Les reines : Le livre de Emmanuelle Pirotte

Découverte de la plume d'Emmanuelle Pirotte pour moi, et quelle découverte: un coup de coeur. L'éditeur Jean le Gall, des éditions le Cherche Midi, qualifie ce roman de « plus belle surprise de sa vie d'éditeur ». Dans un futur « post-apocalyptique » faisant suite à « La Chute », l'humanité est revenue à un mode de vie ancestral sans technologie. Les Royaumes sont devenus des Reinaumes, en particulier au Nord, et les femmes ont pris le pouvoir sur l'homme. Des tribus nomades traversent l'Europe. Nous allons suivre en particulier Milo et Faith — appartenant à une tribu de Nomades appelée « les fils du vent » — amoureux passionnels mais interdits. Ainsi que les destins de reines: Edda, reine amazone du Danemark; Helle, nouvelle reine des Hautes Terres du Nord depuis que Alba a renoncé à son Reinaume pour devenir oracle, la Sybille d'une île sacrée. Dans ce futur, les reines sont cruelles, violentes et despotiques, tout autant que pouvaient l'être les rois d'antan. le sacre du féminin n'a finalement pas apporté l'harmonie supposée, les femmes n'étant pas épargnée par le goût du pouvoir. Dans ces Reinaumes, les hommes sont persécutés et déshumanisés, dans une pitoyable vengeance des sexes. Mais l'essentiel n'est pas là. Ce qui m'a impressionné, c'est la façon dont l'autrice va puiser dans diverses sources évocatrices: la tragédie antique, le théâtre shakespearien, la mythologie , la philosophie, la psychologie de l'inconscient, la spiritualité. En ressort un texte d'une grande puissance, dont les personnages et les peuples sont traversés d'animisme, de spiritualité, de pensée magique, d'un lien fort avec le vivant et la nature. Des personnages animés par les passions, les instincts, le viscéral, la force et l'appel du Destin. Faith, c'est l'impulsion, l'actrice, la saltimbanque; c'est la féminité exacerbée, la « sorcière », l'instinctive, la fertilité, la liberté envers et contre tout. Milo c'est la recherche d'une identité, d'un destin, un espoir en devenir. Edda c'est la passion qui dévore: « Aimer, détester, craindre, détruire. Aimer et pourtant détruire. Détruire, et puis aimer encore ? » Alba c'est la pénitence, la vie donnée à la Terre Mère, la recherche d'un pardon qui se défile. La vengeance, la trahison, l'identité, l'amour fou et viscéral, font gronder ce texte avec une force impressionnante. J'y vois aussi la recherche d'une Liberté intérieure, radicale, confrontée à l'acceptation de son Destin auquel on se refuse avant de lui ouvrir les bras. Le Vieux Monde n'est pas tout à fait mort, et l'humanité cherchera toujours des guides parmi ses semblables. Emmanuelle Pirotte déroule son récit dans une plume magnifique de la première à la dernière ligne; produisant un texte d'une puissance romanesque devenue rare. « L'amour est le maître des métamorphoses et des renaissances » « Vivre, c'est repousser quelque chose qui veut mourir » nous dit Nietzsche, et nous rappelle Emmanuelle Pirotte.