un fantasmeur derrière son clavier qui lui sert la soupe. Parce que oui, parfois on pourrait croire que derrière tout ça, ce n’est pas une femme, mais un homme en plein délire de fantasme de sissification. Et en même temps des preuves matérielles laissent penser que Salomé existe, que tout ça est vrai, qu’elle a bien fréquenté tel ou tel lieu. La vocation est à la fois une manière de découvrir un autre type de relation BDSM possible mais aussi un thriller psychologique qui pourrait fonctionner parfaitement pour une adaptation cinématographique. Chaque page nous laisse en haleine, nous donnant envie d’en savoir plus, de découvrir la suite, de comprendre. J’ai dévoré le livre en 4 h 30, une matinée à ne pouvoir m’en détacher. Je suis saisie, fascinée, avec un sentiment d'oppression tout au long de ma lecture, et cette question que je n’arrive pas à me sortir de la tête : qu'est-ce qui peut nous pousser à aller aussi loin ? Et jusqu'où va aller ce que cette personne endure ? Autre chose qui est extrêmement agréable dans cette lecture, les références culturelles sur le BDSM, présentes dans chaque chapitre. Chloé fait référence à des livres, des films, qui apportent un éclairage tout au long de l’histoire. Comment vous dire que j’ai rempli ma wishlist, mais aussi mon panier #128514;. Pourquoi je considère La Vocation comme la meilleure sortie BDSM littéraire 2025 ? D’une part et sans surprise pour la plume de Chloé, toujours aussi agréable et rythmée. La capacité qu'elle a à nous faire vivre les choses comme si on y était ! D’autre part car c’est probablement le livre le plus surprenant et fascinant que j’ai pu lire sur le sujet. Vous vous doutez bien que je vous le conseille chaudement, et vraiment je pense que ce livre vous fera voir le BDSM d’un autre œil. Il pourra vous faire fantasmer, comme vous choquer. Bref, ne passez pas à côté de ce banger, si cette année je devais vous recommander d’acheter un seul livre, ça serait sans hésiter celui-ci !

La Vocation nous entraîne dans le BDSM. Il ne s’agit en rien de Bandes Dessinées sur la Société de Marie. Par ce sigle, l’auteure nous ouvre toutes grandes les portes du Bondage-Discipline, Domination-Soumission, Sado-Masochisme. Un monde secret, replié sur lui-même, qui enferme ses adeptes dans des pratiques sexuelles bien particulières. L’auteure entrecroise son expérience personnelle avec l’apprentissage au long cours de son personnage principal. L’écriture coule fluide, nette, précise. De nombreuses notes de bas de page éclairent et précisent les propos allégeant en cela le style. Chloé Saffy va bien au-delà de la narration des péripéties et de la vie de son personnage. Elle appréhende tous les ressorts de la sujétion, de l’être qui devient peu à peu un non-être, pour ne plus savoir vivre par lui-même et pour lui-même. Salomé, personnage fictif-fantasmé ou personnage bien réel ? Dans l’un comme dans l’autre cas, l’équivoque est rapportée aussi subtilement dans l’imaginaire que dans la réalité.