May le monde : Le livre de Michel Jeury

Un livre très original, une lecture qui m'a beaucoup marqué! La jeune May est très malade. Elle va mourir. Alors pourquoi a-t-elle pu quitter l'hôpital pour passer sa convalescence à la campagne, dans la maison de son grand-père, en bordure de la forêt et non loin d'un lac? Quels sont les résultats de ses dernières analyses médicales qui se font tant attendre? Qui sont ces gens venus passer un moment dans la maison avant de repartir? Et pourquoi ces hélicoptères qui tournent au dessus du lac et de la forêt? Par ailleurs, un mystérieux professeur Goldstein (le médecin de May?) expose sa cosmologie à ses étudiants : il y a une infinité de mondes, beaucoup non viables, d'autres séparés par de légères différences. Théoriquement, on peut passer de l'un à l'autre. Mais seulement au prix d'un changement qui rend chacun étranger à lui-même comme à ses proches. du reste, des proches de May semblent sauter d'un monde à l'autre, mystérieusement. L'univers de May a un côté familier: Michel Jeury, auteur de romans ruraux, sait raconter la campagne et l'amour de la nature et des animaux qui y vivent. C'est un monde concret où on doit protéger les provisions des cafards, prendre garde aux ornières en voiture mais où on peut apprécier le chant des oiseaux le soir et la beauté d'un lac. Mais c'est aussi un monde étrange. le langage parlé par les personnages est un peu décalé par rapport au nôtre. Un sourire est un grimm, la mère, la mams, un moment, un mom, le monde, le mondo, la m...., la chiterie. le lecteur comprend mais sent qu'il est dans un monde un peu différent. Et pourquoi ce monde abrite-t-il un singe, une panthère ou une princesse qui évoquent plus les Contes de fées que la campagne française ? Cet univers à la fois familier et étrange m'a beaucoup plu dans ce livre. On arrive très bien à se représenter cette vieille maison et la campagne alentour alors on aimerait réduire les poches de mystère qui demeurent comme une menace. Qui plus est l'enjeu du récit, la vie ou la mort d'une enfant, est assez frappant pour exciter plus encore la curiosité. Qui est vivant dans ce livre? Qui voit qui? Avec May le monde, Michel Jeury a écrit une histoire à mystère. On peut penser à Philip K Dick ou, dans un autre genre, au Peter Pan de Barrie ou au film le labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro. Qu'est-ce que vivre? Mourir? Qui pense ? Qui est pensé ? Comment rester enfant? Ou pas? On peut être touché par la jeune May si vive et si sage face à son destin. On peut aussi s'interroger sur les théories du professeur Goldstein ou par les spéculations vertigineuses de Thanos, l'un des derniers compagnons de May, sur l'origine des mondes... Ce type de récit à mystère, à la Twin peaks (je recommande l'écoute de sa b.o pendant la lecture de ce roman! ) ne se résout pas en une lecture. Je crois avoir des pistes mais pas complètes. L'univers décrit est assez attachant pour que je sois certain de relire un jour ce texte, pour essayer de rejouer à faire coller tous les chapitres. Avec une série américaine (Twin peaks, Severance) il y aurait eu des spéculations collectives pour tout comprendre et l'oeuvre aurait bénéficié d'un univers étendu par les interprétations des usagers de reddit ou autres. May le monde est un roman, en plus en français et datant d'il y a 15 ans mais, à mon avis, on a affaire au même type d'oeuvre, qui mériterait dans l'idéal d'engendrer d'autres mondes ou d'éveiller l'intelligence et la créativité collective du Web. Une très grande découverte et une lecture intrigante et stimulante!

Ce roman part du postulat que les êtres vivants –seulement eux ? – sont soumis à des changements intempestifs et plus ou moins brutaux (personnalité, physique, souvenirs,...). Il tourne autour du personnage de May et des personnes qui la côtoient. Pour certains le changement est l'occasion d'un véritable voyage qui les fait changer de monde. Depuis que j'ai lu Enig Marcheur, j'ai de l'empathie pour les romans qui utilisent des mots deformés. Dans celui-ci j'ai particulièrement aimé les gros mots ! "Tutain", "chiterie" ou "thon" volent au moindre prétexte. Plus sérieusement, ce roman est une occasion de s'interroger sur les notions d'infini, de monde parallèles, de mort, de vie antérieure... Le monde est charmant, il est hanté par une magie passée ou onirique. Les personnages sont très sensuels et plutôt "normaux". Le lecteur est baladé de monde en monde sans ménagement et parfois sans cohésion, le Grand Lien se chargeant de nous donner l'illusion d'une continuité qui disparaît au dernier chapitre pour nous permettre de goûter totalement le "changement", sujet central du livre.

Si jamais vous vous promenez du côté de la Magerie, faites attention à ne pas tomber dans un trou à changement (l'abri des Crapauds, la chute de la Demoiselle, la Fourmilière noire, ou même les Sagittaires furibardes), c'est un coup à vous chiter la cheviller et vous biller la tête, mais surtout, à vous retrouver dans un monde en précohésion ou dans beaucoup, peut-être tout le Méga. Et, allez savoir, peut-être pour l'éternété...