Mémoires - Hitler, les années obscures : Le livre de Ernst Franz Hanfstaengl

Dans les biographies et témoignages de ceux qui ont côtoyé Hitler dès les débuts du NSDAP (Heinrich Hoffmann, Rudolf Hess, Hjalmar Schacht...), on croise parfois le nom d'Ernst Hanfstaengl, surnommé "Putzi" ("petit homme", attribué par dérision car il était particulièrement grand), le "bouffon d'Hitler", toujours prêt à venir lui jouer du piano à toute heure... Mais on connaît moins l'homme qui se cache derrière ce sobriquet : Bavarois germano-américain, ayant étudié à Harvard pendant la première guerre mondiale sans y participer, proche de la famille Roosevelt, compositeur, journaliste, futur cinéaste, qui passera un doctorat d'histoire à la fin des années 1920. Accompagnant un attaché militaire américain de ses relations venu couvrir un discours politique d'un Adolf Hitler alors inconnu, Hanfstaengl sera séduit par cet orateur brillant et deviendra rapidement responsable de la presse étrangère du parti nazi. Il a donc côtoyé de près le futur Führer pendant plus de 15 ans (1921-1937), espérant sans succès lui ouvrir l'esprit, notamment sur l'importance des États-Unis d'Amérique en cas d'éventuel conflit. En matière de relations internationales, il déplorera surtout l'influence idéologique néfaste d'Alfred Rosenberg, Rudolf Hess et Karl Haushofer, puis sera la tête de Turc de Goebbels qu'il qualifiera de "satanique". Ce que nous savons d'Hitler dans ses nombreuses biographies a surtout été rapporté par Hanfstaengl : son rapport aux femmes maladroit voire malsain, son caractère de plus en plus borné notamment à partir de la prise de pouvoir, parce qu'évoluant en circuit de plus en plus fermé, exerçant le pouvoir avec dilettantisme, instrumentalisant les égos et les rivalités de ses lieutenants et se posant en arbitre (les historiens qualifieront plus tard le IIIe Reich de régime "polycratique" tant les diverses instances n'étaient pas, contrairement à ce que l'on pourrait attendre d'un système très autoritaire, centralisées), soliloquant devant un auditoire acquis à sa personne, ressassant les mêmes souvenirs de l'histoire du Parti, intoxiqué par sa propre presse dont il n'a pas l'air de mesurer à quel point elle est soumise au ministère de la propagande... Même après la "nuit des long couteaux" (juillet 1934), Hanfstaengl continuera à croire possible de modérer Hitler. Ce n'est qu'en 1937, après avoir été la victime d'une mauvaise plaisanterie organisée par Hermann Göring (censé être un ami), qui aurait pu causer sa mort, qu'il se réfugie aux États-Unis via la Suisse et parvient à y faire entrer son fils Egon, où il conseillera le président Franklin Roosevelt en faisant part de ses connaissances de la psychologie des dirigeants du Reich, de son organisation et de ses objectifs. Un témoignage lucide et exceptionnel, par un intellectuel au profil artistique et à la personnalité longtemps naïve.